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Gilets jaunes et "garde à vue préventive". Par Guillaume Normand, Avocat.
Parution : jeudi 10 janvier 2019
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Lors des différentes manifestations de gilets jaunes, et en particulier à partir du mois de décembre 2018, « Acte III » et postérieurs, a fleurie dans les médias le terme de « garde à vue préventive », sans pour autant que cette notion dans ce contexte n’ait été présentée comme attentatoire au droit et à la procédure pénale.

Or si les mesures de police dites préventives sont admise en matière administratives dans certains cas restrictifs (exemple : interdiction préventive d’un événement si la sécurité ne peut en être assurée), parler de mesure préventive en matière judiciaire relève a priori de l’hérésie.

L’article 62-2 du Code de procédure pénale dispose que « La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs… »

Le déclenchement de la mesure de privation de liberté appartient à l’Officier de Police judiciaire (OPJ), il faut ici préciser que nombre de membres des forces de l’ordre ont cette qualité « par délégation » c’est-à-dire sans avoir pour autant le grade d’officier. Aussi en pratique un policier ayant la qualité (et non le grade) d’OPJ, pourra placer légalement quiconque en garde à vue si tant est que les critères de l’article 62-2 soient réunis.

« L’autorité judiciaire » sous le contrôle le laquelle agissent les OPJ en question est le procureur de la République (ou parquet).

L’article 62-2 est clair, et s’il est parfaitement légal de placer une personne à l’encontre de laquelle il existe des éléments de soupçon qu’elle ait commis ou tenté de commettre une infraction (la tentative étant une infraction en tant que telle), cet article ne dit pas qu’il est loisible pour un OPJ de placer une personne en garde à vue s’il dispose de soupçons quand au fait qu’elle va commettre une infraction.

Toutefois il faut observer que le droit pénal a dans son Histoire récente connu des évolutions consacrant l’existence de délits qui seraient constitués avant passage à l’acte. C’est le cas de l’association de malfaiteur (art 450-1 du Code pénal), et la loi dite contre les violences de groupe : « participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens » (art 222-14-2 du Code pénal).

Or il est constant que, notamment le 8 décembre 2018, jour de l’« acte IV » de manifestation des gilets jaunes, différents Parquets ont donné pour instructions aux OPJ agissant sous leur contrôle de procéder à les placements en garde à vue en ayant une vision particulièrement extensive l’article 22-14-2 du Code pénal.

Sont convoquées devant le Tribunal correctionnel pour participation à un groupement préparant des violences, plusieurs personnes auxquelles il est fait reproche d’avoir : détenu dans leur véhicule qui se rendait à Paris lors du contrôle à 6 h 30 du matin à un péage autoroutier, à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale, un gilet jaune et un casque de chantier…

Chacun sait que la possession du gilet est une obligation dictée par le Code de la Route depuis 2015, en son Article R416-19 ; quant au casque de chantier il ne saurait être un élément permettant de qualifier la moindre préparation.

Ces gardes à vue préventives, dont il faut espérer que Tribunaux ne manqueront pas de prononcer la nullité, ont notamment eu pour effet, au-delà de la privation de liberté de leurs sujets, de court-circuiter l’acheminement de « Gilets Jaunes » avant même qu’ils ne parviennent sur les lieux de manifestation, notamment à hauteur des péages d’autoroute situés à de nombreux kilomètres de la capitale, ou dès leur arrivée dans les gares parisiennes, réduisant en cela les contingents de manifestants.

Me Guillaume Normand Avocat au barreau de Paris