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L’obligation de sécurité est-elle toujours aussi contraignante pour l’employeur ? Par Flora Labrousse, Avocat.
Parution : mardi 4 décembre 2018
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Au fil de ses décisions, la Cour de cassation a donné une nouvelle orientation au régime de l’obligation de sécurité de l’employeur, notamment en matière de risques psychosociaux.

Un nouvel arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 17 octobre 2018 (n° 17-17.985) est venu préciser les nouveaux contours de cette célèbre obligation à laquelle tout employeur est tenu de se soumettre.

Le régime de l’obligation de sécurité de résultat.

Jusqu’en 2015, il n’était pas admis que l’employeur puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il avait pris des mesures pour faire cesser des agissements de harcèlement moral.

En tout état de cause, l’employeur manquait à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dès lors qu’un salarié était victime, sur le lieu de travail, de faits de harcèlement, moral ou sexuel ou de violences physiques ou morales :
- Et ce, même s’il avait immédiatement pris « des mesures conservatrices et protectrices » destinées à permettre à la salariée victime de harcèlement moral et sexuel de la part du directeur associé de l’entreprise de poursuivre son activité professionnelle au sein de la société en toute sérénité et sécurité, et alors même que l’auteur des faits avait quitté la société [1].
- Même si l’employeur avait sanctionné l’auteur du harcèlement par 2 avertissements et proposé à la salariée victime de la muter dans un autre établissement [2].
- Même si l’employeur avait fait en sorte que le salarié victime ne soit plus en contact avec le salarié « harceleur » [3].

Le nouveau régime posé en 2015.

Depuis 2015, la Haute Juridiction a écarté une stricte obligation de sécurité de résultat de l’employeur en matière de risques psychosociaux. Ce faisant, elle a considéré qu’un employeur ne pouvait plus être automatiquement condamné pour manquement à son obligation de sécurité, même lorsque le salarié est victime sur son lieu de travail de violence morale.

Il a notamment été jugé à plusieurs reprises que :
- Par exemple, dans sa décision du 1er juin 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a indiqué que l’employeur qui justifie avoir mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, peut s’exonérer de sa responsabilité [4].
- Une information et une formation propres à prévenir la survenance des faits de harcèlement sexuel pourrait permettre à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité [5].
- Dans une autre affaire, un salarié avait été victime d’une violente altercation avec un tiers à l’entreprise sur son lieu de travail. L’employeur s’est vu être exonéré de sa responsabilité du fait de la rapidité de son intervention aux fins d’intimer l’agresseur de ne plus revenir dans l’entreprise aux fins d’éviter que toute autre altercation ultérieure ne se reproduise [6].

Ainsi, l’analyse de la jurisprudence rendue entre 2015 et 2018 permet d’affirmer que l’employeur n’est plus soumis à une obligation de sécurité de résultat en tant que telle puisqu’il a la possibilité de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les mesures de prévention auxquelles il est légalement tenu.

Il en ressort que la prévention, par la mise en place de mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, est devenue le pilier de l’obligation fondée sur les dispositions des articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 octobre 2018, est venue préciser que ce n’est que si l’employeur n’a pas mis en place des mesures concrètes alors qu’il était informé de l’incident qu’il manque à son obligation de sécurité envers le salarié victime.

En l’espèce, une altercation avait eu lieu entre deux salariés. L’employeur a organisé dès le lendemain une réunion ainsi que plusieurs réunions périodiques de travail, ultérieures, concernant l’ensemble des salariés. Pourtant, il existait un risque qu’un nouvel incident se produise du fait des divergences de vues et des caractères très différents voire incompatibles des salariés concernés. Cette situation avait eu des répercussions négatives sur l’état de santé de l’un des deux salariés.

La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que l’employeur, qui avait connaissance de ce risque professionnel, a manqué à son obligation de sécurité en matière de santé du travailleur, puisqu’il n’avait pas mis en place les mesures concrètes et suffisantes, propres à le prévenir.

Il en ressort que, même si la jurisprudence reste confuse sur les mesures qui doivent effectivement être mises en œuvre par l’employeur pour satisfaire à son obligation de sécurité, il est clair que celui-ci peut désormais, en matière de harcèlement moral, s’exonérer de toute responsabilité en démontrant qu’il a pris toutes les mesures de nature à éviter et faire cesser le risque professionnel.

En définitive, même si l’obligation de sécurité de l’employeur ne répond plus exactement au régime d’une obligation de résultat, elle n’en reste pas moins contraignante, dans la mesure où l’employeur devra rapporter la preuve d’avoir mis en œuvre des mesures concrètes, ayant vocation à éviter la réalisation du risque professionnel. La charge de la preuve repose donc sur l’employeur, qui ne devra pas être resté inerte face à une telle situation.

Il ne peut qu’être conseillé aux employeurs de se prémunir de cette nouvelle orientation prétorienne en prenant plus en considération la souffrance exprimée par ses travailleurs, surtout lorsqu’elle est matérialisée par des circonstances objectives, et en mettant en œuvre des actions de nature à pérenniser la poursuite de la relation de travail ou bien à écarter tout risque d’incident entre un ou plusieurs salariés.

Conséquences du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Outre l’octroi de dommages-intérêts, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité peut :
- Soit donner lieu à la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.
- Soit donner lieu à la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour inaptitude lorsque l’inaptitude d’un salarié trouve son origine dans le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité [7].

Flora LABROUSSE, Avocat au Barreau de Paris Consultation : https://consultation.avocat.fr/cabinets/cabinet-flora-labrousse-75009-41967a87ce.html Site internet : https://9trevise-avocat.com/

[1Soc., 3 février 2010, n° 08-44.019.

[2Soc. 3 février 2010, n° 08-40.144.

[3Soc., 19 janv. 2012, n° 10-20.935.

[4Soc, 1er juin 2016, n° 14-19.702.

[5Soc., 13 déc. 2017, n° 16-14.999.

[6Soc., 12 juillet 2018, n° 17-12.517.

[7Soc, 3 mai 2018, n° 17-10.306.