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Les conséquences de la conception progressiste de l’empiétement en matière de protection du droit de propriété. Par Louis Tandonnet, Avocat.
Parution : jeudi 24 janvier 2019
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Commentaire de l’arrêt de la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation du 11 Février 2015, n°13.26-023 et piste de réflexion quant aux conséquences d’une conception jugée progressiste de l’empiétement en matière de protection du droit de propriété par la Cour.

Selon le Code Civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue dans les limites légales, aussi bien du sol que du dessus ou du dessous. Il est donc logique que la Cour de Cassation entende protéger ce droit naturel, inviolable et sacré. C’est l’objet de l’arrêt que nous sommes amenés à commenter.
En l’espèce, la société C, exploitant une carrière jouxtant le fonds de Monsieur et Madame X, a prélevé des roches calcaires sur ce fonds. Plus de dix ans après cette extraction, Monsieur et Madame X, demandeurs, assignaient la société C, défendeur, en suppression de l’empiétement réalisé en sous-sol sur le fondement d’une action immobilière.

La Cour d’Appel de Pau retenait dans ses motifs que l’activité d’extraction industrielle au-delà de la limite séparative d’une propriété constituait un empiétement par appropriation du sous-sol. Elle en déduisait dans son arrêt que l’action tendant à la remise en état des lieux par la suppression de l’empiétement était une action immobilière non-soumise à la prescription décennale.

La société, demanderesse à la cassation, forma un pourvoi contre cet arrêt en arguant d’une violation des articles 544 et 545 du Code Civil ensemble les articles 2262 et 2270-1 dans leur rédaction antérieure à la Loi du 17 juin 2008 applicable à la cause. Elle développait un moyen unique divisé en deux branches. En premier lieu, elle entendait établir que l’empiétement ne pouvait être caractérisé en l’absence d’élément moral, constitué par la volonté d’appropriation. Dans un second lieu, elle démontrait que l’action en suppression de l’empiétement constitue une action personnelle soumise à la prescription décennale.

Ainsi le problème juridique posé par la demanderesse au pourvoi est celui de savoir si une extraction de minerai en sous-sol du terrain d’autrui constitue un empiétement sanctionnable par la démolition au terme de l’action immobilière.

Autrement dit la question de droit qu’il convient de résoudre est relative au fait de savoir si l’empiétement peut avoir lieu sans construction et si l’action en suppression de celui-ci est une action réelle immobilière.

La Cour de Cassation, adoptant les motifs d’appel, confirme la décision de la Cour d’Appel de Pau et rejette le pourvoi formé au motif que le front de la carrière exploitée débordait sur la propriété des époux. Elle ajoute que la Cour d’Appel a justement énoncé qu’une activité d’extraction industrielle au-delà de la limite séparative d’une propriété constituait un empiétement par appropriation du sous-sol, et en a déduit à bon droit que l’action tendant à la remise en état des lieux par la suppression de l’empiétement était une action immobilière non-soumise à la prescription décennale.

Cet arrêt ouvre la voie à une conception moderne de la notion d’empiétement, affranchie de l’exigence d’une construction et à une expansion de la protection du droit de propriété aux actions en réparation des atteintes à la substance de la propriété en permettant l’extension du domaine de l’action immobilière. Cependant cette décision ne semble pas suivre le sens privilégié par le Projet de Réforme du Droit des Biens présenté par l’Association Henri Capitan mais bien poursuivre la protection du droit de propriété sur le fondement, entre autre, de la théorie de l’empiétement qui peut-être en surface, aérien ou souterrain.

On peut en déduire que la Cour entend étendre la protection des droit des propriétaires .
Nous verrons donc en premier lieu la reconnaissance d’une conception progressiste de l’empiétement (I) renforçant la protection de la suprématie du droit de propriété (II).

I. La reconnaissance d’une conception progressiste de l’empiétement.

L’empiétement classique se caractérise par la construction matérielle ou la plantation débordant en tout ou partie sur la propriété d’autrui. Cette conception classique admet l’empiétement souterrain (A) mais se voit dépasser par la Cour en l’espèce (B).

A) Un empiétement en sous-sol classique en jurisprudence.

La reconnaissance de l’empiétement en sous-sol découle de la conception extensive légale de la propriété du sol , elle est donc logique mais généralement limitée (1), tout en étant réaffirmée par le Projet de Réforme du Droit des Biens (2).

1. Une conception logique à l’application généralement limitée.

Si comme nous l’avons vu, les articles 544 et 552 du Code Civil permettent de jouir pleinement du sous-sol du sol que l’on possède, cette propriété peut-être atteinte par le fait d’autrui. Ce constat classique a amené la jurisprudence a admettre la possibilité d’un empiétement souterrain dont l’arrêt d’espèce est un exemple supplémentaire, à quelques différences près.

Cette reconnaissance de l’empiétement en sous-sol s’applique le plus souvent à des empiétements mineurs, généralement constitués par une partie des fondations. Dans le cas d’une atteinte à la substance du fonds, la jurisprudence classique opère une indemnisation du propriétaire lésé des produits retirés sur la base d’une expropriation du tréfonds et non en se fondant sur l’empiétement.

2. Une conception critiquable en droit.

L’ultime ligne de défense d’une personne présumée impiété sur le terrain d’autrui est classiquement l’absence de volonté manifeste de se comporter en véritable propriétaire.
De plus en l’espèce, la Cour n’accorde aucun cas à la bonne foi de la société demanderesse au pourvoi.

La bonne foi, qui se définie comme la croyance par le possesseur qu’il est titulaire du droit réel qu’il exerce , est présumée par le Code civil sauf à rapporter une preuve contraire par tout moyen. Elle permet généralement d’aménager la sanction subit par le possesseur.

Or comme indiqué, la Cour écarte cette objection en focalisant sa réflexion sur le constat que la société demanderesse a prélevé des produits sur le fonds empiété et a ainsi agit en véritable propriétaire.

Ce rejet des critiques possibles et cette modification de fondements, par rapport à la conception classique, s’explique, en l’espèce, par le développement par la Cour d’une conception plus moderne de l’empiétement.

B) L’affranchissement de la conception matérielle classique de l’empiétement.

Cette conception matérielle de l’empiétement se fonde sur la qualité de la personne qui empiète et sur la sanction de l’empiétement. En l’espèce, en écartant la conception matérialiste, la Cour reconnaît un empiétement sans construction et donc sans aliénation de la propriété (1) ce qui entraîne le rejet de la théorie de l’action personnelle (2).

1. Un empiétement sans construction ni aliénation de propriété.

L’empiétement classique se fonde sur la qualité de propriétaire (présumé constructeur) de l’immeuble litigieux ou de maître de l’ouvrage et se rattache donc à une conception matérielle de l’empiétement caractérisée par une construction. Cette conception matérialiste s’explique par la sanction de l’empiétement qui est la démolition alors qu’en l’espèce la Cour, pour obtenir le rétablissement du fonds – et donc normalement de la construction dans ses limites légales –, impose de procéder à une construction : l’empiétement peut donc être absent de construction litigieuse même s’il est minime ou ne déprécie pas la valeur du bien.

En effet, le droit de propriété étant absolu et inviolable, il ne saurait souffrir aucune restriction quand bien même le constructeur serait de bonne foi, comme l’a jugé la Cour de Cassation en 2009 déjà à propos d’un empiétement en sous-sol.

En l’absence de construction, le propriétaire n’est pas empêché de jouir de son bien. Le fonds n’est pas, non plus, vidé de sa substance. Il a subi une perte, un prélèvement de produit qui devrait pouvoir être indemnisé sur le fondement de l’expropriation . Cette conception est écartée car la Cour, sur le fondement de l’empiétement, protège la propriété des atteintes partielles qui lui sont portées : le demandeur au pourvoi s’est comporté en propriétaire en prélevant des produits , donc il y a eu empiétement, même si celui-ci a, depuis, cessé.

2. Le rejet de l’action personnelle fondé sur une vision extensive de l’action immobilière.

Ce rejet se caractérise par le rejet de l’action sur les troubles anormaux du voisinage tel que l’invoquait la demanderesse au pourvoi et par un conception extensive de l’action immobilière.

C’est sur ce fondement que se basait la défense du demandeur au pourvoi. Celle-ci était logique car le trouble du voisinage se caractérise par un trouble certain porté au droit d’usage ou de jouissance du propriétaire et peut-être démontré par les atteintes provoquées par un chantier de construction par exemple. La Cour écarte ce fondement en privilégiant l’empiétement afin de pouvoir accueillir l’action qui ne peut plus être une action personnelle soumise à une prescription décennale.

Le principe sur lequel se fonde cette décision pour opérer une protection du droit de propriété est que la protection du droit de propriété permet au propriétaire de se prémunir contre les atteintes à sa propriété et de demander l’indemnisation de celle-ci. Or l’action visant le rétablissement du droit de propriété est une action immobilière qui ne peut se prescrire que par 30 ans sous des conditions particulières. Ainsi l’action fondée sur l’indemnisation de l’atteinte constituée par l’empiétement est une action immobilière.

C’est donc logiquement que la Cour écarte le jeu de l’action personnelle car elle considère qu’en réalisant l’empiétement par extraction de produits, la société s’est comporté en véritable propriétaire.

Cette nouvelle conception progressiste de l’empiétement emporte donc des conséquences quand à la qualité de l’action effectuée, de sa prescription extinctive et, in fine, de la protection du droit de propriété pratiquée par la Cour.

II. Une conception excessivement protectrice du droit de propriété.

Cette conception extensive de l’action immobilière permet donc de considérer que l’action en suppression de cet empiétement en sous-sol se prescrit par 30 ans mais elle peut-être critiquée. Dans le même temps, si la conception fondée sur l’empiétement et le rejet de l’action personnelle permet de supposer imprescriptible les empiétements souterrains (A), il est possible de douter de sa pérennité (B).

A) L’imprescriptibilité de fait de l’empiétement en sous-sol.

Cette imprescriptibilité se fonde sur l’imprescriptibilité relative du droit de propriété (1) et sur le rejet classique de l’usucapion (2).

1. Du fait de l’imprescriptibilité du droit de propriété.

Classiquement, la propriété ne s’éteint pas par le non-usage et traditionnellement, la jurisprudence constante de la Cour a reconnu le caractère imprescriptible de la propriété . Le législateur a d’ailleurs consacré cette jurisprudence constante en rappelant ce caractère dans la Loi portant Réforme de la Prescription et en l’inscrivant explicitement dans le Code Civil.

Imprescriptible ne signifie néanmoins pas que le droit de propriété ne puisse être perdu par le fait de l’incurie du propriétaire. C’est, cependant, seulement par la preuve de l’usucapion que la propriété peut, dans un certain sens, se prescrire.

Il en va de même de ses attributs du droit de propriété, comme le note le Sénat, que sont l’action en bornage, en acquisition de mitoyenneté, en partage, le droit du propriétaire d’un fonds enclavé de réclamer un passage ou le droit de se clore. Sans préciser s’il s’agissait du droit patrimonial ou du droit moral, la Cour a également jugé que « l’exercice par l’auteur du droit de propriété intellectuelle qu’il tient de la loi et qui est attaché à sa personne en qualité d’auteur, n’est limité par aucune prescription. »

2. Du fait du rejet logique de l’usucapion.

Si l’action en reconnaissance de l’usucapion n’a pas besoin de se fonder sur un titre , elle suppose néanmoins que soit rapportée la preuve de plusieurs critères précis cumulatifs.
En premier lieu, deux de ces critères peuvent-être réunis dans le cas de l’empiétement en sous-sol.

Ce sont les critères de continuité et du caractère non-équivoque de la possession, c’est-à-dire la volonté de se conduire en véritable propriétaire que la Cour déduit en l’espèce de la volonté de prélever des produits du bien, produits qui ne sont à la disposition que du véritable propriétaire.

