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La nouvelle "Copyright Directive" : à l’heure du numérique, les controverses sont-elles justifiées ? Par Charlotte Gerrish, Avocate et Lolita Sandrine.
Parution : mercredi 30 janvier 2019
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Présentée pour la première fois à la Commission Européenne en 2016 dans le cadre de l’initiative du marché unique numérique, la nouvelle directive européenne relative au droit d’auteur (la "Copyright Directive"), n’a cessé de faire parler d’elle depuis. Alors que cette Copyright Directive était censée être adoptée sans trop d’encombres, plusieurs parties se sont mêlées au projet de directive, et de nos jours, on entend tout et son contraire sur ce "célèbre" texte de loi.
Nous faisons le point, notamment sur le question de savoir si les éventuels points de controverse liés à cette directive sont justifiées à l’heure de notre société numérique.

Le but annoncé de la directive [1] est le suivant : protéger les petits et gros créateurs, leur permettre de toucher des revenus pour leur travail, et ce peu importe la ou les plateforme(s) où leurs œuvres sont diffusées.

Ainsi, lorsque les contenus sont diffusés par quelqu’un d’autre qui n’a pas les droits d’auteurs sur cette œuvre, les revenus ont pour but de revenir systématiquement aux véritables auteurs de l’œuvre.

Seulement, cette directive rencontre aujourd’hui deux problèmes majeur : tout d’abord, des critiques acerbes sur l’article 11 de la directive, qui entend créer un droit voisin aux éditeurs de presse (I). Ensuite, il y a également un désaccord total des plateformes, en particulier de Google (et donc de YouTube), qui devient plus virulent chaque jour sur un point précis de la directive : son article 13 (II).

I/ La création d’un droit voisin aux éditeurs de presse.

L’article 11 de la directive, intitulée « Protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations numériques », évoque la création d’un droit voisin aux éditeurs de presse [2] pour les journaux, les magazines ou encore les agences de presse comme l’AFP [3].

Ainsi, en septembre dernier, le Parlement Européen a adopté la version suivante de l’article 11, qui précise dans son paragraphe 1 :
« Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE afin qu’ils puissent bénéficier d’une rémunération juste et proportionnée pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information » [4].

Le Parlement Européen va également préciser l’article 2 de la directive, notamment le paragraphe concernant les publications de presse :
« La fixation, par un éditeur ou une agence de presse, d’une collection d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés et constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé, dans le but de fournir des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiées sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services. Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, telles que les revues scientifiques, ne sont pas couverts par la présente définition » [5].

Ainsi, le but de ce droit de presse serait de permettre une rémunération lors de la réutilisation de leurs articles en ligne, entendre ici « publication de presse », même si cette réutilisation est partielle.

Pour cela, la mise en place d’un hyperlien et d’un extrait de l’article suffirait à permettre aux éditeurs de presse de demander une rémunération [6].

Pourtant, le Parlement Européen se permet une petite exception, puisqu’il a rajouté dans sa version un alinéa 1 bis : « 1 bis. Les droits visés au paragraphe 1 n’empêchent pas l’utilisation légitime, à titre privé et non commercial, de publications de presse par des utilisateurs particuliers » [7].

Il semble que cet ajout ait permis d’apaiser quelques tensions, notamment pour les utilisateurs quotidiens de Twitter, LinkedIn, Facebook et d’autres réseaux sociaux où le partage des liens est fréquent, puisque la pression autour de l’article 11 semble être retombée - mais on en est où pour la protection des startups et des blogger(euses) contre les actions en contrefaçon ou les obligations de rémunération lors de la partage des liens de presse quand il s’agit quand-même d’un contexte commercial mais pour une rémunération minimale et surtout pas comparable à des revenues perçus par les plateformes géantes de « news-sharing » professionnel ? Quid pour la liberté d’expression gratuite et le libre partage des informations dans l’intérêt public ? Cette question semble être toujours ouverte...

