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Le « barème Macron » écarté par le Conseil des Prud’hommes de Troyes. Par Marie Teullet, Avocat.
Parution : vendredi 4 janvier 2019
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Le plafonnement des indemnités prud’homales, introduit par le barème fixé à l’article L.1235-3 du code du travail, est jugé inconventionnel par jugements du 13 décembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes de Troyes, en ce qu’il viole la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

I. Généralités.

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, a modifié l’article L.1235-3 du code du travail afin d’introduire un plafonnement des indemnités prud’homales versées à un salarié en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Existe donc désormais un barème compris entre un minimum et un maximum obligatoires, selon que l’entreprise compte plus ou moins de 11 salariés.

L’objectif affiché était double :
- permettre à l’employeur de pouvoir chiffrer le coût éventuel en cas de litige,
- réduire le nombre des contentieux.

Force est de constater que ces objectifs sont réalisés.

Toutefois, c’était sans compter sur le fait que ce barème fait totalement fi des situations individuelles, tant du point de vue du salarié, que de l’employeur.

Et c’est le droit international qui vient rappeler le principe selon lequel les travailleurs licenciés sans motif valable ont le droit à une indemnisation adéquate.

II. Sur le contrôle de conventionnalité.

Le Conseil de prud’hommes de Troyes a clairement opéré un contrôle de conventionnalité afin d’écarter l’article L.1235-3 du code du travail.

Ainsi il énonce que « si le Conseil Constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la Constitution, le contrôle de conformité des lois par rapport aux conventions internationales appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de Cassation et du Conseil d’État ».

Il juge, sans détour, que l’article L.1235-3 du code du travail viole tant l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, que l’article 10 de la Convention n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur de l’Organisation internationale du travail du 22 juin 1982. Et ce après avoir démontré leur effet direct, et exposé l’interprétation donnée de l’article 24 de la Charte par le Comité européen des droits sociaux dans sa décision du 8 septembre 2016. [1]

Pour mémoire, l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT dispose : « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

Et l’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit : «  En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.
 »

La décision du Conseil de prud’hommes de Troyes est particulièrement motivée, même si elle demeure critiquable.

Le Conseil de prud’hommes de Troyes juge, souverainement, que le barème arrêté par l’article L.1235-3 du code du travail viole les dispositions conventionnelles précitées pour deux raisons.

En premier lieu, le Conseil juge que ce barème « ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ».

En second lieu, le Conseil juge que le barème n’est pas « dissuasif pour les employeur qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié ». Pire, il juge que le barème « sécurise davantage les fautifs que les victimes » et est donc inéquitable.

Il est intéressant de souligner que si le Conseil de prud’hommes de TROYES relève le caractère particulièrement favorable dudit barème pour l’employeur, il note, principalement, le fait qu’il prive le juge de pouvoir apprécier souverainement les situations individuelles et d’indemniser en adéquation les salariés.

Élément qui emporte, de son point de vue, la censure de l’article L.1235-3 du code du travail.

Il n’en demeure pas moins que l’analyse retenue par le Conseil de prud’hommes de Troyes pourrait être remise en cause.

En effet, et notamment, le Conseil s’appuie sur le précédent dégagé par le Comité européen des droits sociaux pour établir qu’un plafond établit à 24 mois de salaire, circonstances de l’espèce soumis au Comité concernant la législation finlandaise, viole l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Or, ce Comité n’est pas une juridiction, et en outre, la législation française est très différente du droit finlandais.

Le droit finlandais ne permet pas, par exemple, la réintégration du salarié, ou encore la non-application du barème en cas de licenciement nul comme c’est le cas en droit français. L’indemnité fixée entre 3 et 24 mois de salaire est applicable à toute hypothèse, même les plus graves, et aucune autre action n’est possible, notamment sur le fondement de la responsabilité civile, pour qu’un salarié soit indemnisé de son entier préjudice.

III. Sur l’insécurité du barème Macron.

Pourtant, c’est la première fois que le plafonnement limitatif instauré par l’article L.1235-3 du code du travail est remis en cause et écarté par les juges.

A cette occasion, on rappellera l’ordonnance du 7 décembre 2017 rendu par le Conseil d’État [2] qui a jugé que le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Mais également la décision du Conseil de prud’hommes du Mans du 29 septembre 2018 [3], pour sa part, que l’article L.1235-3 du code du travail respectait l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT du 22 juin 1982.

Il s’ensuit, alors, une véritable insécurité juridique pour l’employeur.

En l’espèce, la décision du Conseil de prud’hommes de Troyes a eu pour effet d’allouer à un salarié, qui comptait 3 années d’ancienneté, une indemnité équivalente à 9 mois de salaire alors que selon le barème « Macron », il ne pouvait prétendre qu’à 4 mois de salaire maximum.

De sorte qu’il sera intéressant de voir trancher cette question par une cour d’appel et, in fine, la Cour de cassation.

D’autant plus intéressant que par communiqué de presse en date du 20 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Troyes avait jugé nécessaire de réaffirmer son pouvoir juridictionnel face aux propos qu’aurait tenu le Ministère du Travail et publiés le 14 décembre 2018 dans un article du journal Le Monde.

Marie TEULLET Docteur en droit Avocat à la Cour teullet.avocat@gmail.com

[1CEDS 8 septembre 2016 n° 106/2014 Finnish Society Social Rights/Finlande

[2CE ord. 7 décembre 2017, n°415.243

[3CPH, jugement 29 septembre 2018, n°F17/00538 qui avait jugé

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