Néanmoins, deux critères permettent d’écarter la possibilité de l’usucapion. C’est d’abord la possession paisible, c’est-à-dire non violente selon le Code Civil , qui s’accompagne difficilement d’un empiétement – spécifiquement avec extraction de produits du fonds. C’est enfin la possession publique qui est rigoureusement impossible dans le cas d’un empiétement souterrain et donc clandestin.

L’usucapion étant écarté, le droit de propriété est donc imprescriptible, cette décision – par son mécanisme – est donc bien l’ouverture vers une conception de l’empiétement plus protectrice du droit de propriété des propriétaires.

Cependant cette conception démesurément protectrice du droit de propriété est surtout critiquée en vertu des doutes qui subsistent quand à la pérennité de la solution proposée par la Cour de Cassation, étant entendu que celle-ci entre en conflit avec certaines autres conceptions juridiques classiques et surtout avec le Projet de Réforme du Droit des Biens.

B) Les doutes quand à la pérennité de cette solution.

Ces doutes se fondent d’une part sur le caractère perpétuel de l’action immobilière en réparation des atteintes à la propriété ainsi consacrée (1) et s’expliquent par les solutions retenues par le Projet de Réforme du Droit des Biens (2).

1.Sur le caractère imprescriptibles de l’action en réparation des atteintes à la propriété.

Comme nous l’évoquons ci-dessus, la Cour semble admettre le fait que l’empiétement en sous-sol puisse justifier une action en réparation des atteintes à la propriété empiétée sans que la personne qui empiète puisse opposer au propriétaire aucune prescription ou un usucapion étant retenu que les conditions de cette prescription acquisitive ne sont pas réunies.

Cette conception d’une perpétuité de l’action en rétablissement de la propriété est gênante d’un strict point de vue juridique car elle s’oppose à la prohibition ancienne des engagements perpétuels. On pourrait opposer qu’en l’espèce on n’est pas en présence d’un engagement mais d’une responsabilité. Cependant c’est omettre le fait que cette responsabilité découle d’une série d’actes et de faits juridiques qui entraînent des conséquences au premier rang des quelles la responsabilité de la personne qui détient l’empiétement. Or celle-ci peut ne plus du tout être celle qui a originellement pratiqué cette empiétement mais sa bonne foi pourrait venir limiter l’importance de sa condamnation.

Cette conception très protectrice du droit de propriété nous semble donc éminemment critiquable d’un point de vue de la sécurité juridique dont peut et doit pouvoir jouir tout justiciable.

2. Du fait des solutions retenues dans le Projet de Réforme du Droit des Biens.

La pérennité de cette solution apparaît également sujette à caution car elle s’inscrit dans un sens opposé aux solutions retenues par le Projet de Réforme du Droit des Biens. Cette opposition est notable notamment car la jurisprudence récente de la Cour de Cassation en matière de Droit Patrimonial tente d’opérer une conciliation efficace entre les solutions et dispositions actuelles et celles retenues par la réforme proposée.

En effet, la Commission ayant préparé le Projet de Réforme a confirmé la jurisprudence relative à l’empiétement de la Cour de cassation conférant le droit au propriétaire du fonds subissant l’empiétement de demander la démolition.

Elle a néanmoins estimé nécessaire, pour éviter tout abus, d’enfermer, en cas d’empiétement est minime et involontaire, l’action en démolition dans un délai très court de deux ans à compter de la connaissance de l’empiétement et au plus tard, dix ans après l’achèvement des travaux. Passé ce délai l’un ou l’autre des voisins pourra demander au juge de prononcer le transfert de propriété moyennant indemnité.
Les solutions actuelles demeurent, cependant, pour les empiétements plus conséquents ou volontaires.

Les conséquences de la conception progressiste de l’empiétement en matière de protection du droit de propriété.

Louis Tandonnet Avocat au Barreau de Bordeaux https://www.louistandonnetavocat.com/ [->ltandonnet.avocat@gmail.com]