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Le marché de l’art et la préservation des espèces protégées. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mercredi 30 janvier 2019
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Alors que le trafic de l’ivoire est responsable de la mort de plus de 20 000 éléphants d’Afrique par an, que le trafic d’oiseaux s’intensifie avec le développement de l’art de la plumasserie, la lutte pour la préservation des espèces protégées dans le cadre de leur vente sur le marché de l’art est devenu un enjeu crucial pour la sauvegarde de la biodiversité.

la Chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé dans un arrêt en date du 11 septembre 2018 la condamnation d’une collectionneuse poursuivie pour la détention de 4 000 animaux empaillés. Cette décision de la Cour de cassation va à rebours de la mouvance actuelle qui tend à une protection juridique accrue des espèces menacées, tant au niveau international, communautaire que national.

De nombreux pays se dotent d’un arsenal juridique sévère et répressif afin de lutter contre la disparition de la faune et la flore.
L’éléphant et le rhinocéros sont devenus les symboles de cette lutte en faveur de la préservation des espaces protégées ; le commerce de l’ivoire étant désormais particulièrement contrôlé, voire interdit au Royaume-Uni depuis le mois d’avril 2018.

De manière surprenante, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé dans un arrêt en date du 11 septembre 2018 la condamnation d’une collectionneuse poursuivie pour la détention de 4.000 animaux empaillés et la volonté de les céder sans certificat dans le cadre d’une vente aux enchères prestigieuse de l’Hôtel Drouot. La veuve, qui avait cherché à vendre la collection amassée par son défunt mari, chasseur et passionné de taxidermie, avait pourtant été condamnée en appel à 10.000€ d’amende, dont 5.000€ avec sursis.
Cette décision d’annulation, qui pourrait sembler surprenante, faisait en réalité suite à la confiscation des animaux empaillés, dont certains par erreur, car acquis de manière licite. Dès lors, l’intention frauduleuse de la venderesse n’était pas démontrée.
La décision de la Cour d’appel de renvoi est ainsi très attendue.

La protection des espèces protégées à l’échelle international, communautaire et nationale.

Le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction est régulé par la convention sur le commerce international dites CITES ou Convention de Washington. Cet accord intergouvernemental signé le 3 mars 1973 et effectif depuis le 1er juillet 1975, ratifié aujourd’hui par 183 pays.

Cet accord a pour but de s’assurer que le commerce international des animaux et des plantes, vivants ou morts, pris en totalité ou partiellement, sous forme de produits dérivés, ne porte pas atteinte à la préservation de la biodiversité et repose sur une utilisation durable des espèces sauvages.

Les espèces protégées sont classées par la CITES en trois annexes. Les annexes I, II et III de la CITES répartissent plus de 34.000 espèces animales et végétales en différents statuts, à l’aune des risques qu’elles encourent. De plus en plus d’espèces se retrouvent ainsi catégorisées dans la première annexe qui rassemble les espèces menacées d’extinction au niveau mondial et pour lesquelles le commerce est totalement prohibé.

Les États membres de l’Union européenne appliquent des règlements d’application de la CITES qui organisent et renforcent les principes sur le territoire communautaire. Les deux principaux textes en la matière sont le Règlement CE du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce et le Règlement CE de la Commission du 4 mai 2006.

Ces textes prévoient la délivrance de certificats afin de s’assurer de la date d’acquisition des produits issus des espèces protégées, interdisant le commerce de certains produits datant d’après 1947.

