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Les nouvelles dispositions du bail d’habitation depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN. Par Pauline Darmigny, Avocat.
Parution : lundi 21 janvier 2019
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La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ELAN) est désormais en vigueur. Cette loi est venue apporter des modifications aux dispositions jusqu’à présent en vigueur. Il conviendra d’examiner successivement les principaux apports de cette loi.

1. Les nouveautés apportées par la loi ELAN au bail d’habitation.

• Le contrat de bail-mobilité.

Le contrat de bail mobilité est un contrat de location de courte durée s’appliquant à un logement meublé, en faveur d’un locataire bénéficiant par exemple d’un contrat d’apprentissage, ou suivant une formation professionnelle ou encore un stage.

Ce contrat est particulièrement souple quant à sa durée dans la mesure où il peut être d’une durée minimum d’un mois et d’une durée maximum de dix mois.

De plus, ce type de bail offre la possibilité, au locataire seulement, de le résilier en respectant un préavis d’une durée d’un mois.

Cependant, le bailleur ne dispose pas de la faculté de mettre fin au bail, ce type de bail ne prévoyant pas de congé.

Ce type de bail plus souple n’est pas adapté à une résidence principale durable.

Prévoyant une durée minimale d’un mois, ce contrat de bail-mobilité s’adapte parfaitement à des locataires en situation professionnelle transitoire ou temporaire, amenés à rester pour une courte durée, dans le logement qu’ils occupent ponctuellement.

En cours de bail, étant donné la courte durée de celui-ci, le montant du loyer ne peut pas être révisé.

• Le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire.

La loi ELAN a introduit la possibilité pour une personne (bailleur ou locataire) âgée de 60 ans ou plus, de louer ou sous-louer son logement à une personne âgée de moins de 30 ans contre versement d’une contrepartie modeste (reste à définir la notion de contrepartie modeste … ?) et à charge pour la personne âgée de moins de trente ans, d’accomplir de menus services du quotidien au profit de la personne âgée de 60 ans ou plus.

Si la personne âgée de 60 ans ou plus est locataire du logement, elle se contente d’informer son bailleur de sa volonté de sous-louer le logement à ce tiers âgé de moins de 30 ans et le bailleur ne peut pas s’y opposer !!

C’est une véritable modification par rapport aux dispositions légales antérieures puisque ce nouveau bail permet littéralement de court-circuiter l’interdiction de sous-location, qui serait prévue au contrat de bail principal. La nouvelle loi met le bailleur sur le fait accompli.

Imaginons la situation suivante : le bailleur conclut un contrat de bail avec un locataire, en stipulant une clause interdisant toute sous-location.
En cours de bail, le locataire devient âgé de 60 ans ou plus, il décide de sous-louer une partie du logement qu’il occupe à une personne plus jeune, âgée de moins de trente ans, contre versement d’une contrepartie modeste, mais qui pourra l’aider dans son quotidien en lui portant ses courses par exemple.

Dans ce cas de figure, le locataire peut imposer cette sous-location à son bailleur en dépit de l’interdiction de sous-location qui aurait été stipulée au bail principal.

La loi nous dit également que ce nouveau bail s’applique aussi en faveur d’un bailleur âgé de 60 ans ou plus qui déciderait de louer son logement, cette fois-ci en totalité, à un locataire âgé de moins de 30 ans, contre versement d’un loyer modeste mais à charge pour le locataire de remplir certains menus services au profit du bailleur.

Dans cette hypothèse, le bailleur ne se voit pas imposer une situation qu’il n’a pas choisie, puisqu’il est à la fois bailleur et individu âgé de plus de 60 ans décidant de contracter le bail de cohabitation intergénérationnelle solidaire.

La situation reste complexe voir préjudiciable pour un bailleur qui se verrait imposer cette relation tripartite qu’il n’a pas choisie, et qu’il n’a peut-être jamais souhaité.

Il est à prévoir qu’avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition de la loi ELAN, les propriétaires risquent de réfléchir à deux fois avant de louer leur bien immobilier à une personne âgée de 60 ans ou plus…

En outre, la loi est particulièrement imprécise : comment faut-il comprendre l’expression de « contrepartie modeste » en référence au loyer ? Ce qui est modeste pour l’un ne le sera pas pour l’autre. Faut-il déterminer ce qu’est un loyer modeste en fonction de la ville ? de l’arrondissement ? du quartier ?

En outre, et de la même façon, que faut-il comprendre par « menus services » ? là aussi le législateur met les justiciables devant une situation complexe d’avoir à interpréter la notion de « menus services ».

Cela risque de créer des situations d’une grande insécurité juridique.

Des précisions sont censées être apportées prochainement dans une charte de cohabitation, mais qui n’aura qu’une valeur de charte et non une valeur légale et coercitive.

Cette charte est sensée s’apparenter à une sorte de guide de bonnes pratiques totalement soumise à l’interprétation des justiciables et à leur bon vouloir.

• L’assouplissement du cautionnement.

