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PPH : toutes les possibilités ne se valent pas. Par Cécile Puech, CPI.
Parution : vendredi 14 décembre 2018
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Avec le temps, les programmes d’examen accélérés selon le PPH (pour « Patent Prosecution Highway ») se sont multipliés. Mais cela simplifie-t-il la tâche des déposants lorsqu’un premier office considère certaines revendications comme acceptables ? Outre les limitations liées au fait qu’un examen accéléré selon le PPH ne peut être requis qu’avant le début de l’examen, il s’avère que l’intérêt du dépôt d’une requête PPH varie en fonction des attentes du déposant, du pays considéré et parfois même du domaine technique de l’invention... Plutôt qu’un recours systématique au dépôt de requêtes PPH, une analyse au cas par cas semble donc à recommander pour optimiser l’examen des demandes de brevet.

Il existe au niveau international une volonté affichée de plus en plus forte d’harmonisation, de simplification et d’accélération des procédures de délivrance des brevets, sans pour autant altérer la qualité des examens réalisés. Cette volonté s’inscrit dans un contexte économique difficile et qui pousse aussi bien les offices que les déposants à essayer de limiter les coûts des procédures d’examen.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le développement de programmes bilatéraux et multilatéraux entre offices de brevets, appelés programmes PPH (pour « Patent Prosecution Highway »). Ces programmes, initiés par l’office japonais des brevets, partent du principe qu’il est inefficace, aussi bien pour les offices que pour les déposants, de recommencer ab initio l’examen d’une demande de brevet dans chaque pays, en particulier lorsqu’un office a déjà conclu que certaines revendications sont brevetables avant même que l’examen ne commence dans un autre pays. Ainsi, les offices participants à ces programmes proposent un examen accéléré lorsqu’une requête de traitement selon le programme PPH est déposée avant le début de l’examen, sur la base de revendications correspondant à celles considérées acceptables par un office partenaire (appelé office d’examen antérieur).

Ces programmes ne garantissent pas que l’examen sera simplifié, notamment parce que les dispositions régissant l’appréciation de certaines conditions de brevetabilité diffèrent d’un pays à un autre. Toutefois, la philosophie à la base de ces programmes vise à limiter l’examen autant que possible, et une certaine simplification de l’examen pourrait en principe être attendue.

Divers programmes PPH sont maintenant en place depuis plusieurs années, tandis que de nouveaux programmes bilatéraux apparaissent régulièrement et que certains programmes multilatéraux continuent de se développer.

Les possibilités offertes aux déposants de participer à des programmes PPH sont donc de plus en plus nombreuses et continuent d’augmenter. Dans ce contexte, il est important de faire un tri parmi toutes ces possibilités théoriques et de déterminer quelles sont celles susceptibles de présenter un intérêt particulier pour les déposants.

De nombreuses possibilités théoriques.

Les programmes PPH peuvent être classés en deux catégories :

- Les programmes multilatéraux, qui regroupent plus de deux offices partenaires, une opinion positive de l’un des offices partenaires pouvant servir de base à une requête PPH devant l’un quelconque des autres offices partenaires.

Il existe actuellement deux programmes multilatéraux :
- Le programme PPH IP5, qui regroupe l’office européen des brevets (OEB), l’office américain des brevets et des marques (USPTO), l’office japonais des brevets (JPO), l’office chinois des brevets (SIPO), et l’office sud-coréen des brevets (KIPO).
- Le programme GPPH (pour « Global Patent Prosecution Highway »), qui regroupe actuellement 25 offices, parmi lesquels se trouvent notamment, outre les offices du programme PPH IP5 à l’exception de l’OEB et de l’office chinois, les offices de brevet de l’Australie, du Canada, d’Israël, de Nouvelle-Zélande, et de Russie.

Ainsi, une opinion positive de l’USPTO, du JPO ou du KIPO permet de fonder une requête d’examen accélérée selon le GPPH devant de nombreux autres offices.

