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Inaptitude médicale : quand la médecine du travail induit l’employeur en erreur. Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : vendredi 14 décembre 2018
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L’action des Services de Santé au Travail est très largement codifiée au sein du code du travail et ne devrait soulever aucune difficulté tant les médecins du travail ont l’habitude de traiter selon les process légaux plusieurs centaines ou milliers de dossiers dont la plupart ont les mêmes caractéristiques.
Il arrive pourtant que l’employeur soit induit en erreur, avec conséquences financières et juridiques potentiellement graves, en raison d’irrégularités ou d’interprétations erronées des textes en vigueur par certaines médecines du travail.
Employeurs, prenez garde, soyez vigilants et prenez conseil. Une illustration vaut mieux que de grandes incantations.

Le traitement d’une situation d’inaptitude obéit aux mêmes règles codifiées qu’une autre situation d’inaptitude (à l’analyse médicale près de chaque salarié concerné).

En effet, aux termes de l’article R 4624-42 du code du travail, « le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que : 
1° S’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ; 
2° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ; 
3° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ; 
4° S’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur. 
Les conditions permettant à un médecin de délivrer un avis d’inaptitude sont donc très claires.
"

Et pourtant, si évidentes que soient ces conditions, il a fallu qu’une médecine du travail, qui s’est crue aussi juriste, ait été à deux doigts de mettre l’employeur dans la mauvaise voie.

La situation initiale est somme toute classique : après une visite médicale de reprise après arrêt de travail pour maladie, l’employeur reçoit du médecin du travail un « avis d’inaptitude » comportant des propositions d’aménagement en vue de la recherche de reclassement (« serait apte à un poste sans aucune contrainte physique en particulier au niveau des membres supérieurs (aucun port de charges, pas de nécessité de se tracter à la force des bras pour monter dans les engins …) => poste de type administratif »).

Pour l’employeur, le chemin juridique est clair : la date de l’avis d’inaptitude est le début du délai légal d’un mois pour reclasser le salarié ou le licencier, à défaut de quoi, à l’issue de ce délai, il doit reprendre le paiement du salaire.

Par ailleurs, en droit, le salarié, juridiquement inapte, et qui n’est plus en arrêt de travail, se trouve sans revenu (pas d’IJSS, et pas de salaire, sauf prise de congés payés par exemple).

Il est donc urgent que l’employeur entreprenne les recherches de poste de reclassement, sérieusement et loyalement, afin d’éviter de dépasser le délai d’un mois (et donc la reprise automatique du paiement du salaire), et de trouver une issue au salarié laissé sans revenu : soit paiement d’un salaire après reclassement possible et accepté ; soit versement d’un solde de tout compte après licenciement.

Sauf que, vigilant, l’employeur a observé que l’avis d’inaptitude ne répondait pas au formalisme impératif de l’article R 4624-42 du code du travail, en ce qu’il ne comportait aucune date relative à l’étude de poste, à l’étude des conditions de travail, et à l’actualisation de la fiche entreprise.

L’absence de ces informations laissait supposer que le médecin du travail n’avait pas procédé, comme la loi l’y oblige, à une étude de poste et des conditions de travail, et ce en méconnaissance des 2° et 3° de l’article R 4624-42 du code du travail.

En effet, comment déclarer un salarié inapte si le médecin ne connait ni le poste, ni les conditions de travail ?

Le risque pour l’employeur de poursuivre des recherches de poste de reclassement, ou de licencier le salarié dans de telles conditions, alors qu’il est bien en possession d’un « vrai » avis d’inaptitude contenant de « vraies » recommandations médicales, serait l’irrégularité des démarches entreprises, et l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

L’employeur serait ainsi victime du non-respect, par la médecine du travail, des process légaux qui s’imposent pourtant à elle.

L’employeur, prudent, s’est donc rapproché du médecin du travail qui lui a annoncé qu’il allait effectuer une deuxième visite médicale (ce que ne mentionnait pas l’avis médical d’inaptitude) et respecter le formalisme omis (étude du poste et des conditions de travail, et précision quant à la possibilité pour le salarié de bénéficier d’une formation).