Afin de faciliter la conclusion des baux d’habitation et rendre moins contraignant le recours à une personne qui se porterait caution du paiement des loyers en faveur du locataire, la loi ELAN est venue supprimer l’exigence de la mention manuscrite, auparavant imposée à la personne qui se portait caution.
Dorénavant, seule la signature de la personne qui se porte caution suffit, la mention manuscrite exigée de la caution, pour la validité de son engagement, disparaît.

La loi ELAN est ainsi venue abolir les dispositions de l’article L331-1 du Code de la consommation qui exigeaient que la personne qui se portait caution, précède sa signature des mentions suivantes, à peine de nullité de l’engagement de caution : "En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n’y satisfait pas lui-même."

Cet aspect de la loi apporte une plus grande souplesse à l’engagement de caution.

La faculté de résiliation triennale du bailleur commercial en cas de changement d’usage du local.

La loi ELAN est venue également apporter une modification aux dispositions du Code de commerce relatives au contrat de bail commercial.

L’article L145-4 du Code de commerce prévoit que la durée d’un bail commercial ne peut être inférieure à 9 ans, cette durée étant d’ordre public, il n’est pas possible de prévoir contractuellement un bail d’une durée inférieure, alors même qu’il est toujours possible de prévoir une durée supérieure à 9 ans.

L’alinéa 3 de cet article prévoit cependant, qu’à condition de respecter un délai de préavis de 6 mois, chacune des parties, que ce soit le locataire ou le bailleur, peut y mettre fin à l’expiration d’une période triennale.

Précisément, le bailleur peut mettre fin au bail commercial, à l’expiration d’une période triennale, c’est ce que l’on appelle la faculté de résiliation triennale, dès lors que le bailleur envisage par exemple de construire ou reconstruire l’immeuble, ou qu’il envisage d’effectuer des travaux conséquents nécessitant l’évacuation des lieux notamment.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN, il est prévu un autre cas dans lequel le bailleur peut résilier le bail commercial à l’expiration d’une durée de 3 ans, c’est notamment le cas où le bailleur envisage d’affecter l’immeuble à une usage d’habitation.

Ce changement d’affectation du local qui passe ainsi d’un usage commercial à un usage d’habitation est devenu une nouvelle cause permettant au bailleur de résilier le bail commercial à l’expiration d’une durée de 3 ans.

La fin de la solidarité au paiement des loyers du bail en faveur du compagnon du locataire auteur des violences.

La loi ELAN met un terme à la solidarité au paiement du loyer à l’égard du conjoint / concubin/ partenaire du locataire auteur de violences, qui quitterait le logement précisément en raison de ces violences.

Ainsi, lorsque la victime des violences quitte le logement, elle doit simplement en informer le bailleur et ne sera ainsi plus tenue comme solidairement responsable du paiement des loyers afférents au bail.

En revanche, cette information doit se faire par lettre recommandée avec accusé de réception, et doit être accompagnée de la copie de l’ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales dont il ou elle bénéficie ou de la copie d’une condamnation pénale de son conjoint/concubin/partenaire pour des faits de violences commis à son encontre ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui ou elle et rendue depuis moins de 6 mois.

Cette nouveauté a été insérée dans la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dans un article 8-2.
En outre et c’est aussi une nouveauté issue de la loi ELAN, dorénavant, le fait pour le locataire auteur des violences, demeuré seul dans le logement et exclusivement tenu au paiement du loyer, de ne pas s’acquitter en totalité son loyer, constitue un motif légitime et sérieux de congé par le bailleur.

Le bailleur pourra donc automatiquement délivrer congé au locataire pour non-paiement du loyer qui lui incombait en totalité, du fait du départ du logement de son conjoint/concubin/partenaire victime des violences.

Le retour de l’encadrement des loyers prévu par la loi ALUR.

En zones tendues, c’est le retour de l’encadrement des loyers tel que prévu dans la loi ALUR.

En revanche et hors zones tendues, la fixation du loyer est libre.

Dans les zones tendues où le montant du loyer demeure encore très élevé et disproportionné au regard de l’offre et de la demande, là l’encadrement du loyer est toujours en vigueur.

Les zones tendues correspondent à une longue liste de près de 1.149 communes situées dans les 28 principales agglomérations de métropole dans lesquelles le marché est tendu dont PARIS et LILLE.

La liste de toutes les villes situées en zone tendue est fixée par le décret n°2013-392 du 10 mai 2013.

A titre d’exemple : PARIS est en zone tendue, Saint-Georges d’Oléron n’est pas en zone tendue, Saint-Tropez n’est pas en zone tendue, Saint-Brévin Les Pins n’est pas en zone tendue, Saint-Jean Cap-Ferrat est en zone tendue, Bernex n’est pas en zone tendue.

Ainsi, dans les agglomérations hors zone tendue, le loyer sera librement fixé par le bailleur.

