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Prud’hommes : les avantages à concilier par le barème de conciliation. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : jeudi 13 décembre 2018
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La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a créé, dans le cadre des contentieux relatifs à un licenciement, un barème de conciliation permettant notamment aux salariés de bénéficier d’avantages sociaux et fiscaux.

Ainsi, l’article L1235-1 du Code du travail dispose que « En cas de litige, lors de la conciliation prévue à l’article L. 1411-1, l’employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation et d’orientation proposer d’y mettre un terme par accord. Cet accord prévoit le versement par l’employeur au salarié d’une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé par décret en fonction de l’ancienneté du salarié. »

Par un décret n°2016-1582 du 23 novembre 2016, le barème de conciliation a été modifié afin, d’une part, d’être plus attractif pour les salariés et, d’autre part, d’être plus cohérent vis-à-vis du barème (à cette date facultatif) en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce barème de conciliation est intéressant fiscalement pour les salariés, notamment les cadres dirigeants avec un salaire élevé et une grande ancienneté car il permet de s’affranchir de la limite d’exonération fiscale de 6 PASS (238.392 euros).

Ce barème permet également de s’exonérer de la carence en matière de chômage.

1) Quand et comment s’applique le barème forfaitaire de conciliation ?

L’article L.1235-1 du Code du travail prévoit la possibilité pour les parties de mettre un terme au litige qui les oppose par un accord constaté par un procès-verbal du bureau de conciliation et d’orientation.

L’accord doit alors prévoir le « versement par l’employeur au salarié d’une indemnité forfaitaire », dont le montant est déterminé par l’article D.1235-21 du Code du travail, en fonction de l’ancienneté du salarié au sein de l’entreprise :

Entre un an et 8 ans 3 mois de salaire pour un an, auxquels s’ajoute un mois de salaire par année supplémentaire jusqu’à 8 ans
Entre 8 ans et moins de 12 ans 10 mois de salaire
Entre 14 ans et moins de 19 ans 14 mois de salaire
Entre 19 ans et moins de 23 ans 16 mois de salaire
Entre 23 ans et moins de 26 ans 18 mois de salaire
Entre 26 ans et moins de 30 ans 20 mois de salaire
Au moins 30 ans 24 mois de salaire

Néanmoins, au regard de la lettre du texte, il apparait que seuls les litiges relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée peuvent bénéficier de ce dispositif.

En effet, l’article L.1235-1, alinéa 2 du Code du travail dispose que « Le procès-verbal constatant l’accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail prévues au présent chapitre ».

Dès lors, il semblerait qu’en présence d’une demande d’heures supplémentaires, de non-paiement de salaire ou de toute autre demande n’ayant pas trait à la rupture du contrat de travail, le barème forfaitaire de conciliation n’aurait pas vocation à s’appliquer.

2) Avantages fiscal et social de l’indemnité forfaitaire de conciliation.

Recourir au procès-verbal de conciliation est avantageux pour les deux parties, tant du point de vue fiscal que social.

2.1) Une exonération d’impôt sans la limite des 6 PASS : c’est très intéressant pour les cadres dirigeants qui perçoivent une haute rémunération et qui ont une grande ancienneté.

Tout d’abord, le salarié bénéficie d’une exonération d’impôt, totale ou partielle selon les cas, de la somme perçue à titre d’indemnité forfaitaire de conciliation.

En effet, l’article 80 duodecies prévoit que les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail et mentionnées à l’article L.1235-1 du Code du travail (relatives au barème de conciliation), sont exonérées d’impôt sur le revenu, dans la limite du barème.

Ainsi, dès lors que l’indemnité versée correspond au barème, elle est exonérée en totalité.

Ceci permet d’échapper au plafonnement des 6 PASS.

Exemple : un cadre dirigeant qui gagne 50.000 euros par mois et avec 30 ans d’ancienneté peut bénéficier d’une exonération d’impôt jusqu’à 1.200.000 euros (50.000 euros x 24).

C’est donc très intéressant pour les cadres dirigeants qui ont de l’ancienneté, avec un salaire élevé.

S’il avait transigé via un accord transactionnel, il aurait bénéficié d’une franchise d’impôt dans la limite de 6 PASS, soit 238.392 euros.

En revanche, si le salarié perçoit une indemnité de conciliation supérieure au barème, la fraction excédant ce barème est soumise à impôt.

2.2) Une exonération de cotisations sociales dans la limite de 2 PASS : on reste dans le droit commun.

Ensuite, l’indemnité de conciliation bénéficie également d’une exonération de cotisations sociales dans la limite du barème et de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 79.464 euros en 2018).

Cependant, pour déterminer le montant de l’indemnité exonérée, il conviendra de prendre en considération les montants déjà exonérés au titre de l’indemnité de licenciement (légale, conventionnelle ou contractuelle).

Enfin, quant à la CSG-CRDS, l’indemnité forfaitaire de conciliation y sera soumise dès lors qu’elle excède l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ou dans la limite du montant total exclu de l’assiette de cotisation sociale.

