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Quel impact d’un Brexit sans accord de retrait au 30 mars 2019 sur vos actifs PI ? Par Evelyne Roux et Christian Texier, CPI.
Parution : jeudi 17 janvier 2019
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Les députés britanniques ont rejeté massivement l’accord négocié de sortie de l’UE par 432 voix contre 202, ce mardi 15 janvier 2019. Un Brexit prenant effet le 30 mars 2019 [1], sans accord de retrait, est donc désormais le scénario le plus probable.

Certes tout reste encore possible, y compris un changement de gouvernement britannique et/ou un nouveau référendum.

De façon pragmatique la date du Brexit peut être repoussée. L’article 50 du Traité de l’Union Européenne prévoit par exemple que le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, soit en l’espèce le Royaume-Uni, peut décider de proroger ce délai. Ceci exige néanmoins l’unanimité du Conseil.

Un nouvel accord de retrait peut encore être trouvé. Mais vu la déclaration politique du Conseil européen du 13 décembre 2018 selon laquelle « L’Union s’en tient à cet accord et entend procéder à sa ratification. Il ne peut être renégocié. », la marge de manœuvre semble bien étroite.

Il convient donc d’envisager maintenant une possible sortie brutale du Royaume-Uni hors de l’UE. Le 30 mars 2019 au matin le Royaume-Uni se réveillerait pays tiers vis-à-vis de l’Union Européenne.

Une telle sortie sans période transitoire ni encadrement, en réinstituant notamment les frontières et les droits de douanes, aurait évidemment des effets très importants dans certains domaines, par exemple en matière de circulation des personnes et de produits tels que par exemple en matière d’approvisionnement des médicaments.

Une telle sortie brutale aurait-elle des effets en matière de brevet ?

En ce début d’année 2019 l’on peut affirmer que non, un Brexit n’aurait pas d’effet direct en matière de brevet [2].

Un Brexit n’aurait évidemment pas plus d’effet pour tous les brevets déposés en dehors du Royaume-Uni.

Un Brexit n’aurait pas non plus d’effet direct sur les brevets applicables sur le territoire du Royaume-Uni car le Brexit n’aurait d’impact que sur les titres régis par le droit de l’UE, or les titres de brevet aujourd’hui applicables au Royaume-Uni échappent au droit de l’UE.

Les demandes de brevet nationales déposées au Royaume-Uni et les brevets nationaux délivrés au Royaume-Uni ne sont en aucune façon impactés par le Brexit. Ils continueront à être examinés, délivrés et maintenus en vigueur selon les Règles nationales inchangées applicables au Royaume-Uni. L’exercice des droits en découlant n’est pas ailleurs pas impacté et continuera à être mis en œuvre selon les règles connues applicables.

Les Brevets Européens sont délivrés par l’Office Européen des Brevets (OEB) qui est un organe de l’Organisation européenne des brevets, supranational et indépendant de l’Union Européenne. Les Brevets Européens désignant le Royaume-Uni ne sont donc pas non plus impactés par un éventuel Brexit. Ils seront donc examinés et délivrés par l’Office Européen des Brevets conformément aux dispositions inchangées de la Convention sur le brevet européen. La validation et le maintien en vigueur au Royaume-Uni des brevets européens délivrés par l’OEB et qui désignent le Royaume-Uni resteront soumis aux dispositions nationales en vigueur au Royaume-Uni.

En revanche le Brexit pourrait avoir un impact sur la Juridiction Unifiée du Brevet et par ricochet sur le Brevet à Effet Unitaire.

L’Accord International signé à Bruxelles le 19 février 2013 relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet pourrait en théorie entrer en vigueur dès lors que l’Allemagne procéderait à sa ratification dans la mesure où dès à présent 16 États ont ratifié cet accord, dont la France et le Royaume-Uni.

Cependant l’entrée en vigueur de cet Accord à court terme est très incertaine. Elle n’interviendra probablement pas avant 2020.

D’une part il semble impossible que l’Allemagne procède à cette ratification avant que la Cour Constitutionnelle ne se soit prononcée sur un recours présenté en juin 2017 [3].

D’autre part si le Royaume-Uni sort de l’Union Européenne le 30 mars 2019, il est mathématiquement impossible que la Juridiction Unifiée du Brevet entre en vigueur avant cette date [4]. Or la majorité des observateurs avertis s’accorde pour considérer que le texte de cet Accord devra être aménagé dans cette hypothèse.