- Les programmes bilatéraux entre deux offices, une opinion positive de l’un des deux offices pouvant servir de base à une requête PPH devant l’autre office.

Ces programmes bilatéraux sont de plus en plus nombreux. Notamment, bien que l’OEB ne soit pas membre du programme GPPH, des programmes PPH bilatéraux existent avec les offices des pays/régions suivant(e)s : Australie, Brésil, Canada, Colombie, Eurasie, Israël, Mexique, Malaisie, Philippines, Russie, et Singapour. De même, bien que le SIPO ne soit pas non plus membre du programme GPPH, des programmes PPH bilatéraux existent avec les offices de nombreux pays/régions, parmi lesquels les offices de divers pays européens ainsi que les offices des pays/régions suivant(e)s : Brésil, Canada, Chili, Egypte, Israël, Mexique, Russie, et Singapour.

Ainsi, sur la base de l’opinion positive d’un des principaux offices de brevet, de multiples possibilités de requérir un examen accéléré selon le PPH devant d’autres offices sont désormais offertes. Ces possibilités se valent-elles toutes ? C’est la question que nous nous sommes posée, et à laquelle quelques éléments de réponse sont présentés ci-dessous.

Une harmonisation encore limitée.

Malgré l’existence d’une volonté d’harmonisation, il existe encore de nombreuses spécificités locales, dont un déposant doit tenir compte pour décider s’il est ou non opportun de requérir un examen accéléré selon le PPH devant un office donné.

Exigences formelles d’éligibilité de la requête.

Tout d’abord, les conditions d’éligibilité concernant la qualité de l’office ayant émis une opinion positive varient selon les programmes PPH.

L’opinion positive peut avoir été émise par l’office d’examen antérieur en tant qu’administration chargée de la recherche internationale (ISA) ou administration chargée de l’examen préliminaire international pendant la phase internationale d’une demande PCT, ou bien dans le cadre d’un examen national ou régional. Or, certains programmes bilatéraux n’acceptent que les opinions positives émises au stade national ou régional (c’est notamment le cas du programme bilatéral entre l’OEB et l’office brésilien). Le dépôt d’une requête sur la base d’une opinion positive au stade international ne sera alors pas possible.

De plus, si la plupart des programmes acceptent que le déposant se fonde sur une opinion positive d’un office examinant une demande de la même famille, quel que soit le lien entre les deux demandes (priorité/extension directe, priorité/phase de l’extension PCT, phases d’un même PCT, on parle alors de PPH de type Mottainai), certains programmes n’acceptent encore que les requêtes fondées sur une opinion positive de l’office examinant une demande prioritaire de la demande d’intérêt (PPH normal).

Les conditions d’éligibilité concernant le caractère positif de l’opinion de l’office d’examen antérieur varient également selon les pays. Par exemple, si la plupart des offices considèrent qu’une opinion positive quant à la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle est suffisante, ce n’est pas le cas de l’office chinois, qui exige une absence totale d’objection, y compris concernant la clarté et la suffisance de description.
Enfin, d’autres conditions d’éligibilité de la requête PPH peuvent être imposées par certains office. Ainsi, l’USPTO exige qu’un IDS (pour « Information Disclosure Statement ») ait été déposé.

Exigences de fond concernant les revendications.

L’une des conditions de fond d’éligibilité de la requête PPH est que les revendications soumises par le déposant pour l’examen accéléré selon le PPH correspondent suffisamment à celles considérées comme acceptables par l’office d’examen antérieur.

Cette condition sera généralement considérée comme remplie lorsque, malgré d’éventuelles différences dues au format des revendications, les revendications qui sont à examiner selon le PPH ont une portée identique, similaire ou plus étroite que celles considérées comme acceptables par l’office d’examen antérieur.

