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Heures supplémentaires : panorama de la jurisprudence de la Cour de cassation en 2018. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : jeudi 24 janvier 2019
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Le présent article synthétise la jurisprudence de la Cour de cassation et des juges du fond en matière d’heures supplémentaires en 2018.

1)Le paiement des heures supplémentaires est dû dès lors que leur réalisation a été rendue nécessaire par les tâches confiées au salarié.

Dans un arrêt du 12 septembre 2018 [1], la Cour de cassation rappelle que le paiement des heures supplémentaires suppose, a minima, l’accord implicite de l’employeur.

Néanmoins, dans deux arrêts du 14 novembre 2018 [2] la Cour de cassation a rappelé qu’un salarié pouvait obtenir le paiement de ses heures supplémentaires, quand bien même il n’aurait pas obtenu l’accord, explicite ou implicite, de son employeur.

En effet, à défaut d’accord implicite de l’employeur, la Haute Juridiction rappelle que le paiement des heures supplémentaires est dû si les tâches confiées au salarié rendaient nécessaires leur réalisation.

Notamment, dans l’un des arrêts du 14 novembre 2018 [3], la Cour de cassation relève que le salarié avait, entre mai et décembre 2012, effectué des heures supplémentaires payées, et qu’après cette période, la charge de travail s’étant accrue, cela imposait la réalisation de nouvelles heures supplémentaires.

2) Preuve des heures supplémentaires : l’employeur est tenu de répondre aux décomptes horaires produits par le salarié.

Aux termes de l’article L.3171-4 du Code du travail, « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
 »

Il existe ainsi, en matière de temps de travail et d’heures supplémentaires, un principe de partage de la charge de la preuve.

Ainsi, dans un arrêt du 24 janvier 2018 N°16-23743, la Cour de cassation rappelle qu’un décompte journalier des heures travaillées du salariés (en l’espèce il s’agissait d’une saisie informatique des horaires, enregistrée sur l’intranet de la société), déclenche l’obligation pour l’employeur d’y répondre.

De même, dans un arrêt du 24 mai 2018 [4] la Cour de cassation a estimé que la production, par le salarié, d’un « décompte des heures qu’il prétendait avoir réalisées », était suffisant pour permettre à l’employeur d’y répondre.

En l’espèce, le salarié avait produit un relevé d’heures, rempli à la main.

A défaut de réponse par l’employeur aux éléments de preuves rapportés par le salarié, le paiement des heures supplémentaires au salarié est dû.

C’est ce qui a été jugé dans un arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2018 [5] , aux termes duquel la Haute juridiction a considéré que la salariée avait produit des décomptes « suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre ».

En effet, le décompte ou les éléments produits par le salarié doivent être précis et ne pas comporter des « lacunes, des erreurs et des invraisemblances », selon un arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 décembre 2018 [6] Voir en ce sens notre article "Salariés, cadres : comment prouver et vous faire payer vos heures supplémentaires aux prud’hommes ?"

3) Les heures de délégation effectuées en dehors du temps de travail doivent être payées comme des heures supplémentaires.

La question du régime des heures supplémentaires se pose régulièrement en présence de représentants du personnel.

En effet, dès lors que les heures de délégation sont assimilées à du temps de travail effectif, le salarié protégé doit se faire payer ses heures de travail selon le régime de droit commun.

Aussi, si ses heures de délégation ont pour effet de porter sa durée du travail au-delà de 35 heures, il doit se voir appliquer le régime des heures supplémentaires.

Ainsi, dans un arrêt du 3 octobre 2018 [7], la Cour de cassation rappelle que lorsque les heures de délégation sont « utilisées en dehors du temps de travail, en raison des nécessités du mandat » elles suivent le régime des heures supplémentaires.

4) L’employeur peut être condamné à une indemnité pour travail dissimulé en présence d’heures supplémentaires.

Lorsqu’un salarié obtient le paiement de ses heures supplémentaires, il peut également obtenir, en sus de ses salaires, une indemnité pour travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire (article L.8223-1 du Code du travail).

En effet, l’article L.8221-5 du Code du travail dispose qu’est « réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : […]de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ».

