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Chauffeurs Uber, tous salariés ? Par Mathieu Lajoinie, Avocat.
Parution : mardi 15 janvier 2019
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L’année commence mal pour Uber ! Selon la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 janvier 2019, le lien qui unissait un ancien chauffeur indépendant à la plateforme de réservation en ligne est bien un « contrat de travail ». Cas isolé ou risque de requalification en cascade ?

Attardons nous dans un premier temps sur une notion essentielle qui est celle du contrat de travail.

La loi ne donne pas de définition du contrat de travail. Du point de vue du code civil (article 1106 du code civil), le contrat de travail est ce qu’on appelle un contrat synallagmatique, c’est-à-dire celui par lequel deux contractants, l’employeur et le salarié, s’obligent réciproquement.

En se référant à la doctrine et à la jurisprudence, on peut dire que le contrat de travail est un contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne, moyennant rémunération.

Trois éléments caractérisent donc le contrat de travail :
- la fourniture d’un travail,
- le paiement d’une rémunération,
- l’existence d’un lien de subordination juridique.

Cependant, la réunion des deux premiers éléments n’est pas suffisante. L’accomplissement d’un travail moyennant rémunération peut faire en effet l’objet d’autres contrats. Par contre, la notion de subordination juridique est spécifique du contrat de travail.

Depuis un arrêt du 13 novembre 1996, la jurisprudence donne une définition de la subordination juridique commune au droit du travail et de la Sécurité sociale.

Le lien de subordination se caractérise par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » [1].

Cela est précisément le point qui nous occupe concernant les chauffeurs Uber. Ces derniers sont-ils sous l’autorité de la société Uber ? A-t-elle le pouvoir de leur donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements des chauffeurs ?

A cette interrogation, la Cour d’appel mentionne « un faisceau suffisant d’indices » qui caractérise, selon elle, « le lien de subordination » liant le chauffeur à la plateforme. Plus précisément, la Cour explique notamment qu’« une condition essentielle de l’entreprise individuelle indépendante est le libre choix que son auteur fait de la créer (…), la maîtrise de l’organisation de ses tâches, sa recherche de clientèle et de fournisseurs ». Elle rappelle que le conducteur s’est engagé auprès d’Uber en signant un « formulaire d’enregistrement de partenariat », mais aussi en obtenant « sa carte professionnelle de conducteur de VTC » et en s’inscrivant « au registre Sirene, en tant qu’indépendant ».

Or, il ressort de l’arrêt de la Cour d’appel que le chauffeur Uber n’a pu se « constituer aucune clientèle propre », possibilité interdite par Uber, et ne fixait « pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ». En outre, la Cour précise que Uber exerçait un « contrôle » sur lui dans la mesure où « au bout de trois refus de sollicitations, [le chauffeur reçoit] le message : “Êtes-vous encore là ?” »

Plus encore, la Cour indique également que si un chauffeur décide de se déconnecter, la plateforme « se réserve le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation » de l’application. Cette pratique a « pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non », détaille la Cour.

Par cet arrêt, qui comporte une dimension morale évidente, se pose incontestablement la question de la nature d’Uber, dont l’écosystème et le modèle stratégique se base sur la logique de contrats indépendants, dont l’éventuel lien de subordination avec la plateforme a souvent été pointé du doigt dans différents pays.

Le modèle économique d’Uber est d’autant plus mis en cause que cet arrêt intervient deux mois après celui de la Cour de cassation qui avait établi en novembre un lien de subordination entre la société de livraison de repas Take Eat Easy et l’un de ses coursiers à vélo.

Mathieu Lajoinie Avocat au barreau de Paris www.avocat-lajoinie.fr contact@avocat-lajoinie.fr

[1Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187.