L’interprétation de cette disposition varie cependant selon les offices. Notamment, si la plupart des offices acceptent que les multidépendances des revendications considérées comme acceptables par l’office d’examen antérieur soient supprimées pour se conformer à la pratique locale, la pratique des offices diffère concernant la possibilité d’ajouter des revendications dépendantes ou de reformuler certains types de revendications (telles que les revendications d’utilisation thérapeutique) sous un autre format.

Effet sur l’accélération de la procédure.

Les offices participant à un programme PPH s’engagent à accélérer l’examen de la demande faisant l’objet d’une requête PPH. Les statistiques officielles données par certains offices pour la période entre juillet et décembre 2017 (accessibles sur le site de l’office japonais à l’adresse https://www.jpo.go.jp/ppph-portal/statistics.htm) confirment que le dépôt d’une requête PPH a en moyenne un effet d’accélération de la procédure d’examen. L’effet est cependant variable selon les pays.

Ainsi, si le délai entre le dépôt de la requête PPH et la première lettre officielle était inférieur ou égal à 3 mois dans un certain nombre de pays, il est plus élevé dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis où il avoisine les 6 mois (voir Figure 1). Il convient toutefois de noter que, dans un pays où le délai entre le dépôt de la requête en examen et la première lettre officielle est en moyenne d’environ 16 mois et où les autres procédures permettant d’accélérer l’examen (accelerated examination ou Track one) sont onéreuses, le dépôt d’une requête PPH peut permettre d’accélérer l’examen aux États-Unis à moindre coût.

Figure 1

Par ailleurs, si un effet d’accélération significatif sur le début de l’examen au fond (première lettre officielle) semble clairement visible dans la plupart des pays publiant des statistiques sur le PPH, l’effet est moins prononcé dans certains pays concernant la durée totale de l’examen (entre le dépôt de la requête en examen et la décision finale (voir Figure 2). Si l’accélération est considérable dans certains pays tels qu’Israël, le Mexique, l’Australie ou le Canada (durée totale de l’examen par rapport à l’ensemble des demandes divisée par au moins 4), elle est moins importante dans d’autres pays, et en particulier en Chine (durée totale de l’examen par rapport à l’ensemble des demandes divisée par un peu moins de 2) ou aux États-Unis (durée totale de l’examen par rapport à l’ensemble des demandes divisée par environ 1,3 seulement, correspondant à seulement environ 5 mois d’écart).

Figure 2

Cette différence entre l’effet variable mais significatif d’accélération du début de l’examen et l’effet parfois moins important sur la durée totale de la procédure pourrait potentiellement s’expliquer par l’existence de procédures d’examen PPH longues et compliquées, reflétant pour ces dossiers une absence de simplification de l’examen. Le paragraphe suivant examine justement cette question.

Effet de simplification de l’examen.

Les statistiques officielles données par certains offices pour la période entre juillet et décembre 2017 comprennent également des données quant au pourcentage de demandes faisant l’objet d’une délivrance directe et quant au nombre moyen de lettres officielles au cours de l’examen.

Pour ces deux paramètres, la situation des demandes examinées selon le PPH est généralement plus favorable que celle de l’ensemble des demandes. Il reste cependant à déterminer si cette situation plus favorable est liée au dépôt d’une requête PPH ou simplement à la nature du dossier. En effet, pour répondre précisément à cette question, il faudrait pouvoir comparer ces paramètres entre les demandes examinées selon le PPH et les demandes pour lesquelles aucune requête PPH n’a été déposée, malgré l’existence d’une opinion positive émise par un autre office. De telles statistiques ne sont cependant pas disponibles.

Il est néanmoins possible de tirer quelques enseignements des statistiques mises à disposition par l’office japonais.

Ainsi, bien que plus élevés que pour l’ensemble des demandes, les pourcentages de délivrance directe pour les demandes examinées selon le PPH restent faibles devant les offices les plus exigeants tels que les offices américains, japonais et sud-coréens (généralement <25% pour les PPH, contre environ 5-15% pour l’ensemble des demandes entre juillet et décembre 2017, voir Figure 3). De plus, devant ces mêmes offices, le nombre moyen de lettres officielles des demandes examinées selon le PPH n’est que très légèrement inférieur à celui de l’ensemble des demandes (voir Figure 4).

