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Avocats : l’éloquence se repositionne en haut de l’affiche.
Parution : vendredi 8 février 2019
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Pièces de théâtre, animation d’émissions de radios ou de télévision... De plus en plus d’avocats n’hésitent pas à sortir du prétoire pour s’adresser à un public plus grand. Leur point commun, une maîtrise quasi-parfaite de l’éloquence. Un art qui fait un retour tonitruant en haut de l’affiche. Décryptage.

De l’importance de l’éloquence chez les avocats.

A la fourche on reconnaît le paysan, au bec l’avocat.” Comme le décrit le proverbe allemand, l’éloquence ou l’art de la parole est la marque de fabrique des avocats. En effet, une partie de leur travail consiste à plaider des causes auprès des magistrats, pour tenter de gagner un procès, obtenir la libération du client ou des dédommagements pour la victime.

Le danger pour un avocat serait de mal se servir de cette arme, au point de ne pas réussir à convaincre le magistrat ou le jury populaire, et de perdre le procès.

Un jeune avocat pénaliste qui ne maîtrise pas l’art de la parole partira à coup sûr avec un handicap, et aura beaucoup plus de mal à se faire un nom dans un milieu qui exige un minimum d’éloquence et de force de persuasion. A contrario, un orateur reconnu aura plus de facilités à gravir les échelons, et à réussir sa carrière, même si l’éloquence sans maitrise des dossiers ne suffit pas.

Dans le milieu du barreau, beaucoup d’avocats ont acquis la réputation d’excellents orateurs, maniant à merveille la force de la parole et l’art de jouer avec les mots. Parmi eux, on pourrait penser à Éric Dupond-Moretti ou au controversé Jacques Vergès, dont la plaidoirie dans l’affaire Omar Raddad résonne encore dans les têtes des observateurs assidus de la justice.

Un grand discours doit plaire, instruire et émouvoir.


Bien avant eux, deux grands orateurs grecs, Aristote et Cicéron, ont développé sur les règles de la rhétorique. Pour eux, un grand discours doit obéir à ces trois objectifs : plaire, instruire et émouvoir.

Conscients de cette réalité, les jeunes juristes qui se destinent à intégrer le barreau essayent de se former pour maîtriser l’art de la parole, et ce en intégrant des clubs de débats, ou en suivant les conseils des professionnels.

L’éloquence : ça s’apprend !

On ne naît pas orateur, on le devient ! La formule plaît, la Fédération francophone de débat (FFD) l’a adoptée pour en faire son slogan lors de son lancement en 2012. Depuis, l’association s’efforce de promouvoir l’art oratoire, le débat et la langue française, à travers des évènements et formations organisés sur tout le territoire français.

Sa création est l’œuvre d’un homme : Romain Decharne. Alors étudiant en droit, il s’inscrit dans un club de débats en anglais. Un choix risqué car il fallait débattre dans une langue étrangère : « Au moins, si je faisais des erreurs, je pourrais mettre cela sur le dos de l’anglais. Cela m’a énormément rassuré », confie-t-il. Au-delà de l’anecdote, l’ancien enseignant à Science-Po trouve le format anglais mieux adapté pour un débutant : « Le modèle anglo-saxon, c’est des plaidoiries collectives, par groupe de quatre. Cela rassure les débutants et les aide à se lancer dans le bain, on a moins le trac ».

Romain Decharne participe alors à des concours internationaux, et gagne le championnat de France de débat en langue anglaise. L’idée lui vient de lancer des concours de débat en langue française. Le premier club est créé à Assas, comme un symbole de l’importance de l’éloquence chez les juristes. « La fédération francophone de débat a vu le jour dans les universités de droit, les premiers étudiants intéressés par le concept étaient juristes. D’ailleurs, certains d’entre-deux ont créé par la suite des clubs de débats au sein des écoles de formation des avocats pour perpétuer la tradition », raconte-il.
A ce propos, le club d’art oratoire « Révolte toi EFB », donne des cours chaque semaine pour les élèves avocats. Comme une évidence, il est présidé par un champion de France d’art oratoire, Kamel Derouiche. Pour Romain Decharne, il est fondamental « que les juristes et les élèves-avocats se rendent compte qu’il y a d’autres moyens d’apprendre que d’assister aux cours, et que l’art oratoire est important dans la formation juridique ».

