Village de la Justice www.village-justice.com

Le droit malien de la famille discrimine-t-il les femmes ? Par Oumar Kone, Docteur en droit.
Parution : jeudi 27 décembre 2018
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/droit-malien-famille-discrimine-les-femmes,30306.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Note sous l’Arrêt de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 11 mai 2018. [1]

La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a rendu un arrêt le 11 mai 2018 contre la République du Mali pour discrimination et violation de droits à l’égard des femmes.

Dans cette affaire, c’est l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes Maliennes (APDF) et l’Institute for Humain Rights and Development in Africa (IHRDA) qui ont saisi la Cour de céans le 26 juillet 2016 pour voir condamner la République du Mali pour discrimination et violation des droits des femmes.

En substance, les demandeurs ont sollicité de la Cour d’enjoindre à la République du Mali, la modification de son Code des personnes et de la famille (ci-après « CFP ») issu de la Loi n°2011-087 promulgué le 30 décembre 2011. Ils ont estimé que certaines dispositions de ce code portent atteinte aux droits fondamentaux des femmes dont notamment, l’âge minimal de mariage des filles qui doit être de 18 ans révolus et non 16 ans ; la suppression de la dispense d’âge ; la modification des articles 283 à 287 dudit Code pour exiger les mêmes conditions de consentement pour le mariage contracté devant un ministre de culte ; la suppression de la règle de dévolution successorale basée sur la religion qui est inégalitaire entre les héritiers hommes et femmes.

Dans son mémoire en réponse du 28 novembre 2016, la République Mali a soulevé des exceptions tirées de l’incompétence de la Cour et de l’irrecevabilité de la requête pour non-respect du délai raisonnable en la forme et au fond, et sollicité le rejet la demande comme étant mal fondée.

Ainsi, au regard de la question principale posée, à savoir, la violation des droits fondamentaux des femmes et de l’enfant et la discrimination à leur égard, la Cour a jugé qu’eu égard les dispositions incriminées du CFP du Mali et les dispositions pertinentes des différentes chartes relatives au respect des droits fondamentaux et au principe de non-discrimination, que la République du Mali avait violé les dispositions des chartes en cause. Elle a par conséquent condamné le Mali à modifier son code pour se conformer aux exigences internationales par lui signées.

Cette décision est une première pour cette Haute juridiction africaine qui, à bien des égards, est une leçon pour l’ensemble des États membres qui ont une législation fortement inspirée ou influée par la religion sur certains points relatifs à l’état des personnes. De même, les juges d’Arusha ont fait de la pédagogie pour examiner point par point en mettant en exergue tous les éléments factuels de nature à incriminer la République du Mali.

La compétence de la Cour pour juger d’une telle affaire n’étant pas d’une aide utile pour la compréhension de cet arrêt, comme la question du non-épuisement des voies des recours internes, nous examinerons les violations alléguées relatives aux conditions de mariage (I) avant d’analyser les violations relatives au droit des successions à l’égard des femmes et des pratiques traditionnelles qui nuisent aux droits des femmes et des enfants (II).

I. Les violations relatives aux conditions du mariage en République du Mali.

On entend par mariage, selon le droit malien, l’union d’un homme et d’une femme résultant d’un accord de volontés donné selon des formes solennelles et dont les conséquences sont impérativement fixées par la loi. Ainsi, le mariage se forme comme un contrat par la volonté des époux et ses effets sont définis par la loi comme une institution. Parmi les conditions de fond exigées pour que le mariage soit valable, il y a la différence de sexe prévue par le Code des personnes et de la famille, l’âge requis pour les futurs époux ainsi que le consentement des futurs époux.

Dans l’espèce qui nous concerne, les demandeurs ont attrait la République du Mali devant la Haute Cour d’Arusha pour violation de diverses chartes africaines dont le Mali est partie relative aux conditions devant être remplies par ses citoyens pour se marier. La première violation ici invoquée par les requérants est relative à l’âge requis par la femme pour se marier (A) et la seconde à l’absence de consentement lors de la célébration du mariage devant un ministre de culte (B).

