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Eric O’Donnell, Head of Legal Operations : l’évolution permanente de ce métier le rend passionnant !
Parution : lundi 11 mars 2019
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Il est avocat et a choisi de rejoindre depuis 1995 le monde des directions d’entreprise. Ayant intégré Total en 2004, il a gravi les échelons pour occuper actuellement le poste de Head of Legal Operations (directeur des opérations juridiques).
Dans cet entretien, Eric O’Donnell livre au Village de la Justice ses impressions sur le métier de juriste d’entreprise, ses mutations et ses grands enjeux.

Village de la Justice : Quelle est la place de la direction juridique dans votre entreprise ? Et comment est-elle structurée ?

Eric O’Donnell : "La direction juridique de Total est relativement importante, elle compte près de 500 juristes dans le monde, dont à peu près la moitié à Paris.
Notre directeur juridique est rattaché au président-directeur général et travaille en proche collaboration avec lui. Ensuite, la fonction juridique reflète l’organisation opérationnelle du groupe Total.

Certaines directions « régaliennes » du siège, dont le corporate, les fusions-acquisitions, les grands contentieux et la conformité, dépendent du directeur juridique. Les directions juridiques des différentes branches sont rattachées à la direction opérationnelle. Les juristes des branches maintiennent cependant un lien fonctionnel fort avec le directeur juridique Groupe."

Comment analysez-vous la mutation du travail de la direction juridique ? Dans un passé proche, son rôle se limitait à la rédaction des contrats et à la gestion du contentieux. Aujourd’hui, elle a de plus en plus de missions (avec les obligations de transparence, de compliance, de mesure anti-corruption...). Comment Total a accompagné cette profonde transformation ?

"Les juristes de Total ont un vrai savoir-faire, car ils ont une parfaite connaissance des sujets et sont fortement impliqués dans leurs dossiers depuis longtemps. Ils accompagnent les opérations en matière de conseil et sont souvent présents sur le terrain pour les transactions. Cette collaboration nous permet de mieux comprendre les enjeux commerciaux et ainsi trouver des solutions adaptées.

En outre, le métier et les besoins du groupe évoluent en permanence. Nous devons prendre en considération de nouvelles exigences de conformité, notamment celles renforçant la lutte contre la corruption. Nous devons donc être proactifs et profiter des outils digitaux pour améliorer sans cesse notre contribution. Le tout avec une discipline budgétaire rigoureuse.

"Notre métier évolue constamment, et c’est ce qui le rend passionnant !"


Nous avons lancé un projet baptisé « Chronos », dont l’objectif est de permettre aux juristes de se consacrer au travail à plus forte valeur ajoutée. Ce projet se décline en différents plans d’actions sur 3, 6 voire 12 mois.
Notre métier évolue constamment, et c’est ce qui le rend passionnant !"

A l’heure d’une prise de conscience collective des enjeux environnementaux, la direction juridique a-t-elle une influence sur la ligne de conduite de Total ?

"L’environnement est un sujet majeur pour Total dont l’ambition est de devenir la major de l’énergie responsable. Total a plusieurs juristes, à la holding mais aussi dans les branches, dédiés aux sujets de sécurité et d’environnement, de changement climatique et même des questions sociétales liées à nos opérations.

"Les juristes ont une influence sur le changement climatique, les droits humains et le plan de vigilance."


Ces juristes sont consultés sur des sujets Groupe mais aussi par des filiales pour des questions de terrain. Ils participent aussi aux comités de pilotage dans ces domaines et conseillent sur la réglementation aussi bien sur la « soft law » que sur les meilleures
pratiques internationales. Ils ne se contentent pas d’appliquer la loi mais analysent également tous les éléments pour anticiper l’évolution de la réglementation. Ils contribuent de ce fait à l’appréciation du groupe des attentes sociétales en la matière.
Plus largement, les juristes ont une influence sur les sujets comme le changement climatique, les droits de L’Homme et le plan de vigilance."

Comment la direction juridique suit-elle le mouvement des nouvelles technologies ? Quels outils ou dispositifs ont été mis en place pour garantir la conformité au RGPD ?

"Bien entendu, les nouvelles technologies nous concernent comme dans tous les métiers. Nous utilisons plusieurs outils digitaux, comme pour la gestion des dossiers, et nous en testons d’autres, par exemple pour l’automatisation des contrats. Dans notre projet Chronos, nous espérons identifier d’autres tâches qui nous permettront d’améliorer nos performances et d’utiliser de nouvelles solutions digitales.

La protection des données personnelles est un enjeu majeur pour Total, comme pour beaucoup d’autres sociétés. Total n’a pas attendu l’entrée en application du RGPD pour se conformer à la réglementation. Notre programme de protection des données personnelles s’articule autour de référentiels internes, de méthodologies, de procédures et d’outils. Par ailleurs, étant un groupe international, toutes nos filiales souscrivent aux « Binding Corporate Rules » (règles d’entreprises contraignantes), pour assurer une application cohérente des règles RGPD partout dans le Groupe. De plus, nous avons des juristes spécialisés sur ce sujet, ainsi que sur tous les enjeux du digital."

Pourquoi avoir quitté le monde du barreau pour intégrer la direction Juridique ? Et quelles sont les différences entre les deux milieux ?

"Je suis solicitor en Irlande et j’ai quitté très tôt le barreau pour être plus proche des opérations. J’aime connaître tous les aspects des questions que l’on me pose et mesurer l’impact de ma contribution. En tant que junior en cabinet, on répond à des questions parfois sans contexte et souvent sans contact avec le client. On répond peut-être à la question, mais pas toujours aux besoins du client. Pour cela, j’ai besoin de comprendre les motivations et les objectifs derrière la question.

Cela dit, les métiers de juriste d’entreprise et d’avocat se rapprochent de plus en plus. Nous demandons aux avocats d’être plus proches du client et de donner un avis juridique dans le contexte commercial du client. Le juriste et l’avocat forment une charnière importante : l’avocat a la connaissance de plusieurs entreprises voire plusieurs secteurs ; le juriste connaît son entreprise. Ensemble, ils doivent permettre l’entreprise de fonctionner dans un environnement sûr.

Enfin, pour certains experts, comme en droit de la concurrence ou droit de l’environnement, une première expérience dans une entreprise peut être très formatrice. Toutefois, le travail en cabinet pendant quelques années est une excellente discipline, notamment pour les transactions ou les contentieux, et je ne peux que le recommander avant de passer en entreprise."

Propos recueillis par Nessim Ben Gharbia. Rédaction du Village de la Justice.