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L’AFA : Une agence qui vous veut du bien… ? Par Julia Katlama et Pauline Rodot, Avocats.
Parution : lundi 28 janvier 2019
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Créée par la loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin II, l’Agence Française Anti-corruption (AFA) est un service à compétence nationale placé auprès du Ministre de la Justice et du Ministre chargé du Budget.

L’AFA est chargée, aux termes de l’article 3 de la Loi Sapin II, tant du conseil que du contrôle des entités concernées.

Depuis ses débuts, il y a maintenant un an, l’AFA n’a cessé de promouvoir au travers de nombreuses Conférences, ou encore de son tout récent « Guide de bonnes pratiques » publié sur son site internet, son rôle d’appui et de conseil auprès des entités économiques, afin de permettre la mise en confiance des entreprises et de faciliter ainsi leur coopération…

Ainsi, on aura compris que la mise en conformité des entités économiques aux normes légales françaises leur permet, in fine, d’être protégée contre la menace de poursuites parfois létales par des autorités étatiques tierces, au premier rang desquelles les autorités américaines.

Davantage, l’effort de conformité assurerait une compétitivité accrue au regard des attentes nouvelles des consommateurs.

L’Agence a, toujours dans cet effort de pédagogie, publié en ligne le 2 octobre dernier une « Charte d’appui aux acteurs économiques » en trois approches : un appui générique, un appui spécifique et un appui individuell.

A noter que cet accompagnement proposé par l’AFA procéderait d’une démarche volontaire de l’entreprise qui ne reposerait sur aucune obligation légale, réglementaire ou conventionnelle.

En outre, l’AFA a pris soin de préciser récemment que l’appui aux entreprises était universel, facultatif, et surtout, indépendant du contrôle. En effet, ces contrôles seraient seulement décidés par le Directeur de l’AFA dans les conditions prévues par l’article 2 de la loi Sapin II, et par conséquent, indépendants des fonctions d’appui.

L’AFA : conseiller et « procureur » ?

Ainsi, l’AFA prétend, afin de rassurer les entreprises inquiètes de voir un seul organe étatique disposer des pouvoirs de conseil et de sanction, que ses fonctions d’appui et de contrôle sont, par principe, indépendantes.

Or force est de constater que la structure même de l’institution, interroge quant à l’effectivité de cette prétendue indépendance mais surtout sur le cloisonnement réel de son activité, dans la mesure où le Département « Conseil/appui » et le Département « Contrôle », appartiennent à la même institution et sont placés sous l’autorité du Directeur de l’Agence, auquel revient par ailleurs d’initier les contrôles et de choisir les entités contrôlées.

A première vue, tant les garanties de cette indépendance que l’assurance du caractère « hermétique » des deux départements semblent bien fragiles et reposent pour l’essentiel sur le rôle dévolu par la Loi au Directeur de l’agence et à l’orientation que semble actuellement en donner son Directeur, Charles Duchaîne.

Aussi, nombreuses sont les craintes – par ailleurs légitimes - manifestées par les entités qui, pourtant séduites par l’esprit collaboratif et incitatif de la loi, souhaiteraient solliciter l’appui de l’AFA, mais s’inquiètent de ce qu’une simple « demande d’appui » puisse être à l’origine d’un contrôle a posteriori.

Questionné lors de ses interventions publiques de promotion des activités de l’AFA aux allures quelque peu « évangélistes », Charles Duchaîne a cherché, souvent sans convaincre, à minimiser ces inquiétudes assurant que « les missions de conseil ne sont pas antinomiques avec celles de contrôle » [1].

Pourtant, aucune disposition statutaire ou formelle ne permet de s’assurer de l’effectivité de cette indépendance.

Dans la mesure où le mandat du directeur de l’AFA est limité à 6 années, qu’en sera-t-il de la philosophie du successeur de Charles Duchaîne ?

De sorte que l’absence de cadre procédural ou statutaire à ce stade, n’est pas de nature à rassurer les acteurs économiques et demeure en contradiction avec l’objectif collaboratif initial visé par l’agence, clef de voûte de l’effectivité de la loi Sapin II.

De la coopération au risque d’auto-incrimination.

En outre, les obligations posées par l’article 40 du Code de procédure pénale, et son éventuelle application par l’AFA renforcent à raison la crainte des entreprises de procéder à une auto-incrimination.

