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Deux mariages, c’est pourtant un de trop sauf à Meaux. Par François Dauptain, Avocat.
Parution : mercredi 12 décembre 2018
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Le Juge aux Affaires Familiales de Meaux a récemment rejeté la demande émanant de l’épouse de prononciation d’un divorce pour faute aux torts exclusifs de l’époux malgré la bigamie avérée de ce dernier.

Le bigame est un monogame qui s’ignore ! En principe…

En effet, toute femme ainsi bafouée peut légitimement souhaiter divorcer aux torts exclusifs de son époux en ce que la bigamie constitue une violation grave des devoirs et obligations du mariage conformément à l’article 242 du Code Civil.

Cependant, quand bien même la bigamie est une faute objective de l’époux, le Juge aux Affaires Familiales de Meaux ne l’estime pas suffisante pour justifier d’un divorce.

Il est jugé que : « Néanmoins, Madame ne prouve pas que ce manquement (la bigamie de son époux) a rendu intolérable le maintien de la vie commune. ».

César a franchi le rubicond, la bigamie a franchi la Marne.

L’on peut donc être bigame malgré l’opposition formelle et justifiée de la première épouse.

Sachant qu’en l’espèce, l’époux bigame n’avait pas nié la situation et avait reconnu la réalité de la situation : « il ne nie pas l’adultère, mais rappelle que cette dernière avait eu connaissance de ce mariage. ».

L’épouse ainsi déniée dans ses droits en est réduite à attendre de pouvoir solliciter un divorce pour altération définitive du lien conjugal, soit un délai de deux ans selon l’article 238 du Code Civil (peut être bientôt réduit à un an).

Si la bigamie avait déjà eu des échos au sein des tribunaux français, c’était uniquement par le truchement du droit international privé et toujours dans l’optique d’une protection de l’épouse en premières ou secondes noces.

En ce sens, la seconde épouse d’un mari bigame a pu être accueillie à la succession de feu son mari en tant qu’épouse légitime et bénéficier des dispositions protectrices en tant qu’épouse du défunt. [1]

La seconde épouse a pu également légitimement solliciter des prestations alimentaires et sociales sur le fondement du second mariage légalement contracté à l’étranger. [2]

La Cour de Cassation n’entend toutefois pas valider toutes les situations de fait issues de mariages bigames.

La Cour de Cassation a de ce fait opposé l’exception d’ordre public de proximité aux effets d’un mariage polygamique qui auraient eus à se produire au détriment de la première épouse, de nationalité française. [3]

L’admission devant les tribunaux français de la situation de fait issu de la bigamie est donc soumise à ce que la première épouse française ne se retrouve pas lésée par la situation.

Ainsi, que la bigamie soit admise ou écartée comme situation de fait dépend uniquement d’une appréciation in concreto des intérêts à protéger que ce soit ceux de la première ou la seconde épouse, mais en aucun cas ceux de l’époux bigame.

Mais encore jamais le choc des civilisations et des cultures n’avait pleinement abouti à une reconnaissance de la bigamie au détriment de l’épouse.

L’épouse en premières noces est alors contrainte de subir la situation, elle se trouve donc toujours uni à son époux avec toutes les conséquences de droit que cela implique tant pour les dettes issues du mariage que de la jouissance exclusive du domicile conjugal par exemple.

Il y a pourtant lieu de rappeler que la bigamie est un délit pénalement réprimé, article 433-20 du Code Pénal, d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.

De plus, l’article 147 du Code Civil est parfaitement clair s’agissant de la bigamie : « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »

Cependant, malgré ce constat, un tel grief n’est pas suffisant pour fonder un divorce en France en 2018 et l’on ne peut que regretter cette situation à l’heure du fleurissement de nombreux mouvements légitimes visant au respect des droits des femmes.

François DAUPTAIN, Avocat associé au sein de la SCP TOURAUT & ASSOCIES à Meaux

[1Arrêt Bendeddouche, Cass. 1ère civ., 3 janvier 1980, nº 78-13762.

[2Arrêt Chemouni, Cass, 28 janv. 1958.

[3Arrêt Baaziz, Civ. 1ère, 6 juillet 1988 ; Civ. 2ème, 1er décembre 2011, n°10-27864.

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