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Salarié protégé et licenciement pour inaptitude : que demander devant le juge judiciaire ? Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : jeudi 3 janvier 2019
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Le salarié protégé, licencié pour inaptitude à son emploi après autorisation de l’Inspection du travail peut solliciter du juge judiciaire la reconnaissance des manquements de son employeur, à l’origine de son inaptitude. Dans un arrêt du 17 octobre 2018 [1], la Cour de cassation est venue rappeler l’articulation des pouvoirs entre le juge judiciaire et le juge administratif en matière de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé.

1) Rappel des faits et de la procédure.

En l’espèce, Monsieur X a été embauché par la société d’expertise comptable Palmese et associés à compter du 1er juillet 2001 en qualité d’Assistant confirmé.

A compter de mars 2012, Monsieur X exerce les fonctions de conseiller du salarié.

Après avoir été victime de plusieurs accidents du travail suite à des altercations avec l’un de ses collègues, Monsieur X a saisi, le 17 avril 2014, le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

En avril 2015, Monsieur X se présente comme candidats aux élections des délégués du personnel.

Le 17 juin 2015, Monsieur X est déclaré inapte par la médecine du travail à son emploi d’assistant confirmé.

Le 12 octobre 2015, après autorisation de l’Inspection du travail, Monsieur X est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La Cour d’appel de Nîmes, dans son arrêt du 14 mars 2017, a considéré qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur les demandes afférentes à un licenciement nul ou abusif.

En revanche, la Cour d’appel de Nîmes s’est prononcée sur les manquements de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, estimant qu’il « appartient à la juridiction prud’homale d’examiner les demandes de dommages-intérêts formées au titre des fautes commises par l’employeur pendant la période antérieure au licenciement lorsque les manquements invoqués par le salarié n’ont pas été pris en considération par l’autorité administrative dans le cadre de la procédure d’autorisation ».

2) Portée de l’arrêt du 17 octobre 2018.

a) Le juge judiciaire n’est pas compétent pour se prononcer sur une demande résiliation judiciaire d’un salarié protégé licencié pour inaptitude.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, le salarié protégé avait, dans un premier temps, saisi le Conseil de prud’hommes afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Bien que le salarié ait été licencié pour inaptitude, après autorisation de l’Inspection du travail (confirmée par le Ministre du travail), il a malgré tout sollicité du Conseil de prud’hommes qu’il se prononce sur la résiliation judiciaire.

Néanmoins, au visa de la loi des 16-24 août 1790 ensemble le principe de séparation des pouvoirs, l’article L. 2421-3, alors applicable, et l’article L. 4121-1 du code du travail, la Cour de cassation rappelle que le juge judiciaire ne saurait remettre en cause la validité d’un licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, et ce quand bien même cette inaptitude aurait pour origine des manquements de l’employeur.

Par cette décision, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure [2] qui distingue le régime applicable au salarié protégé et au salarié non protégé.

En effet, le salarié non protégé qui saisit le Conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire et qui fait, ensuite, l’objet d’un licenciement pour inaptitude, conserve la possibilité de solliciter du juge prud’homal qu’il statue sur sa demande de résiliation judiciaire avant d’analyser le licenciement pour inaptitude.

Du fait de la séparation des pouvoirs, et de l’intervention d’une décision de l’autorité administrative, cette possibilité est exclue pour le salarié protégé.

b) Le juge judiciaire est compétent pour constater les manquements de l’employeur ayant entrainé l’inaptitude.

Dans son arrêt du 17 octobre 2018, la Cour de cassation rappelle que, dans le cadre d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude, l’autorité administrative ne recherche pas la cause de l’inaptitude.

En effet, l’Inspection du travail n’a pas à rechercher, dans le cadre de sa décision, si l’inaptitude du salarié est due à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ou à une situation de harcèlement moral. [3]

L’Inspection du travail doit uniquement rechercher si l’inaptitude du salarié est réelle et si elle justifie le licenciement du salarié. [4]

Dès lors, l’autorité administrative ne s’étant pas prononcée sur des éventuels manquements de l’employeur à ses obligations, le juge judiciaire reste compétent.

Ainsi, le juge judiciaire, même en présence d’une autorisation de licenciement définitive, peut analyser si l’inaptitude a pour origine une situation de harcèlement moral ou encore un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et ordonner l’indemnisation du salarié sur ce fondement.

En outre, cette solution s’applique également en matière de licenciement pour motif économique.

Ainsi, dans un arrêt du 29 septembre 2010 [5], la Cour de cassation a retenu que le juge judiciaire ne pouvait se prononcer sur une demande d’indemnisation « fondée sur des manquements de l’employeur liés à la fermeture de l’établissement » dès lors que l’Inspection du travail s’était déjà prononcée à ce titre.

c) Le juge judiciaire est compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et sur le préavis.

Dans son arrêt du 17 octobre 2018, la Cour de cassation rappelle qu’il appartient au juge judiciaire, en présence d’une autorisation de licenciement pour inaptitude, de faire droit, le cas échéant, « aux demandes de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement » formulées par le salarié.

En effet, outre les demandes liées à une situation de harcèlement moral, ou de non-respect de l’obligation de sécurité de résultat, le juge judiciaire peut également se prononcer sur les demandes indemnitaires du salarié liées à son licenciement.

Notamment, dans un arrêt du 29 juin 2017 [6], la Cour de cassation a reconnu la possibilité, pour le salarié protégé licencié pour inaptitude, d’obtenir une indemnité pour perte d’emploi, ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis dès lors que le manquement à l’obligation de sécurité de résultat avait entrainé l’inaptitude.

Cette solution apparait néanmoins originale dans la mesure où, en présence d’une situation de harcèlement moral, le juge judiciaire pourra condamner l’employeur à des dommages et intérêts et à une indemnisation au titre de la perte d’emploi, alors même qu’un licenciement intervenu dans un tel contexte est, en principe, nul.

Par une telle solution, la Cour de cassation permet aux salariés protégés de bénéficier d’une indemnisation similaire à celle des salariés non protégés victimes de harcèlement moral.

En effet, si la Cour de cassation adoptait une solution contraire, cela aurait pour conséquence de priver les salariés protégés d’une indemnisation au titre du harcèlement moral à l’origine de leur licenciement, l’Inspection du travail n’ayant pas à se prononcer sur ces situations. [7]

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1N°17-17.985, publié au bulletin

[2Cass.soc., 29 septembre 2010, n°09-41.127 ; Cass.soc., 13 octobre 2011, n°09-71.272

[3CE, 20 novembre 2013, n°34059.

[4Cass.soc., 15 avril 2015, n°13-21.306.

[5N°09-41.127

[6N°15-15.775