En France, les permis à l’importation et l’exportation et certificats sont délivrés par les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Les sanctions à l’importation, l’exportation et la vente d’œuvres d’art sans permis CITES sont prévues à l’article L.415-3 du Code de l’environnement. Deux ans d’emprisonnement et 150.000 € d’amende sont encourus par :
« 1° Le fait (…) :
a) De porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques, à l’exception des perturbations intentionnelles ;
b) De porter atteinte à la conservation d’espèces végétales non cultivées ;
c) De porter atteinte à la conservation d’habitats naturels ;
d) De détruire, altérer ou dégrader des sites d’intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que de prélever, détruire ou dégrader des fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites.
2° Le fait d’introduire volontairement dans le milieu naturel, de transporter, colporter, utiliser, mettre en vente, vendre ou acheter un spécimen d’une espèce animale ou végétale (…) ;
3° Le fait de produire, détenir, céder, utiliser, transporter, introduire, importer, exporter ou réexporter tout ou partie d’animaux ou de végétaux (…) ;
4° Le fait d’être responsable soit d’un établissement d’élevage, de vente, de location ou de transit d’animaux d’espèces non domestiques, soit d’un établissement destiné à la présentation au public de spécimens vivants de la faune, sans être titulaire du certificat de capacité (…) ;
5° Le fait d’ouvrir ou d’exploiter un tel établissement en violation des dispositions de l’article L. 413-3 ou des règlements pris pour son application. (…)
 »

La loi du 8 août 2016 sur la biodiversité a multiplié par dix le montant maximal de l’amende encourue. Ces infractions sont également réprimées par le Code des douanes et passibles de confiscation de l’objet, d’une amende allant de une à deux fois la valeur du bien ainsi que d’un emprisonnement de trois ans.

L’interdépendance entre la protection des espèces protégées et le marché de l’art.

Les amateurs d’objets issus de spécimens protégés ont un véritable rôle à jouer afin d’endiguer leur commercialisation et notamment à travers le marché de l’art.

Les consommateurs asiatiques notamment, particulièrement friands de ces objets, continuent d’alimenter le trafic de l’ivoire. Toutefois les mentalités évoluent et après la Chine et Hong-Kong, le gouvernement taïwanais a décidé, en avril 2018, de proscrire le commerce de l’ivoire à compter du 1er janvier 2020.

Certains États, comme le Royaume-Uni, vont même encore plus loin. Le 3 avril 2018, Michael Gove, Ministre britannique de l’environnement déclarait ainsi que « l’ivoire ne devrait jamais être considéré comme une marchandise pouvant rapporter de l’argent ou comme un symbole de statut social, nous allons donc introduire l’une des interdictions de vente d’ivoire les plus strictes au monde afin de protéger les éléphants pour les générations futures ».
Le Royaume-Uni a décidé de bannir définitivement la vente d’objets en ivoire, même ceux fabriqués avant 1947, qui étaient jusqu’alors autorisés.

En France, la mort de rhinocéros du zoo de Thoiry le 7 mars 2016, tué et braconné pour ses défenses, n’a pourtant pas conduit le gouvernement à renforcer la législation en matière de protection des objets précieux issus de la faune et la flore.

En effet, sont interdits sur le territoire national le transport à des fins commerciales, le colportage, l’utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l’achat de défenses brutes et de morceaux d’ivoire brut et de cornes brutes, de morceaux de corne brut et de poudre de cornes ainsi que les objets fabriqués après le 2 mars 1947 dans ces matériaux.

Des dérogations sont néanmoins prévues pour les objets fabriqués après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975, composés en tout ou partie d’ivoire ou de corne quand leur masse présente dans l’objet ne dépasse pas 200 grammes. Des dérogations sont également possibles pour certains instruments de musique (touches du piano, hausse des archets), à clavier ou à corde ou pour les objets ayant une finalité scientifique ou culturelle présentés par des musées ou des institutions culturelles.

Un nouveau dispositif promulgué le 4 mai 2017 a ainsi été adopté afin de prendre en compte les difficultés pratiques causées par ces interdictions.

Professionnels du secteur, antiquaires, commissaires priseurs, acheteurs et vendeurs, doivent donc être particulièrement prudents lors de l’acquisition et la vente de ces objets. Il est en outre recommandé aux commissaires-priseurs d’être vigilants lors de ventes d’objets protégés, de s’assurer de la détention des documents CITES et systématiquement contrôler les annexes CITES dont le contenu est évolutif afin d’éviter que les lots mis en vente ne soient retirés des ventes après l’intervention des services douaniers.

Béatrice Cohen, Avocat www.bbcavocats.com