A. L’âge requis pour pouvoir se marier pour les femmes est contraire au protocole de Maputo.

Aux termes de l’article 281 CPF précité, l’âge requis pour pouvoir se marier au Mali est de 18 révolus pour l’homme et 16 ans révolus pour la femme. Pour les requérants, cet âge est porté à 18 ans et pour l’homme et pour la femme de façon identique par la charte de Maputo en son article 6-b .

Pour justifier sa décision, la Cour s’est fondée d’une part, sur les statistiques de la Banque mondiale sur le Mali entre 2012 et 2013. Il ressort de ces statistiques que 59,9% des femmes ont contracté mariage avant l’âge de 18 ans et qu’il s’agit d’un phénomène inquiétant sur le mariage précoce. D’autre part, elle s’est fondée sur l’article 1-3 de la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant aux termes duquel, « Toute coutume, tradition, pratique culturelle ou religieuse incompatible avec les droits, devoirs et obligations énoncés dans la présente Charte doit être découragée dans la mesure de cette incompatibilité ».

En l’espèce, la Cour n’a fait que constater la violation de ces dispositions sans prendre en compte les considérations sociologiques et culturelles du Mali. Au demeurant, peut-on considérer vraisemblablement que la question d’âge (soit 16 ans) constitue-t-elle une tradition voire une pratique culturelle néfaste de nature à porter atteinte à la dignité de la femme, à son bien-être ou une discrimination ?

La réception par le droit malien de la sociologie et de l’histoire du droit nous enseigne que cette pratique ancestrale a continué en France depuis son Code civil de 1804 jusqu’en 2006 où, l’âge de la femme était de 15 ans soit plus de 200 ans de pratique.

A notre avis, contrairement à ce qu’affirme la Cour, cette pratique ne peut pas être considérée comme de nature à porter atteinte à la dignité de la femme ou à son bien-être.
Cependant, nous rejoignons la Cour dans sa démarche lorsqu’elle affirme par ailleurs que la pratique constitue une discrimination. En effet, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « apport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » tel le cas d’espèce.

Ainsi, la Cour aurait dû motiver davantage sa décision sur ce volet à un moment où le Mali prône l’égalité entre homme et femme dans son droit interne.

De plus, comme l’ont si bien soulevé les demandeurs, la Cour aurait dû mettre un accent particulier sur la question des violences avérées sur les femmes, sur les mariages forcés que sont susceptibles de subir les femmes à l’âge de 16 ans. En effet, à cet âge, il est constant que la jeune fille se trouve être dans une situation de vulnérabilité totale dans une société fortement traditionnaliste, à la merci de violences psychologiques, sexuelles et ou domestiques. Ceux-ci auraient étoffé davantage la motivation de sa décision et parachevé sa démarche pédagogie à l’attention de l’ensemble des États membres.
Cet âge ne correspondant pas également avec l’âge de la majorité civile, il est fort à douter qu’en l’état, la jeune fille puisse donner valablement son consentement lucide et exempt de tout vice.

B. L’absence de consentement lors de la célébration des mariages par devant les ministres du culte.

Aux termes de l’article 300 CPF, compétence est donnée aux ministres du culte, à côté des officiers d’état civil, pour célébrer les mariages. En affirmant au paragraphe 79 de l’arrêt qu’aucune « disposition de cette loi (CPF) ne prévoit la vérification du consentement des époux par les ministres du culte », les requérants et la Cour ont fait une lecture trop simpliste des dispositions pertinentes du CPF en la matière. En effet, il ressort de l’article 283 de ce Code qu’ « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement » et l’article 300 pour sa part, prévoit que « le mariage est célébré publiquement par le ministre du culte sous réserve du respect des conditions de fond du mariage et des prohibitions édictées dans le présent titre ».

Dès lors, si le mariage est célébré publiquement par le ministre du culte en respectant les conditions de fond du mariage dont l’échange de consentement entre les époux voire la vérification des consentements par celui-ci en cas d’empêchement des époux, il ne saurait être reproché à la République du Mali d’être en déphasage avec la Charte africaine des droits de l’homme et ses divers protocoles. Si effectivement dans la pratique, il est constant que lors de la célébration des mariages par les ministres du culte, les époux sont très souvent absents, cela ne suppose pas que cela est prévu dans la loi malienne. Il appartient aux autorités compétentes de contrôler l’exécution normale de ces dispositions par les ministres du culte qui ne respectent pas ses formalités indispensables.

