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Ainsi parlait le Big Data. Par Thierry Charles, Docteur en droit.
Parution : mercredi 5 décembre 2018
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Le Big data sait tout de vous, mais que savez-vous de Big data ? L’« algorithmisation du monde » est en marche. Si l’on y réfléchit bien, l’idée d’organiser l’information est le principe même d’un moteur de recherche comme Google.
Le Big data va façonner le siècle, c’est un nouvel instrument de pouvoir et il est urgent de mettre en lumière les méthodes des entreprises qui influencent notre mode de vie, et c’est l’objet du livre "Ainsi parlait le big data" de Thierry Charles aux Edition l’Harmattan.

Dans la dystopie Lovestar, Andri Snaer Magnason se demande quelle part de liberté il reste à l’Homme quand la science décide pour le bonheur de tous ? Un monde où le meilleur ami qui vous conseille un livre est peut-être tout simplement payé pour ça sans que personne ne s’en doute. Un monde où les méga données [le Big data] décident de tout, où des algorithmes ont une visée politique [1].

Grâce au profilage réalisé par les algorithmes, le temps d’attention des consommateurs est en passe de devenir la [seule ?] référence de la valeur des services. « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides » écrit Henry Ford. Et si le Big data ne constituait en définitive qu’un terrible aveu de faiblesse et d’impuissance générale avec une arme de destruction massive à l’intérieur ?

Aujourd’hui, l’information que nous recevons n’est qu’un détail, ce qui a de la valeur, c’est l’information que nous donnons, les datas. Et si c’est gratuit, c’est vous le produit ! A l’ère de la communication numérique, selon le professeur de droit Frank Pasquale « les nouveaux seigneurs promettent liberté et autodétermination alors que leurs boîtes noires conduisent à l’établissement d’une nouvelle oligarchie ».

Le Big data contraint chacun d’entre nous à de nouvelles manières de voir et d’analyser le monde, aussi il est important de développer un esprit critique en abordant « la déraisonnable efficacité des données ». Après les attentes démesurées qui caractérisent le Big data et ses algorithmes, les premières désillusions arrivent aussi vite que les promesses s’envolent et que les ambitions s’étiolent.

Alors que les Gafa ont tenté de faire du numérique un « no man’s land dont ils écriraient la loi », selon l’ancien ministre de l’Economie Thierry Breton, il est urgent de relocaliser cet espace informationnel en optant pour un traitement de nos données sur le sol européen.

Cette politique devient particulièrement critique pour les données industrielles de nos entreprises, notamment dans le cadre du développement des outils d’IA de l’industrie 4.0. Dans un plaidoyer pour une lutte anti-monopole du XXIème siècle, le journal The Economist accuse les géants d’Internet d’éliminer systématiquement la concurrence, de menacer les droits de leurs utilisateurs, voire la démocratie [2].

Et au vu de leur valorisation boursière, leur taille pourrait encore doubler ou tripler dans les dix ans à venir. Que dire alors de l’incapacité de l’Europe à faire respecter par les Gafa les règles les plus élémentaires de paiement de l’impôt ?

A cet égard, les monopoles américains du XIXème siècle font pâle figure ! En effet, si on combattait autrefois les monopoles en les démantelant [3] ou en les régulant, ces approches seraient impossibles aujourd’hui.

En effet, d’une part, le contrôle des prix est sans objet puisque la plupart des produits sont gratuits, et d’autre part, un démantèlement risquerait de porter un coup fatal aux économies d’échelle réalisées par les plateformes et dégraderaient le service qu’elles proposent à leurs utilisateurs.

Aussi, ne serait-il pas plus judicieux de mieux utiliser les lois sur la concurrence et d’intervenir à chaque projet d’acquisition [4] ?

"Ainsi parlait le big data", de Edit. l’Harmattan, Questions contemporaines - Questions de communication, Actualité sociale et politique communication, médias, nov. 2018.

Thierry Charles Directeur des Affaires Juridiques Docteur en droit Membre du «Cercle Montesquieu»

[1Affaire Cambridge Analytica.

[2Ne laissons pas les pieuvres numériques tout aspirer, Revue Challenges n°551, 1er fév. 2018.

[3En 1911, le Département de la Justice des États-Unis poursuivit la Standard Oil pour ses prises de position monopolistiques à la suite de la politique anti-trust ou « Sherman Antitrust Act » qui devait ménager la libre concurrence et éviter des situations de rente nuisibles à l’innovation et aux consommateurs.

[4Rachat d’Instagram par Facebook et de Waze par Google.