3) Le recours à l’indemnité forfaitaire de conciliation permet de s’exonérer de la carence chômage.

Recourir au barème de conciliation recouvre également un intérêt vis-à-vis du chômage et notamment de la carence chômage.

En effet, dès lors que les sommes versées au salarié, du fait de la rupture du contrat (indemnité de licenciement ou indemnité transactionnelle), excèdent le montant prévu par la loi, elles entrent dans le calcul du différé d’indemnisation de Pôle Emploi (article 21 du Règlement de l’Assurance Chômage).

Or, ce différé spécifique d’indemnisation peut parfois avoir des conséquences importantes pour les salariés qui peuvent se retrouver durant 150 jours (au maximum) sans être indemnisé.

Le fait de recourir à un PV de conciliation permet au salarié de limiter ce risque.

En effet, la fiche 4 de la Circulaire UNEDIC n°2017-20 du 24 juillet 2017 précise la liste des indemnités exclues de l’assiette de calcul du différé.

Ainsi, les sommes versées dans le cadre d’un PV de conciliation ne sont pas prises en compte pour la détermination du différé spécifique, dans la limite du montant prévu par le barème.

Exemple :

Monsieur X est un salarié avec 17 ans d’ancienneté et un salaire mensuel de référence de 2.000 euros bruts. Il est licencié pour faute simple et effectue son préavis.

Il perçoit à ce titre une indemnité légale de licenciement de 9.620 euros.

Dans le cadre d’un accord faisant suite au licenciement, le salarié perçoit une indemnité supplémentaire de 30.000 euros bruts.

Le différé spécifique d’indemnisation se calcule en divisant par 92,6 le montant de l’indemnisation supra-légale.

En tout état de cause, le différé d’indemnisation ne peut être supérieur à 150 jours (75 jours en cas de licenciement pour motif économique).

Hypothèse 1 : l’indemnité est versée en dehors du PV de conciliation.

Monsieur X ayant perçu 30.000 euros d’indemnité supra-légale, la totalité de la somme est prise en compte dans le calcul du différé spécifique d’indemnisation, soit :

30.000 / 92,6 = 323.

Le salarié devra donc attendre durant 150 jours avant d’être indemnisé (le différé d’indemnisation ne pouvant être supérieur à 150 jours).

Hypothèse 2 : l’indemnité est versée dans le cadre d’un PV de conciliation.

Le barème forfaitaire de conciliation prévoit une indemnité forfaitaire à hauteur de 14 mois, soit 28.000 euros.

Monsieur X ayant perçu une indemnité supra-légale de 30.000 euros, seuls 2.000 euros vont être pris en compte dans le calcul du différé spécifique d’indemnisation, soit :

2.000 / 92,6 = 21 jours.

Le salarié devra donc attendre durant 21 jours avant d’être indemnisé.

4) Barème de conciliation et saisine directe du Conseil de prud’hommes.

Le Code du travail prévoit dans certaines hypothèses (requalification de CDD, de contrat de mission ou de convention de stage en CDI, prise d’acte) la possibilité de saisir directement le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes.

Dans une telle hypothèse, les salariés ne bénéficient pas d’une audience de conciliation et d’orientation, l’affaire étant portée directement devant le Bureau de jugement.

Néanmoins, qu’en est-il lorsque les parties entendent concilier, aux visas des articles L.1235-1 et D.1235-21 du Code du travail ?

Le Bureau de jugement a la possibilité de se réunir en formation de conciliation, notamment pour homologuer d’éventuels PV de conciliation.

Cependant, dans une telle hypothèse, il est apparu que certains organismes, tels que Pôle Emploi, considéraient que l’accord homologué ne rentrait pas dans le cadre des dispositions des articles L.1235-1 et D.1235-21 du Code du travail.

Afin de s’assurer de bénéficier des avantages fiscaux, sociaux et chômage du barème de conciliation, il est donc conseillé de passer par le biais d’une présentation volontaire devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation.

5) Présentation volontaire des parties devant le Bureau de conciliation et d’orientation (article R.1452-1 du Code du travail).

L’article R.1452-1 du Code du travail dispose que « La demande en justice est formée soit par une requête, soit par présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation et d’orientation  ».

En pratique et à titre d’exemple, devant le Conseil de prud’hommes de Paris, il convient de contacter le Greffe afin d’avoir connaissance d’une date de BCO.

Les parties doivent ensuite adresser au greffe le texte du PV qu’elles souhaitent faire homologuer, ainsi que les informations relatives aux parties (nom, prénom, dénomination sociale, adresses, nationalité, profession, activité, convention collective, représentant légal, etc.).

A la date d’audience indiquée, les parties doivent se présenter au greffe à 10 heures, l’affaire n’étant pas mentionnée sur le rôle.

Les parties sont ensuite entendues par le bureau de conciliation qui homologue l’accord transmis.

Pour ce qui est des autres Conseils de prud’hommes, il est préférable de se renseigner au préalable afin de connaitre les dates et heures de présentation volontaire.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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