La seule référence faite à l’article 283 CPF selon lequel le consentement doit être donné oralement devant l’officier d’état civil ne présuppose pas qu’il en est autrement devant les ministres du culte qui, au moment de la célébration du mariage, endosse la qualité et le rôle d’officier d’état civil.

En ce sens et eu égard à ce qui vient d’être exposé, le droit malien est conforme à l’article 6-a du Protocole de Maputo, le contrôle de l’exécution des normes internes ne relevant pas de la compétence de la Haute Cour.

De même, la Cour sans tirer tous renseignements utiles des dispositions du Code des personnes et de la famille du Mali relatives au consentement au mariage, se contente d’affirmer au paragraphe 90, qu’au regard des articles 2.1-a et 6 du protocole précité et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discriminations à l’égard des femmes, le Mali a violé les articles 10 et 16 de cette convention. Pour autant, le droit malien est bel et bien conforme à ces prescriptions.

En clair, que ce soit devant l’officier d’état civil et par ricochet devant les ministres du culte, la loi malienne prévoit expressément que le consentement des futurs époux doit être donné. Seule une mauvaise interprétation des textes dira le contraire.
Par ailleurs, la Cour argue également dans sa décision que le droit malien est contraire à ses engagements internationaux en matière de succession.

II. Le Mali viole le droit à la succession pour les femmes et les enfants ainsi que l’élimination des pratiques qui les nuisent ?

L’arrêt de la Cour d’Arusha affirme de façon explicite que le droit malien est contraire au Protocole de Maputo sur le droit à la succession pour les femmes et les enfants (A) et qu’il ne lutte pas suffisamment contre les pratiques néfastes qui nuisent ceux-ci (B).

A. Les règles successorales concernant les femmes et les enfants sont-elles contraires au Protocole de Maputo ?

Aux paragraphes 96 et suivants de sa décision, la Cour estime que la République du Mali viole le droit à la succession pour les femmes et les enfants. Pour la Cour, une lecture intelligible de l’article 751 du CPF laisse entendre que la succession est dévolue selon les règles de droit islamique.

Ainsi, l’article 751 CPF dans son articulation, donne le choix aux héritiers d’opter pour la dévolution de la succession du de cujus selon les règles du droit islamique, coutumier ou selon les prescriptions du Code en question. Il ne s’agit pas ici d’une application automatique des règles religieuses par préférence à la coutume ou au droit étatique. D’ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 751CPF pose des conditions devant être remplies pour voir la succession dévolue selon la religion ou selon la Coutume.

En posant comme principe que c’est le Code qui s’applique sauf si la religion ou la coutume du défunt est établie par écrit ou par témoignage, le Mali affirme son attachement à la primauté du droit étatique par préférence étant une république laïque et à la dernière volonté du défunt. A cet effet, une lecture a contrario des dispositions susvisées supposerait qu’elles soient contraires à la Constitution malienne en raison du principe de la laïcité.

Dès lors, il serait difficilement soutenable que la loi malienne viole l’article 21 du Protocole de Maputo dans son esprit, l’article 753 prévoyant que « les parents du défunt au même degré ont les mêmes droits. Ils succèdent par égale portion et par tête ». Concernant la femme mariée, l’article 770 CPF prévoit qu’ « est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé contre lequel n’existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée » et l’article 769 ajoute que « la succession est dévolue par la loi aux parents et aux conjoints successibles du défunt ».

Eu égard à tout ce qui précède, le droit malien ne peut être considéré comme discriminant les femmes et les enfants a fortiori contraire aux prescriptions de l’article 21 du protocole précité. La Cour a manqué de pédagogie sur ce point et par-dessus a fait une mauvaise interprétation de la loi malienne par rapport à la Charte.

