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Le barème Macron jugé inconventionnel par le Conseil des Prud’hommes de Troyes. Par Michèle Bauer, Avocat.
Parution : lundi 17 décembre 2018
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Le Conseil de Prud’hommes de Troyes a considéré que le barème dit Macron est inconventionnel. Retour sur cette décision qui fera sans doute "boule de neige". Jamais deux sans Troyes !

Plusieurs ordonnances dites « Macron » ont été publiées à la fin de l’année 2017.

Elles ont considérablement modifié le Code du travail.

L’objectif affiché de ces ordonnances est de résorber le chômage notamment en mettant en place un plafonnement des indemnités que le salarié peut revendiquer au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ou encore en simplifiant la procédure de licenciement et en réduisant les délais de prescription pour agir.

La réalité « du terrain » est tout autre : mettre en place des plafonnements ne réduira pas le chômage.

Un employeur qui aura une visibilité de ce qu’il paiera lorsqu’il enfreindra la loi, n’embauchera pas plus de personnel.

Bien au contraire, il est possible que certains aient moins de scrupules à passer à l’acte et à licencier sans cause réelle et sérieuse.

En effet, en France, il n’est pas possible pour l’employeur de licencier oralement ou encore de licencier sans aucune raison (sans cause) ou pour des prétextes, des fautes futiles. Un licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Durant tous les débats sur les plafonnements, je crois que beaucoup ont confondu, l’indemnité de licenciement avec l’indemnité octroyée pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ce sont deux indemnités différentes qui ont des buts d’indemnisation différents.

- l’indemnité de licenciement est une indemnité qui indemnise la perte d’emploi, qui est octroyée à tout salarié qui a un minimum d’ancienneté (avec les ordonnances huit mois au lieu d’ un an exigé auparavant) et qui est licencié pour cause réelle et sérieuse. Elle se calcule en référence à la loi ou la convention collective. Les modes de calcul sont connus à l’avance par l’employeur. Si le salarié est licencié pour faute grave, il ne pourra pas bénéficier de cette indemnité de licenciement.

- l’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est une indemnité qui est octroyée au salarié par le Conseil de Prud’hommes lorsque l’employeur n’a pas respecté la loi et a licencié pour une cause qui n’est pas réelle ni sérieuse, en bref pour un motif « bidon ». Avant les ordonnances « Macron », les salariés travaillant pour une entreprise de plus de 11 salariés et bénéficiant de plus de deux ans d’ancienneté avait droit à une indemnisation minimum de 6 mois de salaires bruts, il y avait un plancher. Les autres salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté et/ou travaillant pour une entreprise de moins de 11 salariés étaient indemnisés selon le préjudice subi.

Les ordonnances dites « Macron » ont modifiées l’article L 1235-3 du Code du travail en instituant un barème.
Celui-ci est critiquable car il permet tout d’abord à l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse en toute impunité, pouvant calculer le « coût » de son non-respect de la loi. Puis, ce plafonnement est contraire à la réparation intégrale du préjudice subi par le salarié.

C’est pourquoi, le Syndicat des avocats de France a mis en ligne un argumentaire qui pourra être repris par tous les salariés, les délégués syndicaux et bien entendu les avocats qui déposeront une requête devant le Conseil de Prud’hommes pour des licenciements notifiés postérieurement à la publication de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, soit les licenciements postérieurs au 23 septembre 2017.

Cet argumentaire contre le plafonnement a été développé dans cinq affaires devant le Conseil de Prud’hommes de Troyes [1].

Ce dernier a retenu les arguments d’inconventionnalité et a considéré que le plafonnement "Macron" (appelé par beaucoup barème) est inconventionnel et donc inapplicable.

Ces cinq jugements ont été rendus le 13 décembre 2018.

Le Conseil de Prud’hommes indique que :
"L’article L1235-3 du Code du Travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.
De plus ces barèmes, ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables. »

Affaire à suivre, la Cour d’appel sera sans doute saisie ou peut-être pas

On peut espérer un remake de Lonjumeau (rappelez-vous le Conseil de Prud’hommes qui a invalidé le CNE et qui a participé à sa disparition !)

Michèle BAUER Avocate à la Cour Généraliste, titulaire d'un certificat de spécialisation en droit du travail Blog: http://michelebaueravocatbordeaux.fr [Contact-contact@avocatbauer.fr]

[1L’argumentaire SAF téléchargeable ici.

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