En effet, qu’il s’agisse d’une mission de contrôle ou d’appui, dans l’hypothèse où un agent de l’AFA acquerrait dans l’exercice de ses fonctions la connaissance de faits de nature délictuelle ou criminelle, la loi lui fait obligation d’en rapporter au procureur de la République [2].

Mue par une volonté d’inciter les entités économiques concernées à coopérer, l’AFA soutient mordicus que dans l’hypothèse d’une mission « d’appui », laquelle révélerait de graves défaillances de nature à fonder un tel signalement, où en cas de révélation spontanée par l’entité, l’article 40 ne serait pas appliqué « systématiquement ».

Il n’en demeure pas moins que l’AFA ne vient pas démentir ce risque mais tente seulement de minimiser sa mise en application, sans toutefois assurer aucune garantie légale ni procédurale.

Si l’intention est louable et compréhensible au regard des objectifs incitatifs de l’AFA, il n’en demeure pas moins qu’il semble difficile de croire que les agents de l’AFA oseront s’affranchir de leur obligation de dénonciation. Le risque étant pour les entités économiques même coopérantes, de s’exposer, in fine à des sanctions ou à une saisine du parquet, et partant de s’auto-incriminer.

C’est cette incertitude qui nourrit, à raison, les hésitations des entités économiques à faire appel à l’AFA comme structure d’appui.

Dès lors, comment prétendre inciter les entreprises à solliciter spontanément l’AFA si celles-ci ne sont pas garanties contre un contrôle a posteriori et en tout état de cause, contre l’opportunité de poursuites par le Parquet ?

Si l’idée directrice est d’inciter les entreprises à révéler leurs mauvaises pratiques pour mieux y mettre fin, et ainsi les protéger contre d’éventuelles poursuites par d’autres autorités étatiques étrangères au but moins vertueux, quel est l’intérêt qui demeure de laisser planer la possibilité de poursuites, quand bien même seraient-elles que purement théoriques ?

Ne pourrait-on pas envisager, dans l’hypothèse d’une dénonciation spontanée de l’entité, et donc en dehors de tout contrôle a priori, qui révélerait une infraction de nature délictuelle ou criminelle, un cadre procédural contraignant ab initio, le Ministère public à la mise en œuvre d’une Convention judiciaire d’intérêt public, sans possibilité de poursuites judiciaires ultérieures ? Le principe d’opportunité du Ministère public s’en trouverait certes affaibli mais au profit d’une plus grande sécurité juridique des entreprises et donc in fine, d’une participation spontanée forcément plus importante et audacieuse.

Des « recommandations » et des « préconisations » au statut équivoque.

L’AFA rappelle à l’envie que ses recommandations, lesquelles ont été publiées sur le site de l’AFA en décembre 2017, n’ont pas de valeur contraignante, mais qu’elles visent "à prévenir et à détecter les faits de corruption". Elle précise encore que les préconisations formulées à l’occasion d’un appui individuel ne doivent pas être considérées comme des obligations.

En effet, pour mémoire, les seules obligations de mise en place de programmes anticorruption sont celles qui résultent de la loi [3] ou de décisions judiciaires ou administratives, à titre de sanction.

Toutefois, au regard des dispositions actuellement en vigueur, rien ne semble garantir aux entreprises qu’il ne pourra leur être reproché dans le cadre d’un contrôle par exemple, de ne pas avoir mis en œuvre lesdites recommandations, lesquelles semblent constituer en réalité, le seul référentiel « sécurisé », a même de garantir au maximum contre les risques de manquement.

Là encore, de l’obligation à la recommandation, le chemin est court et le flou persistant.

Le flou législatif, décidé semble-t-il à la faveur d’une souplesse affichée, crée en réalité une incertitude chez les instances dirigeantes et n’aide pas à leur mise au pas en matière de conformité.

La communication de document : une perquisition qui ne dit pas son nom… ?

L’article 4 de la Loi SAPIN II prévoit que « Dans le cadre de ses missions définies aux 3° et 4° de l’article 3, les agents de l’Agence française anticorruption peuvent être habilités, par décret en Conseil d’Etat, à se faire communiquer par les représentants de l’entité contrôlée tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile. Le cas échéant, ils peuvent en faire une copie ».

Cette disposition s’inscrit encore dans la logique de coopération et d’incitation chère à l’AFA et à « l’esprit » de la Loi Sapin II.

Cette faculté confiée aux agents de l’AFA, excluant manifestement toute garantie procédurale, en matière de droits de la défense notamment, sera à l’avenir et à n’en pas douter, source d’un contentieux important.