Qu’en est-il des droits de propriété industrielle régis par un droit de l’UE (CCP, marques, dessins & modèles, certificats d’obtention végétale, indications géographiques) en cas de Brexit sans accord de retrait ?

Les mesures annoncées par le Gouvernement Britannique actuel concernant les titres impactés régis par un Règlement de l’UE figurent dans un guide accessible. Elles consistent schématiquement à introduire dans la loi britannique des dispositions nécessaires pour assurer la continuité des droits issus de titres communautaires. On peut espérer qu’en cas de changement de Gouvernement, ce même système qui va dans l’intérêt de tous les titulaires de droits soit poursuivi.

Ce guide traite en particulier les questions des certificats complémentaires de protection dérivés de brevets nationaux britanniques dans le domaine pharmaceutique ou agrochimique, des certificats d’obtention végétale, des marques et dessins & modèles, et des indications géographiques.

Ce guide prévoit également le maintien dans la loi britannique des dispositions résultant de transpositions antérieures de Directives européennes.

Et pour vos noms de domaine ?

Pour rappel, l’enregistrement d’un nom de domaine en (.eu) est soumis à une condition de résidence ou d’établissement au sein de l’Union européenne. Cette exigence de présence locale est également appliquée pour les extensions suivantes : (.bg), (.fr), (.hu), (.it), (.se), et (.sk).

Ainsi, la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne a vocation à impacter les sociétés établies au Royaume-Uni et/ou les particuliers y résidant, lesquels ne seront plus éligibles à l’enregistrement des noms de domaine dans ces extensions. De la même façon, ces sociétés et particuliers domiciliés sur le territoire britannique ne seront plus en mesure de procéder au renouvellement de leurs noms de domaine enregistrés préalablement au retrait (dans les extensions précitées) et risquent même de voir ces noms radiés par les registres en charge de ces extensions.

Quelles mesures envisager dans l’immédiat ?

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser son portefeuille de titres de propriété intellectuelle.

Pour les brevets, aucune mesure urgente ne semble nécessaire, sauf à surveiller l’entrée en vigueur de la Juridiction Unifiée du Brevet et sa possible application au Royaume-Uni.

En revanche pour les titres de niveau communautaire et les noms de domaine, il convient d’anticiper la situation à venir pour sécuriser votre portefeuille et prendre les mesures appropriées dans le cas où le Brexit serait effectif au 30 mars 2019, sans période de transition.

Evelyne ROUX Associée/Partner roux@regimbeau.eu Christian TEXIER Associé/Partner texier@regimbeau.eu {En collaboration avec:} Frédérique FAIVRE PETIT Associée/Partner faivre-petit@regimbeau.eu Sylvain THIVILLIER Associé/Partner thivillier@regimbeau.eu Cécile PUECH Conseil Senior Conseil en Propriété Industrielle puech@regimbeau.eu Anne CHANTELOUP Juriste en Propriété Intellectuelle chanteloup@regimbeau.eu REGIMBEAU www.regimbeau.eu

[1Le Brexit est officiellement prévu à 23 heures GMT (heure de Londres) le 29 mars 2019, soit le 29 mars à minuit heure de Luxembourg et Paris.

[2Cependant le Brexit supprimera la libre circulation de produits entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne et devrait donc modifier les pratiques dites « d’importations parallèles » en provenance ou à destination du Royaume-Uni.

[3L’action formée devant la Cour constitutionnelle allemande en juin 2017 a été publiée mi-août 2018. Cette action engagée par un avocat allemand, Ingve Stjerna, vise à s’opposer à la ratification de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet. Elle soutient que cet Accord serait contraire à la constitution allemande en ce qu’il affecterait la souveraineté de l’Allemagne. La plainte soutient par ailleurs que le vote du Bundestag autorisant la ratification de l’Accord n’aurait pas recueilli un nombre de votes suffisants.

[4Selon les dispositions prévues par l’article 89 de l’Accord JUB, cet Accord entrera en vigueur au plus tôt le premier jour du quatrième mois suivant celui du dépôt de l’instrument de ratification par l’Allemagne, ce qui conduit désormais au plut tôt au 1er mai 2019.