Romain Decharne, lors d’un concours d’éloquence. (Crédits photos : la Fédération francophone de débat).

Aujourd’hui, la Fédération est implantée dans une cinquantaine d’universités dans tout le territoire, et organise plusieurs événements par jour à travers la France. Les quatre grandes disciplines de l’art oratoire, à savoir le discours, le débat, la négociation et la discussion, sont pratiquées au quotidien. Un détail important selon Romain Decharne, qui distingue sa structure des autres clubs d’éloquence classiques qui ont vu le jour après. « Dans ce que nous proposons, il y a de l’interaction. Il y a très peu de moments dans votre vie d’avocat où vous allez faire un discours, puis vous rentrez chez vous. Il faut que ce soit utile dans la vie professionnelle. Débattre avec quelqu’un, l’écouter, révoquer ses arguments, prendre la parole, c’est très utile pour le juriste ! ». L’association a également organisé des reconstitutions de grands procès en présence d’Eric Dupond-Moretti, Hervé Témime, Basile Ader, Xavier Nogueras, Patrice Spinosi et d’autres illustres avocats.

D’autres événements sont prévus assure-t-on du côté de la Fédération. Autre nouveauté, des clubs ont été créés dans des facultés de sociologique et de philosophie, à Science-Po et à l’École normale supérieure.

L’éloquence s’apprend et s’acquiert par le travail.

Si Romain Decharne est bien convaincu d’une chose, c’est que l’éloquence s’apprend et s’acquiert par le travail. « Quand j’ai postulé pour mon premier concours d’éloquence, je n’ai même pas été présélectionné tellement j’étais mauvais et stressé » se plaît-il à rappeler. « Après, j’ai travaillé dur et j’ai acquis un niveau respectable. Maintenant je prends la parole devant 3.000 spectateurs aux côtés des meilleurs avocats français, lors des concours d’éloquence. A force de persévérance, c’est possible d’y arriver ». Ce constat est également partagé par l’avocat parisien Bertrand Périer, qui estime d’ailleurs que la parole est un sport de combat (titre de son bestseller), dans le sens où il faut s’entraîner quotidiennement pour gagner en assurance

Alors, le président de la Fédération francophone de débat distille ses conseils pour s’améliorer. « Vous pouvez faire du théâtre, c’est très efficace, moi-même j’en ai fait. Mais surtout, je conseille aux étudiants de s’amuser en apprenant ! C’est notre leitmotiv à la Fédération ».

Atelier ludique d’éloquence. (Crédits photos : la Fédération francophone de Débat).

La parole : un moyen d’émancipation sociale.

Si elle peut être vue comme une source de divertissement pour ceux qui ne se destinent pas au barreau, l’éloquence peut également constituer un moyen d’émancipation sociale. Filmé par les caméras de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, le documentaire "A voix haute", raconte en effet le quotidien des étudiants de l’Université Saint-Denis qui préparent le concours d’éloquence « Eloquentia », lequel vise à récompenser le meilleur orateur du 93. Ses réalisateurs défendent l’idée selon laquelle la parole est essentielle de toute activité humaine, car permettant l’interaction entre les individus. En ce sens, l’objectif est de mettre la prise de parole au service du développement personnel de chacun.

La parole est nécessaire pour s’imposer dans les milieux défavorisés.

Muni de leurs armes, les personnages du documentaire s’affrontent pour gagner le concours, mais également pour acquérir une aisance à l’oral, bien utile dans la vie personnelle et professionnelle. Pour eux, la parole est « nécessaire pour s’imposer ».
Cette idée prend davantage de sens pour les jeunes de banlieue, qui se plaignent de discriminations vestimentaires et sociales. Leurs formateurs leur donnent également les outils pour lutter contre « la stigmatisation par le langage » dont se plaignent d’être victimes les acteurs. Une mission bien lourde, mais qui vaut la peine d’être relevée.

*Crédits photo pour l’image illustrant l’article : Fédération francophone de débat.

Nessim Ben Gharbia Rédaction du Village de la Justice
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