On peut ainsi légitimement s’interroger sur les modalités de remises des pièces sollicitées.

En effet, dans le cadre par exemple d’une mesure de perquisition, seuls les biens en lien avec l’objet de l’enquête, utiles à la manifestation de la vérité ou qui constituent une infraction, peuvent être saisis puis placés sous scellés. En outre, le placement de ces pièces sous scellés fait l’objet d’un procès-verbal contenant la liste des objets saisis, lequel sera signé par les personnes ayant assisté aux opérations de perquisition. Enfin, cette mesure est toujours supervisée par un magistrat : soit le procureur, dans le cadre d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, soit un juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire, sans oublier la saisine éventuelle du juge des libertés et de la détention qui peut autoriser la mesure de perquisition dans certains cas.

Qu’en est-il dans le cadre de la procédure mise en place par l’article 4 de la Loi Sapin II ?

Rien ne semble prévu pour circonscrire les prérogatives des agents de l’AFA en la matière. Rien ne semble non plus prévu s’agissant des modalités de conservation, puis de restitution éventuelle de ces documents. Quid encore du secret des affaires et de la confidentialité de ces pièces ?

Le Directeur de l’AFA précise lors de ses interventions que le fait de « ne pas remettre une pièce, c’est faire naître une suspicion ».

Toutefois, on peut comprendre le refus de la part de représentants de l’entité contrôlée de remettre spontanément des pièces, au regard des droits de la défense et du risque d’auto-incrimination particulièrement important en l’espèce.

Or, les dispositions de la Loi Sapin II et les publications de l’AFA jusqu’à ce-jour semblent n’en faire aucun cas.

Par son caractère prétendument volontaire, la remise des documents litigieux, permet in fine d’exclure le cadre procédural de la perquisition, incluant les droits de la défense dès lors qu’il repose sur la contrainte.

Mais le refus ne semble pas non plus être une option, dans la mesure où s’il advient, alors il fera naître la suspicion, souvent illégitime, et de facto la possibilité d’une enquête judiciaire.

En tout état de cause rien ne permet d’exclure à ce stade qu’un contrôle de l’AFA puisse donner lieu à des sanctions ultérieures, voire à une saisine du Ministère public, laquelle pourra se conclure par des sanctions pénales pour l’entreprise mais également pour les responsables conformité. Et ces sanctions interviendraient sur la base de pièces remises par l’entité contrôlée elle-même, sans qu’aucune garantie pour les droits de la défense soit assurée.

C’est ainsi que par un tour de passe-passe dont seul le législateur peut en avoir le secret, un régime de quasi-perquisition affranchi de toute garantie en matière de droit de la défense, a manifestement été mis en place dans le cadre de cette loi.

On ne peut que s’interroger quant à la logique de coopération encouragée et promue, non sans une certaine hypocrisie par l’AFA, ce alors qu’elle dispose de pouvoirs exorbitants par rapport à l’autorité de poursuite pénale, compte tenu notamment de l’accès à l’information dont elle dispose, lequel apparaît largement disproportionné au regard du but poursuivi.

La volonté, louable et légitime de l’AFA, d’encourager la coopération des entreprises, devrait en toute vraisemblance, en dehors de toute précision procédurale soucieuse de préserver les droits de la défense, rencontrer de fortes réticences de la part des acteurs économiques.

C’est sans conteste sur ce point précis que l’AFA, ou à défaut le Législateur, devra dans un futur proche, lever les doutes afin de convaincre les entités économiques d’adhérer pleinement aux objectifs de la Loi Sapin II, et de prendre ainsi une part active dans la lutte contre la corruption sans pour autant qu’elle demeure contrainte de renoncer aux droits de la Défense, parmi lesquels, le droit de ne pas s’auto-incriminer.

Julia KATLAMA, Avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence Pauline RODOT, Avocat au Barreau de Paris

[1Conférence « La Loi Sapin II en pratique », organisée par le DU Compliance Officer de Paris II.

[2Article 40 du Code de procédure pénale Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

[3L’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 impose aux entités concernées 8 mesures et procédures dont : l’établissement d’un code de conduite, la mise en place d’un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques de corruption, des procédures d’évaluation des tiers, des procédures de contrôle comptable interne ou externe, un dispositif de formation des cadres et des personnels les plus exposés, un régime disciplinaire, un dispositif de contrôle interne des mesures mises en œuvre.