Figure 3
Figure 4

Cela semble indiquer que, devant ces offices réalisant un examen approfondi, si l’Examinateur examinant une demande selon le PPH tient compte de l’examen réalisé par l’office d’examen antérieur, il réalise cependant un examen complet des conditions de brevetabilité de son pays, appréciées selon la pratique locale. En absence d’harmonisation internationale concernant l’appréciation des conditions de brevetabilité, il n’est alors pas surprenant qu’un effet très limité de simplification de l’examen soit observé.

A contrario, des pourcentages de délivrance directe assez et même parfois très élevés ont été observés entre juillet et décembre 2017 pour les demandes examinées selon le PPH dans certains pays, tels que Israël (>50%), le Mexique (45-65% selon le type de PPH), la Malaisie (>75%), la Nouvelle-Zélande (100% pour les PCT-PPH), ou la Russie (>70%). Cela suggère que le dépôt d’une requête PPH conduit actuellement dans ces pays pour une proportion importante des demandes à un examen simplifié. A cet égard, il convient de noter que certains de ces pays possèdent par ailleurs des possibilités d’examen modifié sur la base d’un brevet délivré (Israël ou Malaisie) ou ont l’habitude de se fonder sur une opinion positive d’un office réalisant un examen approfondi (Mexique).

Il semble donc que l’effet de simplification de la procédure d’examen soit variable selon les pays, plusieurs pays tenant compte de l’examen antérieur mais conduisant cependant un examen complet et minutieux (peu ou pas d’effet de simplification), tandis que d’autres se contentent la plupart du temps d’un examen simplifié.

De plus, notre expérience interne suggère que l’effet de simplification de l’examen peut également varier dans certains pays en fonction du domaine technique dans lequel se situe l’invention, ajoutant encore un niveau supplémentaire de complexité.

Conclusion.

Il ressort de ce qui précède que si l’éventail des possibilités s’est accru concernant les examens accélérés au titre du PPH, cela ne permet pas nécessairement de simplifier la tâche des déposants. En effet, les conditions d’éligibilité, l’effet d’accélération et l’effet de simplification de la procédure varient en fonction des pays, et parfois des domaines techniques.

Sachant que le dépôt d’une requête PPH représente une étape optionnelle, qui sans être excessivement onéreuse implique néanmoins un coût additionnel, il convient de sélectionner avec attention les situations dans lesquelles un tel dépôt est pertinent.

Lorsque le déposant cherche avant tout à accélérer la procédure d’examen, le dépôt d’une requête PPH permettra souvent d’accélérer significativement et à moindre coût le début de l’examen. Néanmoins, lorsque certaines revendications doivent être reformulées pour s’adapter à la pratique locale, lorsque le déposant souhaite également pouvoir ajouter de nouvelles revendications dépendantes, ou lorsque le déposant souhaite obtenir une portée plus large que celle des revendications considérées comme acceptable par l’office d’examen antérieur, le recours à des procédures nationales d’accélération de l’examen pourra être plus efficace.

Enfin, si le déposant souhaite utiliser la procédure PPH pour simplifier l’examen de sa demande devant un nouvel office, alors il devrait se limiter à un petit nombre d’offices, dans lesquels le dépôt d’une requête PPH semble conduire à un examen simplifié.

Cécile PUECH, Conseil Senior REGIMBEAU www.regimbeau.eu puech@regimbeau.eu Avec le support du groupe de travail PPH, comprenant également: Frédérique DURIEUX, Responsable du Bureau de Grenoble durieux@regimbeau.eu Soizic GUINDEUIL, Conseil Senior guindeuil@regimbeau.eu Aurélia VAVASSEUR, Ingénieur brevets. vavasseur@regimbeau.eu