En effet, les controverses portant sur l’article 11 sont justifiées. Est-ce que nous aurions une solution pour protéger l’innovation et le développement des petites et jeunes entreprises et les blogueuses en Europe ? Affaire à suivre...

C’est maintenant l’article 13 qui est également ciblé par toutes les parties qu’il concerne - pourtant les controverses, sont-elles justifiées ?

II/ Une disposition controversée : l’article 13.

Le but affiché de l’article 13 de la proposition de directive est le suivant : il a la volonté d’imposer aux sites internet un strict respect du droit d’auteur sur les contenus qu’ils diffusent. Pour cela, l’article 13 vient demander aux plateformes de contrôler leurs contenus et d’en être responsables.

Une première version de cet article 13 a été faite par la Commission Européenne dans un texte publié en 2016, accessible ici Une seconde version a été faite et approuvée par le Conseil de l’Union Européenne en mai 2018, accessible iciEnfin, une troisième version a été adoptée par le Parlement Européen en septembre 2018, accessible ici.

Cet article 13 affiche quatre but importants :

1. Les plateformes deviennent responsables du contenu qui est posté par les utilisateurs.

Il y a donc une véritable remise en cause de la Directive commerce électronique de 2000 [8] et en France de sa loi de transposition, la LCEN de 2004 [9].

Le régime d’hébergeur, qui est celui des plateformes depuis leur apparition, est un régime très léger avec une responsabilité limitée : ne sont responsables que les hébergeurs qui ont été notifiés du contenu illicite et qui ne l’ont pas retiré promptement (cf. Article 6.I.3 de la LCEN).

La remise en cause de ce régime pose problème aux plateformes, car ce sont souvent des sites internet qui brassent des millions d’utilisateurs chaque jour. L’on fait référence notamment aux réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, ou même encore Youtube. Ce dernier exemple pose problème, cependant : chaque minute, 400 heures de vidéos sont postées sur Youtube.

Il paraît très compliqué de vouloir rendre Youtube responsable des contenus postés sur sa plateforme. Cependant, cette même plateforme gagne des revenus très importants du fait des contenus postés sur son service.
De plus, elle a tous les droits : si demain Youtube décide que votre chaine doit être supprimée, elle le sera, et vous ne pourrez rien faire contre cela car c’est leur service, leur site.

De ce fait, Youtube ne souhaite pas se voir attribuer plus de responsabilité : son régime de responsabilité limitée lui plaît bien, et cette plateforme ne souhaite en aucun cas que l’article 13 passe. C’est pour cela qu’elle a lancé récemment un véritable lobbying en s’adressant directement à ses acteurs : aux youtubeurs [10]. Ce sont donc les youtubeurs qui ont repris le lobby de Youtube en postant des centaines de vidéo expliquant pourquoi l’article 13 ne devait pas passer, alors même que ce même article pourrait leur apporter des droits plus importants sur la plateforme.

2. Elles devront rémunérer les droits d’auteurs, notamment via des accords avec les ayants droits.

En effet, le but de l’article 13 est de permettre une meilleure rémunération des droits d’auteurs aux auteurs.

La directive a pour but de lancer de nouveaux accords, entre les plateformes et les ayants droits, afin de permettre d’avoir une rémunération plus importante mais également une protection de leurs droits d’auteurs qui soit plus efficace. Ces accords auront ainsi pour but de clarifier la rémunération et la monétisation des contenus, mais également de clarifier la protection et l’action à faire lorsqu’une violation de droits d’auteurs est signalée.

Grâce à ces accords, on voit ici apparaître une sorte de passerelle entre les plateformes et les maisons de droits d’auteurs. Il est important de préciser que ces accords ne sont pas obligatoires, mais que s’ils sont conclus, alors ils s’imposent de manière obligatoire.

