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Prud’hommes : la Cour de cassation renforce la protection des salariés qui agissent en justice. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 28 décembre 2018
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Dans 2 arrêts des 21 novembre et 5 décembre 2018, la Cour de cassation renforce les droits des salariés qui agissent en justice.

Ils bénéficient d’une protection contre le licenciement.

Dans le premier arrêt du 21 novembre 2018 (M. Y c/ ATOS), la Cour de cassation affirme que la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture (permettant ainsi la réintégration du salarié).

La Haute juridiction précise aussi dans cet arrêt qu’en cas de réintégration, le salarié a droit à une indemnité égale aux salaires qu’il aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration, les revenus de remplacements ne devant pas être déduits.

Dans le second arrêt du 5 décembre 2018 (M. Y c/ Canal +), elle précise qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié, peu important que la demande du salarié soit non fondée.

Il faut saluer ces 2 arrêts qui renforcent la protection des salariés qui agissent en justice.

1) L’arrêt du 21 novembre 2018 (M. Y c / ATOS, n°17-11122).

1.1) Rappel des faits et de la procédure.

Engagé le 9 février 2005 par la société Atos Euronext en qualité de chef de projet, M. Y a été affecté ultérieurement par avenant auprès d’Atos Origin Malaisie pour une mission de deux ans renouvelable, jusqu’au 30 juin 2012, l’activité informatique de cotation de marché exercée par l’employeur étant reprise par la société Nyse technologies aujourd’hui dénommée Euronext technologies.

Par lettre du 13 août 2012, M. Y a été licencié pour motif personnel ; qu’estimant que son licenciement était nul, il a saisi la juridiction prud’homale.

1.2) Nullité si référence dans la lettre de licenciement à une action en justice envisagée ? oui ! (Pourvoi principal de l’employeur)

La Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité du licenciement, ordonné la réintégration du salarié dans un emploi équivalent en matière de fonction, de responsabilités et de rémunération ainsi qu’à lui verser, en deniers ou en quittance, le montant des salaires entre le 15 novembre 2012 jusqu’à la date de réintégration, sur la base d’une rémunération mensuelle brute de 6 750 euros, revalorisée sur la base de la moyenne des augmentations générales dans l’entreprise depuis 2000 augmentée d’un 13e mois, dont sont à déduire les sommes qui ont été versées à titre de revenus de remplacement.

L’employeur plaidait que seule la référence, dans la lettre de licenciement, à une action judiciaire effectivement engagée par le salarié est susceptible de constituer une atteinte effective au droit d’agir en justice et ce faisant, de justifier l’annulation du licenciement.

L’employeur plaidait aussi qu’en affirmant que la référence à la procédure envisagée par le salarié était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice entraînant à elle seule la nullité du licenciement, la cour d’appel a violé, par fausse application, les dispositions de l’article L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour de cassation rejette cette argumentation.

Elle affirme qu’«  ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait notamment au salarié d’avoir menacé l’employeur d’entamer des procédures à l’encontre de la société, la cour d’appel en a exactement déduit que la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture  ».

1.3) Faut il déduire les revenus de remplacements en cas de réintégration ? Non (Pourvoi incident du salarié)

Au visa de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la Cour de cassation affirme qu’ « il résulte de ces textes qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur ; que le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période  ».

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en ce qu’elle a déduit les sommes perçues à titre de revenus de remplacement.

La Cour de cassation affirme « que la cour d’appel, après avoir prononcé la nullité du licenciement pour atteinte au droit d’agir en justice, ordonne que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration du salarié dans l’entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Les revenus de remplacement ne doivent pas être déduits de l’indemnité de rappel de salaire entre le licenciement et la réintégration.

2) L’arrêt du 5 décembre 2018, n°17-17687 (M. Y c/ Canal +).

2.1) Rappel des faits et de la procédure.

Engagé à compter du 21 mars 1995 par la Société d’édition de Canal plus en qualité de technicien conseil pour occuper en dernier lieu les fonctions de technicien supérieur responsable diffusion, M. Y. a été désigné délégué syndical le 27 janvier 2004 et a exercé son mandat jusqu’en mai 2010 ; qu’à compter de 2009, il s’est plaint d’une différence de traitement ; que le 7 février 2013, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre d’une inégalité de traitement et d’une discrimination ; qu’il a été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre du 28 mars 2013.

La Cour d’appel de Versailles a jugé que le licenciement était nul, et a ordonné la réintégration du salarié au poste de technicien supérieur responsable de diffusion, septième échelon, groupe VI, de le condamner à payer au salarié un salaire mensuel brut de 6 997,53 euros par mois du 1er mars 2017 jusqu’à sa réintégration effective, a dit que le salarié doit bénéficier du septième échelon, groupe VI depuis le mois d’octobre 2015, a condamné Canal + à payer au salarié les salaires qu’il aurait dû percevoir depuis la fin du préavis jusqu’au 1er mars 2017 d’un montant de 275.555,18 euros, sauf à déduire les revenus de remplacement perçus durant cette période dont le salarié devra justifier auprès de la société, a condamné Canal + à payer au salarié les sommes suivantes : 500 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la perte de chance de valoriser les capitaux investis sur le compte PEE, 11.099,45 euros à titre de rappel de participation et d’intéressement pour les années 2014 et 2015, 7.113,99 euros à titre de rappel de participation et d’intéressement pour l’année 2016, et a confirmé le jugement l’ayant condamné à rembourser les indemnités chômage versées au salarié.

2.2) Est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié, peu important que la demande du salarié soit non fondée.

La Cour de cassation affirme « qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié, peu important que la demande du salarié soit non fondée ».

La Cour de cassation relève « qu’ayant retenu que le licenciement pour insuffisance professionnelle était dépourvu de cause réelle et sérieuse et constaté qu’il faisait suite au dépôt par le salarié d’une requête devant la juridiction prud’homale tendant à voir reconnaître une situation d’inégalité de traitement ou de discrimination, la cour d’appel en a exactement déduit, sans méconnaître les règles de preuve, qu’il appartenait à l’employeur d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par le salarié, de son droit d’agir en justice ».

La cour de cassation ajoute « qu’ayant constaté que l’employeur se limitait à soutenir que les griefs invoqués au soutien du licenciement étaient antérieurs à la requête et qu’il serait trop facile pour un salarié de se prémunir d’un licenciement en saisissant les juridictions prud’homales, la cour d’appel a estimé qu’il ne rapportait pas la preuve qui lui incombe, en sorte qu’elle en a exactement déduit que le licenciement prononcé en réaction à l’action en justice introduite par le salarié était nul ».

2.3) Le remboursement des indemnités de chômage ne peut être ordonné en cas de nullité du licenciement.

Au visa de l’article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, la Cour de cassation affirme qu’après avoir constaté la nullité du licenciement, la cour d’appel a condamné l’employeur au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois.

Elle relève qu’en statuant ainsi, alors que le remboursement des indemnités de chômage ne peut être ordonné en cas de nullité du licenciement, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Elle casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles sur ce point uniquement.

Il faut saluer ces 2 arrêts de la cour de cassation qui renforcent la protection des salariés qui agissent en justice.

Source Légifrance :
- C. cass. 21 novembre 2018, n° 17-11122 ;
- C. cass. 5 décembre 2018, n°17-17687.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum