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Incompétence du juge administratif pour apprécier le contenu des études réalisées à l’occasion des demandes de permis de construire. Par Tiffen Marcel, Avocate.
Parution : jeudi 6 décembre 2018
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Lorsqu’il se prononce sur la légalité d’une autorisation d’urbanisme et, spécifiquement, d’un permis de construire, le juge administratif doit seulement vérifier que le pétitionnaire a fourni, à l’appui de son dossier de demande de permis de construire, les attestations exigées par la réglementation en vigueur, mais n’a pas à porter une appréciation sur le contenu et le caractère suffisant des études imposées par les textes (CE, 25 octobre 2018, req. n°412542).

L’article R. 431-16 e) du code de l’urbanisme, dans sa version alors en vigueur (devenu f. du même article) dispose ce qui suit :

« Le dossier joint à la demande de permis de construire comprend en outre, selon les cas : (…) e) Lorsque la construction projetée est subordonnée par un plan de prévention des risques naturels prévisibles (…) à la réalisation d’une étude préalable permettant d’en déterminer les conditions de réalisation, d’utilisation ou d’exploitation, une attestation établie par l’architecte du projet ou par un expert certifiant la réalisation de cette étude et constatant que le projet prend en compte ces conditions au stade de la conception ».

Par un jugement du 18 mai 2017 [1], le Tribunal administratif de Montreuil a annulé un arrêté de permis de construire délivré par le maire de Montreuil à une SA HLM, pour la réalisation d’un ensemble immobilier de 164 logements, au motif que « l’attestation produite ne permettait pas de s’assurer que le projet prenait en compte, dès sa conception, les conditions d’utilisation et d’exploitation des constructions déterminées par l’étude ».

En l’espèce, la construction autorisée par le permis de construire litigieux était classée en zone F du plan de prévention des risques "mouvements de terrains" de la commune de Montreuil, dont le règlement dudit plan imposait au choix, soit, la réalisation d’une série d’études géotechniques, soit, l’application de certaines mesures techniques prescrites par le plan.

L’objectif de ces études et/ou mesures est de définir les dispositions constructives et environnementales nécessaires pour assurer la stabilité des bâtiments vis à vis du risque de tassement différentiel et couvrant les missions géotechniques de type G12 (étude géotechnique d’avant-projet), G2 (étude géotechnique de projet) et G3 (étude et suivi géotechnique d’exécution) au sens de la norme géotechnique NF P 94-50.

L’attestation produite par le pétitionnaire à l’appui de sa demande de permis de construire, qui avait été établie par un bureau d’ingénierie en géotechnique, faisait état « de la réalisation d’une étude géotechnique de conception en phase d’avant-projet (G2 APV) au mois de mars 2015 dans le cadre du projet  » et « attesta[i]t la prise en compte par l’étude de sol, du risque de mouvement de terrain ».

Faisant une interprétation stricte de l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l’arrêté litigieux en faisant une appréciation de l’attestation produite par le pétitionnaire et en estimant que celle-ci ne permettait pas de s’assurer que le projet prenait en compte, au stade de sa conception, les conditions de réalisation, d’utilisation et d’exploitation déterminée par l’étude.

Par son arrêt du 25 octobre 2018 [2], le Conseil d’État a annulé le jugement susvisé du tribunal administratif de Montreuil en considérant qu’il avait commis un erreur de droit et en dégageant le considérant de principe suivant :

« Considérant qu’il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance de cette disposition de s’assurer de la production, par le pétitionnaire, d’un document établi par l’architecte du projet ou par un expert attestant qu’une étude a été menée conformément aux exigences de la règlementation et que ses résultats ont été pris en compte au stade de la conception du projet ; qu’il ne saurait en revanche dans ce cadre porter une appréciation sur le contenu de l’étude et son caractère suffisant au regard des exigences des plans de prévention des risques qui en imposent la réalisation ».

Si un tel considérant paraît parfaitement compréhensible du point de vue de l’office du juge, qui ne peut substituer son appréciation à celle de techniciens, il semble, en revanche, quelque peu contradictoire avec les motifs d’annulation qui avaient été retenus par le Tribunal administratif de Montreuil.

En effet, contrairement à ce que laisse penser le principe ainsi dégagé par le Conseil d’État, le tribunal administratif de Montreuil ne semble pas avoir porté une appréciation sur le contenu de l’étude exigée par le texte, mais uniquement le contenu de l’attestation produite.

En tout cas, cet arrêt du Conseil d’État a le mérite de clarifier la question de l’office du juge concernant les études qui doivent éventuellement être jointes aux dossiers de demande de permis de construire et de préciser que, lorsqu’il se prononce sur la légalité d’une autorisation d’urbanisme le juge administratif doit seulement vérifier que le pétitionnaire a fourni les attestations exigées par la réglementation en vigueur, mais n’a pas à porter une appréciation sur le contenu et le caractère suffisant des études imposées par les textes.

Tiffen Marcel Avocate au barreau de Paris [->tiffen.marcel@obsalis.fr] [->https://www.obsalis.fr/]

[1Req. n°1603398