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La numérisation de la tenue des registres de mouvements de titres. Par Morgan Jamet, Avocat.
Parution : lundi 17 décembre 2018
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L’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers modernise la pratique de la comptabilisation des titres.

Ce nouveau dispositif n’est à ce stade prévu que dans son principe, ses modalités de mise en œuvre concrètes restant devoir être précisées par un décret en Conseil d’Etat.

Le droit des sociétés, comme d’autres branches du droit avant lui, s’adapte à l’ère numérique.

Le sujet de la comptabilisation des titres connaît actuellement cette mutation.

L’article 94-II de la loi de finances pour 1982 n° 81-1160 du 30 décembre 1981, le décret n°83-359 du 2 mai 1983 et la circulaire d’application du 8 août 1983 ont opéré en droit français la « dématérialisation » des titres financiers, les dispositions définissant les titres ainsi que les modalités de leur comptabilisation figurant désormais dans le Code de commerce et dans le Code monétaire et financier.

Ce sont ces dispositions qui régissent le mode de matérialisation, par écriture, et de comptabilisation des titres émis par les sociétés par actions, dont les sociétés anonymes ou les sociétés par actions simplifiée, telles les actions ou obligations.

Le mode de formalisation de la comptabilisation des titres a été défini de façon très peu précise par les textes.

Il en notamment été ainsi en ce qui concerne le support devant servir à la comptabilisation des titres.

L’article R228-8 du Code de commerce s’étant en effet contenté d’établir le principe de la tenue de registres : « Les registres de titres nominatifs émis par une société sont établis par cette société ou par une personne qu’elle habilite à cet effet. Ils peuvent être constitués par la réunion, dans l’ordre chronologique de leur établissement, de feuillets identiques utilisés sur une seule face. Chacun de ces feuillets est réservé à un titulaire de titres à raison de sa propriété ou à plusieurs titulaires à raison de leur copropriété, de leur bail, de leur nue-propriété ou de leur usufruit sur ces titres. En outre, il peut être tenu des fichiers contenant, par ordre alphabétique, les noms et adresses des titulaires de titres, ainsi que l’indication du nombre, de la catégorie et, le cas échéant, des numéros des titres de chaque titulaire. Les mentions de ces fichiers ne peuvent faire preuve contre celles contenues dans les registres. »

Il résulte de ces dispositions qu’aucune forme particulière n’a été imposée quant au registre devant être tenu pour la comptabilisation des titres nominatifs.

En pratique, la plupart des sociétés, quand elles assurent la comptabilisation des titres émis par elles, pourtant essentielle, le font principalement au moyen d’un registre papier, dit de mouvements de titres, qui peut être paraphé et coté par les services du registre du commerce et des sociétés.

Ensuite, les mentions ayant vocation à être portées sur les registres servant à la comptabilisation des titres n’ont été déterminées que de façon minimale.

Les praticiens se trouvant confrontés à de nombreuses interrogations, auxquelles nous avons tenté de répondre dans un ouvrage [1].

Les dispositions précitées ont récemment été modernisées par l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers, qui restent en l’état devoir être complétées.

L’article L228-1 du Code de commerce prévoit en effet désormais que : « Les valeurs mobilières, quelle que soit leur forme, doivent être inscrites en compte ou dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé au nom de leur propriétaire, dans les conditions prévues par le II de l’article 94 de la loi de finances pour 1982 (n° 81-1160 du 30 décembre 1981) ».

L’article L211-3 du Code monétaire et financier prévoit par ailleurs que : « Les titres financiers, émis en territoire français et soumis à la législation française, sont inscrits soit dans un compte-titres tenu par l’émetteur ou par l’un des intermédiaires mentionnés aux 2° à 7° de l’article L. 542-1, soit, dans le cas prévu au second alinéa de l’article L. 211-7, dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé.

L’inscription dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé tient lieu d’inscription en compte. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles les titres financiers peuvent être inscrits dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé mentionné ci-dessus, présentant des garanties, notamment en matière d’authentification, au moins équivalentes à celles présentées par une inscription en compte-titres. »

L’exposé des motifs du projet de loi ayant vocation à ratifier l’ordonnance en cause indique : « L’ordonnance permet de conférer à l’inscription d’une émission ou d’une cession de titres financiers dans une « blockchain » les mêmes effets que l’inscription en compte de titres financiers. Elle ne crée pas d’obligation nouvelle, ni n’allège les garanties existantes relatives à la représentation et à la transmission des titres concernés. »

Il en résulte que les titres d’une société par action, non admis à la négociation sur un marché réglementé, doivent en principe être inscrits sur un compte tenu par l’émetteur au nom du propriétaire des titres concernés mais pourront désormais l’être dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé.

La possibilité de procéder à une inscription dans un dispositif d’enregistrement partagé demeure en l’état suspendue à un décret en Conseil d’État qui devra venir en préciser les modalités, de telle sorte que l’inscription en compte demeure actuellement toujours la principale possibilité.

Les modalités de retranscription des opérations affectant les titres devraient a priori demeurer les mêmes que celles que nous avons décrites dans l’ouvrage précité (voir note 1), la modernisation réalisée ne paraissant concerner que le support lui-même, numérique et ne paraissant pas susceptible d’emporter de modification du régime de la comptabilisation des titres.

Les praticiens du droit des sociétés surveilleront l’adoption de la loi de ratification de l’ordonnance en cause ainsi que la parution du décret devant venir utilement en préciser les caractéristiques, pour pouvoir, le cas échéant, mettre en oeuvre le nouveau dispositif prévu.

Morgan Jamet Arst Avocats https://cabinet-arst.com/

[1La comptabilisation des opérations portant sur les titres, Edition E-theque, 2018.