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Loi ELAN : le nouvel équilibre entre le droit au recours effectif et le développement de la construction. Par Jean-Marc Petit, Avocat.
Parution : lundi 26 novembre 2018
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Dans la continuité des réformes antérieures, la loi ELAN du 23 novembre 2018 a pour objectif, selon le titre de son chapitre VI, d’« améliorer le traitement du contentieux de l’urbanisme ». Les principales dispositions insérées dans le code de l’urbanisme, issues pour l’essentiel du rapport du groupe de travail présidé par Madame Christine Maugue, Conseillère d’Etat, sont les suivantes.

1/ La limitation des effets des annulations ou des déclarations d’illégalité de PLU.

La nouvelle rédaction de l’article L 600-12-1 prévoit désormais que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un PLU seront par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol si le motif est « étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ». Ainsi, un permis risquera l’annulation si le classement du terrain lui-même est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. En revanche, il ne le sera pas, par exemple, si le PLU est annulé au motif que les modalités de la concertation préalable n’ont pas été respectées.

La même logique a guidé la rédaction de la modification de l’article L 442-14 applicable dans les lotissements : la stabilisation des règles applicables à la date du permis d’aménager ou de la déclaration préalable est acquise si l’illégalité du PLU est liée à un « motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au lotissement ».

Enfin, l’article L 610-1 est modifié pour réduire le risque pénal généré par un arrêt récent de la Cour de Cassation [1]. Il est indiqué que le délit de non respect des règles d’urbanisme n’est pas constitué lorsque les travaux sont réalisés conformément à un permis définitif, sauf en cas de fraude. Il est toutefois ajouté, et ce de manière curieuse, que ce permis, même définitif, doit avoir été délivré « selon les règles du code de l’urbanisme ».

2/ L’encadrement des possibilités de référé-suspension.

Le nouvel article L 600-3 modifié oblige les requérants, s’ils veulent faire interrompre les travaux, à déposer leur requête en référé-suspension dans le délai de la cristallisation des moyens en première instance [2]. Cette cristallisation intervient, en principe, deux mois après la communication aux parties du premier mémoire en défense déposé, depuis le 1er octobre 2018, date d’entrée en vigueur du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 [3]. Le bénéficiaire d’un permis, qui peut être très prompt à déposer un premier mémoire en défense, a ainsi la possibilité d’influer sur le calendrier de la procédure et d’un éventuel référé.

Très peu de temps devrait s’écouler entre l’ordonnance de référé et le jugement au fond lorsque le contentieux porte sur un bâtiment comportant plus de 2 logements ou un lotissement ayant fait l’objet d’un permis d’aménager, puisque ces projets bénéficient désormais du délai de jugement de 10 mois, et ce depuis le 1er octobre 2018 [4].

3/ Une nouvelle restriction apportée à l’intérêt à agir.

La volonté d’écarter des prétoires les associations créées alors qu’elles connaissent déjà l’existence du projet, même s’il n’a pas encore fait l’objet d’une demande, a amené les parlementaires à renforcer le dispositif de l’article L 600-1-1 : pour pouvoir agir, les associations devront dorénavant avoir été créées plus d’un an avant le dépôt de la demande de permis.

4/ L’assouplissement des conditions d’obtention d’une condamnation pécuniaire.

La loi supprime les termes « excessif » et d’« intérêts légitimes » utilisés par l’actuel article L 600-7. Pour pouvoir obtenir une indemnité, le titulaire du permis [5] devra toutefois démontrer que ce recours traduit un comportement « abusif » de la part de ses auteurs. Ces nuances rédactionnelles peuvent modifier l’approche du juge administratif, jusqu’ici très restrictive. Comme le juge civil, il pourrait considérer comme abusives les actions fondées sur des allégations dépourvues de toute pertinence et assorties d’aucune preuve [6].

5/ Les transactions mieux encadrées.

Désormais, aux termes de l’article L 600-8 modifié, les transactions entrant dans le champ de cet article doivent être enregistrées y compris lorsqu’elles se situent en amont de l’introduction d’un recours contentieux. L’article fait enfin expressément référence, pour cet enregistrement, au délai d’un mois prévu par le code général des impôts. A défaut, la remise en cause des contreparties aux renonciations à recours sera possible.

6/ Favoriser les régularisations.

La nouvelle rédaction des articles L 600-5 et L 600-5-1, relatives aux annulations partielles et aux sursis à statuer dans l’attente d’une régularisation, a pour but de contraindre davantage le juge à examiner la possibilité réelle de régularisation, en exigeant qu’il motive l’absence de possibilité de régulariser. Enfin, pour éviter les recours successifs, l’article L 600-5-2 prévoit explicitement que la légalité des décisions de régularisation en cours d’instance ne peut être critiquée qu’à l’occasion du recours contre la décision modifiée [7]. Dans cette situation, le délai de jugement de 10 mois, lorsqu’il est applicable, sera inévitablement dépassé...

L’entrée en vigueur de la loi :

L’entrée en vigueur de ces articles a été fixée au 1er janvier 2019. Mais leur application aux litiges en cours diffèrera selon les dispositions concernées.

Les articles L 600-5, L 600-5-1 et L 600-7, qui régissent l’office du juge, s’appliqueront aux instances en cours, y compris en appel, sans restriction particulière. L’article L.600-1-1, qui restreint le droit d’agir en justice, ne sera applicable qu’aux permis délivrés à compter du 1er janvier 2019 [8].

L’entrée en vigueur du nouvel article L 600-12-1, qui restreint les effets d’annulations de PLU notamment, pose plus de difficultés. Il pourrait être jugé que la restriction est inopposable aux illégalités soulevées avant l’entrée en vigueur de la loi [9].

Jean-Marc PETIT Avocat Associé Cabinet Adaltys

[1Cass. Crim. 7 mars 2017, n°16-80739.

[2Devant le TA (ou devant la CAA s’il s’agit d’un PC valant autorisation commerciale).

[3Art. R. 600-5.

[4Art. R 600-6.

[5Et d’une non-opposition à déclaration préalable, désormais visée.

[6Cass Civ., 3ème, 18 octobre 2006, pourvoi n° 05-15.179.

[7Ce que le Conseil d’Etat avait considéré au regard de l’actuel art. L 600-5-1 : 19 juin 2017, n° 398531.

[8Conseil d’État, 18 juin 2014, n°376113, publié au recueil.

[9Cf. la solution dégagée par le Conseil d’Etat pour l’art. L 600-1 : Section, 5 mai 1995, n°140579.