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Livraison de repas : lien de subordination des coursiers caractérisé. Par Camille Colombo, Avocat.
Parution : mardi 4 décembre 2018
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Dans un arrêt "choc" du 28 novembre 2018 (n°17-20079), la Cour de cassation, cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, a jugé que le lien de subordination de 4 coursiers, engagés comme travailleurs indépendants par la société de livraison de repas "Take Eat Easy", était caractérisé, ouvrant la porte à des actions en requalification en contrat de travail à la chaîne.

Selon l’article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Malgré l’absence de définition légale, la doctrine s’entend pour définir le contrat de travail comme la convention par laquelle une personne physique, le salarié, met son activité au service (ou à la disposition) d’une autre personne, l’employeur, sous l’autorité de laquelle elle se place, moyennant le versement d’une rémunération.

L’existence d’un contrat de travail suppose donc la réunion de trois éléments cumulatifs :
- Une prestation personnelle de travail ;
- Une rémunération de cette prestation ;
- Un lien de subordination.

Le lien de subordination reste celui dont la caractérisation est la plus difficile, d’autant plus que l’article L. 8221-6 du Code du travail a créé une présomption de non-salariat pour les auto-entrepreneurs.

Ainsi, depuis un arrêt du 13 novembre 1996 (n°94-13187), la Cour de cassation a dégagé une définition stricte de cette notion : pour que le lien de subordination soit reconnu, le travail doit être exécuté « sous l’autorité d’un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

Pour autant, depuis de nombreuses années, la Haute juridiction considère que « l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles est, en fait, exécutée la prestation » [1].

Notamment, dans deux arrêts de principe du 4 mars 1983 [2], elle a affirmé, en Assemblée Plénière, que la seule volonté des parties est impuissante à soustraire la personne employée du statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail.

Ce principe a été confirmé dans un arrêt du 17 avril 1991 (n°88-40121).

L’existence du contrat de travail est établie par tous moyens [3] et le lien de subordination peut être établi même en l’absence de lien contractuel permanent.

Ainsi, une relation d’auto-entrepreneur a pu être requalifiée en relation de travail salariée [4] dès lors qu’un faisceau d’indices laissait penser qu’il pouvait y avoir lien de subordination (respect obligatoire d’un planning quotidien précis établi par le donneur d’ordres, obligation d’assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales, objectif de chiffre d’affaires annuel imposé, procédure de passation des ventes imposée sous peine de refus des ventes, critiques acerbes en cas de non-respect de la procédure…).

Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation a considéré, s’agissant de quatre coursiers engagés comme travailleurs indépendants, que le lien de subordination à l’égard du donneur d’ordres, la société de livraison de repas Take Eat Easy était caractérisé, jugeant que :
« Attendu cependant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société "Take Eat Easy" disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé. »

Cet arrêt risque de créer d’importants remous, tant ce système de livraison est aujourd’hui répandu, et d’entraîner de nombreux contentieux prud’homaux en requalification en contrat de travail.

Camille COLOMBO - Avocat au Barreau de Nantes Cabinet Frédéric CHHUM 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes Tel: 02 28 44 26 44 colombo@chhum-avocats.com

[1Par exemple, Cass. Soc., 19 décembre 2000 ; Cass. Soc., 1er décembre 2005, Cass. Soc. 3 juin 2009.

[2Cass. Soc. n°81-15290 et 81-41647.

[3Cass. Crim., 5 nov. 1991, n°90‐86262.

[4Cass. Soc., 6 mai 2015, n°13-27355.