Des questions juridiques se posent à ce stade :
- Quelle est la valeur de l’avis médical d’origine (avant le second avis médical correctif) ? Est-il juridiquement celui qui fait courir les différents délais légaux (délais de contestation de 15 jours ; délai d’un mois pour reclasser ou licencier le salarié) ?
- Ou est-ce le second avis médical qui compte ?
- Et selon la réponse : à quelle date procéder à la reprise du paiement du salaire, ce qui a une importance tant pour l’employeur (qui paie) que pour le salarié (qui reçoit) ?

La lecture de l’avant-dernier paragraphe de l’article R 4624-42 du code du travail permet de répondre à ces questions, et de considérer légitimement que seul le second avis médical est celui dont il faut tenir compte pour l’ensemble des démarches : « s’il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n’excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l’avis médical d’inaptitude intervient au plus tard à cette date ».

Aux yeux de l’employeur, la situation allait donc s’éclaircir : le « vrai » avis d’inaptitude serait celui émis à l’issue de la seconde visite médicale (14 jours plus tard), le premier avis n’ayant été qu’un document d’étape (la première des deux visites permises par l’article R 4624-42 du code du travail).

Pourtant, ce qui paraît évident à la lecture du texte ne l’était pas pour la médecine du travail, interrogée sur ce point. Sa réponse est nette, et, malheureusement, source de confusion : « (…) la 1ère visite est la visite de reprise c’est donc cette 1ère date qui fait foi légalement, la 2ème est une visite à la demande du médecin du travail pour compléter le dossier (étude de poste…) avant de confirmer l’inaptitude. En ce qui vous concerne la recherche de poste part de la 1ère visite (qui pourrait être unique si on avait tous les éléments)  ».

Ainsi, selon la médecine du travail (également exégète des textes juridiques), les délais avaient commencé à courir dès le 1er avis d’inaptitude, pourtant irrégulier au regard des textes visés ci-avant.

Si l’employeur s’était satisfait de cette réponse, ses recherches de reclassement avant la deuxième visite auraient pu être juridiquement sans effet, tout comme la consultation des délégués du personnel ; et il aurait été amené à reprendre le paiement du salaire plus tôt (un mois après la date de la première visite médicale au lieu d’un mois après la date de la seconde visite médicale).

L’employeur ayant pris conseil, il n’a pas considéré valable l’affirmation de la médecine du travail, et en est resté à la lecture de l’avant-dernier paragraphe de l’article R 4624-42 du code du travail, redonnant ainsi à l’ensemble une certaine cohérence.

De fait, le second avis médical émis par le médecin du travail s’est trouvé complet, donc valable, et portait, en outre, des recommandations plus complètes que celles énoncées dans le premier avis, ce qui a permis à l’employeur d’entamer les recherches de poste de reclassement.

On constate que cette situation, pour le moins inédite (mais pas nécessairement inhabituelle pour le praticien des situations d’inaptitude) a pour origine :
• l’ambiguïté, et donc l’irrégularité formelle, de la rédaction par la médecine du travail d’un premier avis d’inaptitude, alors qu’elle aurait dû convoquer le salarié à une seconde visite médicale SANS rédaction d’aucun avis d’inaptitude, et éventuellement le renvoyer, dans l’intervalle, auprès de la médecine de soins (c’est-à-dire le médecin traitant) pour un éventuel arrêt de travail indemnisé jusqu’à la seconde visite médicale, comme cela se voit parfois ;
• l’envoi d’un mail faisant une interprétation juridique erronée de la situation qu’elle a elle-même créée.

Cette situation doit alerter les employeurs sur la nécessité :
• d’avoir un œil critique (dans le sens positif du terme) sur les formulaires d’avis d’inaptitude, parfois utilisés sans précaution suffisante par certaines médecines du travail (qui ne sont pas l’alpha et l’oméga de la connaissance de cette situation très réglementée) ;
• de s’assurer que l’ensemble des éléments obligatoires soient mentionnés ;
• de ne pas hésiter à se rapprocher du Service de Santé au Travail, qui est le seul interlocuteur médical de l’employeur, pour toute situation qui serait mal comprise ;
• et en cas de doute, ou de question laissée sans réponse utile, de prendre conseil.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)
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