La ville de Paris a récemment décidé de remettre en place le plafonnement avec les loyers de référence. Il faut désormais attendre la publication d’un décret gouvernemental fixant les modalités pour déterminer les loyers de référence, et les arrêtés préfectoraux fixant les loyers de référence à ne pas dépasser pour que cela puisse s’appliquer à Paris au cours du premier semestre 2019.

2. La consolidation et le durcissement des dispositions légales existantes.

Le contrôle renforcé à l’égard des meublés de tourisme.

Un autre volet important de la loi Elan concerne le durcissement de la réglementation et du contrôle à l’égard de la location meublée touristique (ex : Airbnb).

L’article 145 de la loi ELAN définit le meublé de tourisme ainsi : « les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ».

La loi ELAN vient durcir les sanctions à l’égard des propriétaires et des plateformes de location de tourisme, qui ne respecteraient pas la réglementation en vigueur.
A titre d’exemple, le propriétaire qui n’enregistre pas son logement meublé de tourisme auprès de sa commune, encourt une amende de 5.000 euros.

En outre, et dorénavant, le propriétaire du logement meublé touristique ne peut plus louer sa résidence principale plus de 120 jours par an au cours d’une même année civile.
S’il dépasse 120 jours de location par an, sans juste motif, il s’expose à une amende de 10.000 €. Il en est de même si la commune lui demande un décompte des jours de location et qu’il ne transmet pas ces informations dans un délai d’un mois.

La loi vient également sanctionner la plateforme directement : toute plateforme de location touristique a dorénavant l’obligation de bloquer les locations au-delà de 120 jours par an, lorsqu’elles proviennent du même propriétaire, si le bailleur a déclaré que le meublé de tourisme constituait sa résidence principale. A défaut de blocage, la plateforme encourt une amende de 50.000 €.

La lutte renforcée contre l’occupation illicite des locaux.

En présence d’un occupant sans droit ni titre et/ou d’un locataire qui a cessé de se conformer aux obligations de son contrat de bail d’habitation, le propriétaire, qui souhaitait mettre un terme au contrat de bail, était tenu de respecter deux délais avant d’obtenir l’expulsion de son locataire :
- Respecter un délai de 2 mois après délivrance du commandement d’avoir à quitter les lieux ;
- Respecter le délai de la trêve hivernale du 1er novembre au 31 mars de chaque année.

Dorénavant, ces délais ne profiteront plus aux squatteurs, qui répondent à la définition juridique de « tout individu entré dans les lieux par voie de fait, sans droit ni titre ».

Aujourd’hui, la loi ELAN prévoit qu’en présence de squatteurs identifiés dans le logement loué, lequel constitue le domicile du bailleur, le juge a l’obligation de supprimer ce délai de 2 mois et doit ordonner l’expulsion immédiate de l’occupant sans droit ni titre, entré et maintenu dans les lieux par voie de fait.

Idem concernant le délai de la trêve hivernale, dorénavant en présence de squatteurs, le juge a l’obligation de supprimer le délai de la trêve hivernale et doit ainsi ordonner l’expulsion avec effet immédiat.

On comprend donc que depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN, un propriétaire confronté à des squatteurs qui occupent illégalement un bien lui appartenant, le bailleur pourra agir à leur encontre en sollicitant leur expulsion sur le champ et le juge ne pourra plus faire application ni du délai de 2 mois à compter du commandement ni du délai correspondant à la trêve hivernale.

Les propriétaires peuvent se réjouir de cet apport. Cependant le législateur, au sein de ce même article, est venu apporter une certaine insécurité juridique. En effet, il semblerait que le squatteur retrouve le bénéfice du délai de la trêve hivernale dans le cas où le logement qu’il occupe illégalement, n’est pas le domicile du bailleur. C’est ce que la loi ELAN laisse sous-entendre.

Ainsi, qu’en est-il du logement appartenant à un propriétaire qui ne serait pas son domicile ? faut-il comprendre que pour ce logement acheté par le bailleur qu’il mettrait en location, le bailleur ne bénéficierait pas des nouvelles dispositions de la loi ELAN et de la suppression de la trêve hivernale ?

De plus, la notion de « domicile » n’est pas une définition juridique. Que faut-il comprendre par domicile ? le législateur fait-il référence à la résidence principale du bailleur ?
Si oui, cela signifie-t-il qu’un squatteur pourrait se maintenir dans la résidence secondaire du bailleur que ce dernier louerait, en bénéficiant ainsi de la trêve hivernale ?

De nombreuses questions demeurent en suspens sur cet apport de la loi ELAN…

Le durcissement de l’obligation du bailleur d’avoir à remettre au locataire un logement décent.

La loi ELAN est venue apporter des modifications aux dispositions de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989.

En substance : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation. Un décret en Conseil d’Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en œuvre échelonnée (…) ».

Même si l’on peut être tenté au premier abord de se satisfaire de cette consolidation du droit à un logement décent en faveur des locataires, reste la question de l’efficacité pratique de cette modification, dans la mesure où aujourd’hui, la loi n’a toujours pas prévu de contrôle in concreto.

Pauline DARMIGNY Avocat à la Cour https://darmigny-avocat.fr
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