Cela pose problème pour certaines grosses plateformes, qui préfèrent rester floues sur les conditions de rémunération et de monétisation des contenus.

En effet, libre à elles de supprimer la vidéo, de la monétiser ou non, avec la possibilité de faire appel de la décision – ou non. Ainsi, Youtube est devenu spécialiste dans le changement de ses conditions générales d’utilisations – ce qui est normal, puisqu’il s’agit de sa propre plateforme. Cependant, dans le cas des accords avec les maisons d’éditions, ces plateformes ne pourront plus se permettre de rester floues, de changer les conditions d’utilisations ou de supprimer des contenus de façon arbitraire. Le but affiché est donc clairement la protection des auteurs, notamment sur les plateformes où ils postent des contenus et exercent leur travail.

3. Si aucun accord n’est trouvé, les plateformes sont obligées de coopérer avec les auteurs qui en font la demande.

Le but affiché de la directive est le blocage de tout accès au contenu en question (concernant la version du Conseil de l’Union Européenne), ou de faire les meilleurs efforts pour faire respecter des accords (concernant les versions de la Commission Européenne et du Parlement Européen).
Pour résumer : si la plateforme est mise au courant d’une violation de droits d’auteurs, elle doit agir. Cela concerne le cas où aucun accord n’aura été conclu avec les maisons de droits d’auteurs.
Pour autant, le texte « précise désormais que le blocage automatique de contenus doit être évité au maximum, afin d’introduire davantage de garanties pour éviter les risques de suppressions injustifiées de contenus [11] ».

Problème : pour signaler le contenu, pour le traiter, il faut avoir la « technologie nécessaire », que même Youtube dit ne pas avoir du fait de son Content ID qui ne satisfait personne, et qui a tendance à bloquer systématiquement les contenus. C’est pourquoi l’expression « faire les meilleurs efforts » lui conviendrait mieux que celle de la version du Conseil de l’Union Européenne.

4. Il sera possible de faire un recours contre une décision prise par les plateformes.

Ici, l’idée affichée du texte est la création d’un organisme indépendant pour gérer les plaintes des créateurs sur les décisions des plateformes, qui traiterait directement avec les plateformes concernées. Il y a une immixtion d’une autorité indépendante pour traiter avec les plateformes et les maisons de droits d’auteurs.

Conclusion.

L’article 13 fait beaucoup parler de lui car il se glisse dans des plateformes qui s’occupaient autrefois toutes seules des contenus et des violations de droits d’auteurs.

Ces plateformes vont se voir imposer des obligations légales et des responsabilités qui ne leur conviennent pas du tout, du fait des futurs ajouts technologiques couteux pour pouvoir respecter ces nouvelles obligations. C’est ainsi par exemple l’amélioration du Content ID de Youtube, qui serait appliqué dans toute l’Europe.

Cependant, ce fameux article 13 n’est pas encore fixe, puisque la directive ne parvient pas à être adoptée dans des termes qui conviennent aux trois institutions de l’Union Européenne.

Chaque institution a soumis sa propre version du texte : en 2016 pour la Commission Européenne, en mai 2018 pour le Conseil de l’Union Européenne et en septembre 2018 pour le Parlement Européen. Incapable de trouver des compromis, ces institutions se sont déjà réunis en de nombreux trilogues, le dernier ayant eu lieu le 3 décembre 2018, afin d’aboutir à une version du texte qui convienne à tous.

Malheureusement, il semblerait que la directive ait pris un long détour : de nouveaux trilogues sont déjà prévus, et si une version est finalement émise, elle devra ensuite être validée par le Parlement Européen et les Etats Membres de l’Union Européenne.

Il est à noter qu’une fois validée, cette directive prendra encore 2 ans pour être mise en place. Rien d’immédiat, donc.

Charlotte Gerrish Associée Fondatrice du Cabinet GERRISH LEGAL Paris - Londres et Lolita Sandrine

[2CF article du journal Le Monde.