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Radiation et suppression des allocations chômage : un durcissement applicable dès le 1er janvier 2019. Par Axelle Dodet, Avocat.
Parution : mardi 8 janvier 2019
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Ouvrir un droit aux allocations chômage pour les salariés démissionnaires, instaurer un nouveau système de chômage universel ouvert aux indépendants, en somme, réformer en profondeur le système d’indemnisation du chômage en France, c’est l’une des réformes phares du quinquennat du Président de la République et de son Gouvernement, entamée depuis de nombreux mois.

Alors que la dernière Convention d’assurance chômage date du mois d’avril 2017, la Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » annonce déjà l’organisation de nouvelles négociations afin de repenser l’assurance chômage. Les partenaires sociaux disposent ainsi de quatre mois pour trouver un accord.

A défaut de consensus avant la fin du mois de janvier 2019, le Gouvernement pourra mettre un terme à l’agrément de la Convention d’assurance chômage en vigueur et déterminer par décret en Conseil d’État, les nouvelles mesures applicables en la matière.

Dans cette attente, par le biais d’un décret publié au Journal Officiel du 30 décembre 2018, le Gouvernement a renforcé le pouvoir de contrôle et de sanction des services de l’Institution Pôle Emploi à compter du 1er janvier 2019.

Ces derniers bénéficient désormais de larges pouvoirs (I) en matière de radiation de la liste des demandeurs d’emploi et de suppression des allocations chômage (II), mais également en matière d’application des pénalités administratives (III).

Le décret comporte enfin des précisions relatives aux procédures de notification et de contestation des sanctions, désormais harmonisées (IV).

I. Sur les pouvoirs de sanction octroyés à Pôle Emploi.

Auparavant, les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, de suppression du revenu de remplacement et d’application d’une pénalité administrative relevaient de la compétence de l’autorité administrative, et plus précisément du Préfet.

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018, le Gouvernement octroie désormais les pleins pouvoirs à l’Institution Pôle Emploi dans ces trois domaines [1].

A ce titre, le décret supprime l’obligation de recueillir l’avis d’une Commission - composée d’un représentant de l’Etat, d’un représentant employeur et d’un représentant salarié désignés par les organisations syndicales représentatives au niveau national, ainsi que d’un représentant de Pôle Emploi - préalablement à la suppression d’un revenu de remplacement ou à l’application d’une pénalité administrative [2], laissant ainsi le Directeur régional de Pôle Emploi seul et unique décisionnaire des mesures à prendre pour sanctionner le non-respect de leurs obligations par les demandeurs d’emploi.

II. Sur les manquements justifiant la radiation de la liste des demandeurs d’emploi et la suppression du revenu de remplacement. [3]

La mesure de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, justifiée par la constatation d’un ou plusieurs manquements des intéressés à leurs obligations, entraîne l’exclusion de ces derniers de ladite liste durant une période déterminée [4]. Elle peut être également accompagnée d’une suppression des allocations chômage.

Si le décret du 28 décembre 2018 ne modifie pas ces principes, il prévoit toutefois un durcissement de la durée de la radiation en fonction du type de manquement constaté par Pôle Emploi.

Il sera d’ailleurs relevé que le Gouvernement supprime toutes notions de réduction ou de suspension du revenu de remplacement, antérieurement prévues par le Code du travail, pour consacrer le principe de la suppression dudit revenu pour une durée limitée ou définitive [5].

Le demandeur d’emploi peut donc désormais faire l’objet d’une radiation et de la suppression de ses allocations chômage en cas d’absence à un rendez-vous avec son conseiller (2.1.), de fausses déclarations quant à sa situation (2.2.), mais également en raison de divers autres manquements d’ores et déjà sanctionnés par l’administration (2.3.).

2.1.L’absence à un rendez-vous sans motif légitime.

Alors que les précédentes dispositions du Code du travail prévoyaient une radiation de la liste des demandeurs d’emploi pour une durée de quinze jours, en cas d’absence non justifiée par un motif légitime du demandeur d’emploi à un rendez-vous prévu avec son conseiller Pole Emploi, la durée de la radiation est désormais portée à un mois.

Le caractère légitime ou non de l’absence relève de l’appréciation du conseiller Pôle Emploi au regard des justifications qui lui sont apportées par le demandeur d’emploi.

Le décret précise également qu’en cas de seconde absence, l’intéressé pourra être radié pour une durée de 2 mois et se voir appliquer une suppression de ses allocations durant cette période [6].

A partir de la troisième absence et au-delà, le demandeur d’emploi sera radié durant quatre mois consécutifs, cette radiation étant également accompagnée d’une suppression du revenu de remplacement.

2.2. L’existence de fausses déclarations par le demandeur d’emploi.

Le décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 ne modifie pas la durée de la radiation dans l’hypothèse où de fausses déclarations auraient été commises/effectuées par le demandeur d’emploi.

En effet, le Directeur régional de Pôle Emploi conserve la possibilité de prononcer une radiation d’une durée comprise entre six et douze mois consécutifs.

Dans une telle situation, mais également en cas d’absence de déclaration, ou de déclaration mensongère du demandeur d’emploi, faites en vue de percevoir indûment le revenu de remplacement, l’Institution pourra supprimer définitivement le versement des allocations chômage [7].

2.3. Les autres manquements justifiant la radiation et la suppression du revenu de remplacement.

Les circonstances suivantes peuvent entrainer le prononcé d’une radiation pour une durée d’un mois :
- le demandeur d’emploi ne justifie pas de l’accomplissement d’actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer, reprendre ou développer une entreprise [8] ;
- le demandeur d’emploi refuse à deux reprises une offre raisonnable d’emploi [9].

