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Quand des Conseils de Prud’hommes ne respectent pas le barème en cas de licenciement abusif. Par Audrey Seror, Avocat.
Parution : mardi 29 janvier 2019
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Et de 3 ! Les conseils de prud’hommes d’Amiens, Troyes et Lyon n’ont pas suivi le barème d’indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse mis en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 communément appelée « Ordonnance Macron »

Petit rappel, l’ordonnance précitée a créé l’article L.1235-3 alinéa 2 du Code du Travail qui prévoit qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre un minimal et un maximal et qui varie en fonction de l’ancienneté du salarié.
La liberté d’appréciation du juge est donc en principe encadrée par ce barème.

Pourtant, dans trois affaires, les salariés ont soulevé le caractère non conforme de ce barème aux conventions internationales, et ont sollicité que son application soit écartée.

A l’appui de leur recours, ils soulevaient la non-conformité de ce barème à l’article 24 de la charte sociale européenne d’une part, qui prévoit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une réparation appropriée », et à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT qui prévoit si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

Le Conseil de Prud’hommes de Troyes (jugement du 13 décembre 2018) a ouvert le bal en écartant le barème d’indemnités, considérant qu’il était contraire à la Convention 158 de l’OIT. Sa décision est doublement motivée. Il considère tout d’abord qu’en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, il n’est pas permis au juge d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. En outre, il estime que ce barème ne permet pas non plus d’être dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié.
Rappelons pour exemple qu’un salarié licencié abusivement et qui ne compterait qu’une ancienneté de 2 ans dans une entreprise d’au moins 11 salariés ne pourrait prétendre, selon ce barème, qu’à une indemnité comprise entre 3 mois et 3,5 mois de salaire. Pour peu que la rémunération du salarié soit faible, le « risque financier » pour l’employeur est faible en cas de contentieux et pouvait l’encourager à licencier abusivement ses salariés.

Peu de temps après, les Conseils de Prud’hommes d’Amiens (jugement du 19 décembre 2018) et Lyon (jugement du 21 décembre 2018) ont suivi et ont à leur tour écarté le barème, le jugeant contraire aux conventions internationales.

Ces récentes décisions font grand bruit et risquent d’inquiéter les employeurs dans leur politique de licenciement. A contrario, elles vont certainement encourager à nouveau les salariés à contester leur licenciement devant le Conseil de Prud’hommes, car depuis l’entrée en vigueur de ce barème, les contentieux en matière sociale étaient en chute libre.

En tout état de cause, il faut bien évidemment attendre les décisions d’appel et de cassation qui seront rendues pour déterminer l’avenir de ce barème…

Audrey Seror Cabinet Seror Fellous Avocats https://seror-fellous-avocats.fr/
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