Cependant et nonobstant ce qui précède, pour éviter toute interprétation de ces dispositions et en raison du principe de laïcité, l’article 751 mérite d’être réécrit.
Par ailleurs, dans une perspective de modification de la loi malienne, il serait souhaitable que le législateur clarifie davantage l’article 771 sur le partage. Ce partage à part égale et par tête quel que soit le sexe est uniquement valable si la succession est dévolue selon le droit. L’enfant naturel ne saurait être sanctionné pour une faute commise par son auteur et ce fait, même si le partage doit être fait selon les règles religieuses ou coutumières, il y a lieu de lui réserver la même part que les enfants légitimes et ce, à titre de dérogation. A titre de comparaison, cette même pratique était en vigueur en France jusqu’en 2001 où la France avant d’être abrogée en 2001. Aucune distinction n’existe dès lors, entre enfant légitime et enfant adultérin en matière successorale.

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France estimant que « le but légitime de protection des droits successoraux des enfants légitimes de la mère du requérant ne prévalait pas sur la prétention de ce dernier d’obtenir une part de l’héritage litigieux et que la différence de traitement à son égard était discriminatoire, n’ayant pas de justification objective et raisonnable ».

C’est ce même raisonnement qui doit pousser le législateur malien à prévoir des dérogations voire des exceptions lorsque la succession est dévolue selon les règles religieuses ou coutumières pour une meilleure protection des enfants naturels. Cela aura l’avantage de ne plus punir ces enfants du fait de leur naissance et d’éviter toute pratique de nature à leur nuire.

B. Le Mali viole-t-il l’obligation d’éliminer les pratiques ou attitudes traditionnelles qui nuisent aux droits de la femme et de l’enfant ?

Dans le paragraphe 116 de l’arrêt, la Cour africaine juge que le Mali, en adoptant le Code des personnes et de la famille, « fait preuve d’une manque de volonté d’éliminer les attitudes et pratiques traditionnelles qui nuisent aux droits des femmes/filles, enfants naturels ». Le mariage précoce, l’absence de consentement au mariage, l’inégalité successorale sont des attitudes ou pratiques contraires à l’article 1er-3 de la Charte africaine des droits et au bien-être de l’enfant.

Ces points ayant déjà été analysés, il serait redondant de les reproduire ici. Des propositions ont été formulées en ce sens afin de faciliter la lisibilité des textes en cause.
En tout état de cause, l’esprit du législateur ne suivant pas prou la lettre des textes incriminés en plus des erreurs d’appréciations des demandeurs à la requête ayant conduit la Cour à considérer la violation des différentes chartes africaines, cette ambigüité doit être corrigée ; l’institution de la famille n’étant pas ou devant pas être figée que ce soit sur le plan historique, sociologique ou juridique.

Avec l’unification du monde par les réseaux sociaux, les pratiques traditionnelles dans la société malienne régressent constamment. Ce qui était valable et imposée hier, ne l’est pas aujourd’hui. Le droit malien est conforme à l’article 16.1-a de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes qui prône l’égalité entre homme et femme. Nous n’ignorons pas les retards accusés par le Mali dans la mise en œuvre concrète de ses dispositions dues aux pesanteurs socioculturelles ou religieuses. Ce qui est sûr, l’internationalisation du monde aura raison sur certaines pratiques en Afrique en général et au Mali en particulier sans qu’il soit besoin de procéder par contrainte. D’ores et déjà, la femme choisit quasiment en toute liberté son conjoint et donne pleinement son consentement sans violence.

En définitive, cet arrêt de la Cour africaine est salutaire en ce qu’il pourrait faire bouger les lignes sur les points évoqués, dans le sens des chartes africaines qui permettrait au Mali de procéder à des modifications pour concorder l’esprit des textes à leurs lettres.
Cela étant, il n’en demeure pas moins que dans leur décision, les sages ont manqué souvent de pédagogie pour interpréter souverainement en tenant compte de l’histoire et de la sociologie de la société malienne ainsi que de l’évolution de son droit.

Oumar KONE Docteur en droit de l'Université de Strasbourg Maître-assistant à la Faculté de droit privé, Bamako, MALI

[1Requête n°046/2016, Association pour le Progrès et la défense des droits des femmes maliennes (ADPF) et Institute For Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c/ La République du Mali.