Cette mesure de radiation pour une durée d’un mois est également encourue si le demandeur d’emploi n’apporte pas de motif légitime à son conseiller sur les manquements suivants :
- refus d’élaborer ou d’actualiser son projet personnalisé d’accès à l’emploi permettant à son conseiller d’être informé de l’évolution de ses projets [10] ;
- absence de présentation à une action de formation ou abandon de celle-ci [11] ;
- refus de se soumettre à une visite médicale destinée à vérifier son aptitude au travail ou à certains types d’emploi [12] ;
- refus de suivre une action d’aide à la recherche d’une activité professionnelle ou abandon de celle-ci [13].

Le décret précise que la radiation pourra être portée à deux mois consécutifs si le conseiller identifie un nouveau manquement appartenant aux listes précitées, et à quatre mois consécutifs à compter du troisième manquement.

Les radiations prononcées dans le cadre de la répétition de l’un des manquements (deux mois ou quatre mois) seront accompagnées de la suppression des allocations du demandeur d’emploi pour la même durée [14].

Il convient de préciser que pour l’ensemble des manquements mentionnés ci-avant (dans la partie II), l’appréciation du caractère répété des manquements est fonction des nouveaux manquements constatés dans un délai de deux ans.

III. Sur les pénalités administratives. [15]

L’inexactitude ou le caractère incomplet des déclarations faites délibérément par le demandeur d’emploi ainsi que l’absence de déclaration d’un changement dans sa situation ayant entrainé le versement d’allocations chômage indues, peuvent être sanctionnés par une pénalité désormais prononcée par Pôle emploi [16].

Si le décret donne pleine compétence à Pôle Emploi pour recouvrer directement cette pénalité auprès de l’intéressé [17], son montant maximum
(3.000 euros) reste inchangé.

IV. Sur la formulation d’observations du demandeur d’emploi et la contestation des différentes sanctions.

Le décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 est venu harmoniser et préciser les procédures de notification des sanctions précitées mais également celles permettant au demandeur d’emploi d’en contester le bien-fondé.

4.1.Sur la possibilité de présenter des observations et d’être auditionné.

Si le demandeur d’emploi bénéficiait déjà de la possibilité de formuler des observations écrites préalablement à ce que les sanctions ne soient prises à son encontre, le décret précise que [18] :
- Pôle Emploi doit préalablement l’informer par tout moyen qu’il entend prendre une sanction dont la durée doit être précisée ;
- le demandeur d’emploi dispose désormais d’un délai de 10 jours pour les présenter, lequel est porté à un mois dans le cadre d’une procédure de pénalité administrative [19].

Le demandeur d’emploi bénéficie également de la possibilité d’être directement entendu par le Directeur régional de Pôle Emploi en étant assisté d’une personne de son choix s’il le souhaite.

4.2. Sur le prononcé de la sanction et le contenu de la notification.

Le Directeur régional dispose désormais d’un délai de 15 jours pour se prononcer sur la sanction à appliquer au demandeur d’emploi, et ce, à compter :
- soit de l’expiration du délai de 10 jours imparti au demandeur d’emploi pour formuler ses observations écrites ;
- soit à compter de son audition [20].

La notification de la sanction devra être motivée et indiquer la durée de la mesure prise à l’encontre du demandeur d’emploi.
Elle devra également mentionner les délais et voies de recours dont dispose ce dernier pour con-tester la sanction qui lui est appliquée. A défaut, la notification sera entachée d’un vice de forme.

4.3. Sur la procédure de contestation de la sanction.

Le décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 prévoit dorénavant que la contestation de l’ensemble des sanctions précitées doit être portée préalablement auprès du Directeur régional de Pôle Emploi [21], le Préfet ne disposant plus d’aucun pouvoir de sanction relatif au suivi de la recherche d’emploi.

Toutefois, aucun de ces recours n’est suspensif. Dans ces conditions, la sanction notifiée au demandeur d’emploi est applicable dès sa notification, celui-ci ne pouvant donc solliciter qu’un paie-ment rétroactif des allocations dont il aurait été privé ou des sommes qui auraient été prélevées sur ses revenus de remplacement, au titre de la pénalité administrative.

Maître Axelle DODET Avocat à la Cour

[1Art. 2 du Décret n° 2018-1335 et R.5312-26 Code du travail

[2Abrogation de l’art. R.5426-9 et nouveaux art. R.5426-10 et R.5426-15 Code du travail

[3Art. 3 et 4 du Décret n° 2018-1335

[4Art. R. 5412-5 Code du travail

[5Art. R.5423-6 Code du travail

[6Art. R.5426-3, 1° Code du travail

[7Art. R.5426-3, 3° Code du travail

[8Art. L.5412-1, 1° Code du travail

[9Art. L.5412-1, 2° Code du travail

[10Art. L.5412-1, 3°, a) Code du travail

[11Art. L.5412-1, 3°, b) Code du travail

[12Art. L.5412-1, 3°, d) Code du travail

[13Art. L.5412-1, 3°, e) Code du travail

[14Art. R.5426-3, 2° Code du travail

[15Art. 5 et 6 Décret n° 2018-1335

[16Art. L.5426-5 Code du travail

[17Art. R.5426-20 Code du travail

[18Art. R.5412-7, R.5426-8 et R.5426-17 Code du travail

[19Art. R.5426-17 Code du travail

[20Art. R.5412-7-1, R.5426-10 et R.5426-17 Code du travail

[21Art. R.5412-8, R.5426-11 et R.5426-17-1 Code du travail