Ainsi, dès lors que l’employeur mentionne sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à la réalité, il s’expose à une condamnation pour travail dissimulé si le salarié démontre le caractère intentionnel de cette omission.

Cette preuve du caractère intentionnel de la dissimulation des heures supplémentaires peut ressortir de divers éléments, et notamment du contexte de travail des salariés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 mars 2018 [8], la Cour de cassation a estimé que l’intention de dissimuler les heures supplémentaires se déduisait du contrôle exercé par l’employeur auprès de ses salariés.

Dans un arrêt du 5 avril 2018 [9], la Cour de cassation a également estimé que l’employeur « avait nécessairement connaissance du nombre d’heures qu’il faisait effectuer par le salarié » dès lors qu’il s’agissait « d’une petite structure ».

Enfin, dans un arrêt du 12 juillet 2018 [10], la Cour de cassation a constaté que l’intention de dissimuler les heures supplémentaires effectuées ressortait du « nombre très élevé des heures supplémentaires accomplies sur une année » qui « n’avait pu échapper à l’employeur ».

5) Oui, un cadre peut obtenir le paiement de ses heures sup’ ! Cour de cassation, 24 octobre 2018, n°17-20691.

Dans un arrêt du 24 octobre 2018 [11], la Cour de cassation a rappelé que la qualité de cadre n’était pas exclusive de la réalisation d’heures supplémentaires.

Ainsi, la Haute Juridiction juge « que la qualité de cadre et l’existence d’une liberté d’organisation dans le travail ne suffisent pas à exclure le droit au paiement d’heures supplémentaires ».

Dès lors, un cadre peut obtenir le paiement de ses heures supplémentaires lorsqu’il travaille au-delà de la durée légale de travail ou de la durée contractuellement prévue.

Il convient par ailleurs de préciser que dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, le salarié cadre n’était pas soumis à une convention de forfait jours.

6) Exemples de condamnations au paiement d’heures supplémentaires en 2018 devant la Cour d’appel de Paris.

Ci-dessous 3 décisions rendues par la Cour d’appel de Paris sur la question des heures supplémentaires :
- Cour d’appel de Paris, 13 février 2018, n°16/15657 : Condamnation du Crazy Horse au paiement de 20.000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, la Cour d’appel relevant que la salarié produisait un courriel mentionnant les plannings ainsi que des relevés de badgeage « permettant de justifier des horaires variables d’entrée entre midi ou 19h selon les répétitions » ou encore des attestations « énonçant son travail systématique à raison de six voire sept jours par semaine au lieu de cinq, l’accomplissement de nombreuses heures supplémentaires et sa présence tous les jours d’ouverture et lors des répétitions hebdomadaires » alors même que l’employeur se contentait, pour une courte période, de produire des tableaux « visant uniformément le même nombre d’heures travaillées » ; Voir en ce sens notre article "Crazy Horse : une show manager obtient que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause et des dommages-intérêts pour harcèlement moral."

- Cour d’appel de Paris, 24 mai 2018, n°17/13902 : Condamnation de la société ABC PORTAGE au paiement de 5.977 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, la Cour d’appel relevant que la salariée « verse aux débats un tableau très détaillé des heures supplémentaires effectuées […] et des salaires dus en contrepartie (sa pièce n°25), ainsi que de nombreux courriels corroborant les amplitudes journalières reportées audit tableau » et que « l’employeur n’oppose strictement aucun argument pertinent ni aucun élément contraire de nature à justifier les horaires effectivement réalisés » ; [12]

- Cour d’appel de Paris, 27 juin 2018, n°17/10086 : Condamnation d’EUROMEDIA au paiement de 2.322 euros à titre d’heures supplémentaires, la Cour d’appel relevant que la salariée « étaye suffisamment sa demande de ce chef en produisant aux débats ses tableaux d’heures travaillées […] avec un décompte précis et crédible du point de vue des dépassements récurrents d’horaires » alors que l’employeur se limitait à « répondre que les tableaux récapitulatifs de l’appelante sont établis pour les besoins de la cause avec un mode de calcul « théorique, forfaitaire et confus », mais sans lui-même fournir à la cour des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par cette dernière ». Voir en ce sens notre article "Droit des intermittents : requalification des 500 CDDU d’une assistante de production en CDI et licenciement sans cause."

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum