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Infraction de non-dénonciation du conducteur : la Cour de cassation siffle la fin du match. Par Hedy Makhlouf, Avocat.
Parution : vendredi 1er février 2019
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Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’article L.121-6 du Code de la route instaurant l’infraction de non-dénonciation du conducteur, la multiplication des procédures de contestation des amendes nouvelles qui s’en sont suivies a permis de mettre en évidence les lacunes de ce texte. Parmi elles, l’imputation de cette infraction aux personnes morales faisait débat. La Cour de Cassation a finalement levé le doute.

Il résulte des dispositions de l’article L.121-6 du Code de la route entré en vigueur au 1er janvier 2017 que "Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.
Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.
".

Selon ce texte donc, seul le représentant légal de la personne morale était en principe tenu de "dénoncer" l’identité du conducteur d’un véhicule ayant servi à commettre une infraction.

La loi pénale étant d’interprétation stricte, l’infraction de non-dénonciation du conducteur devait, en principe, n’être poursuivie qu’à l’encontre du représentant de la personne morale, seul tenu de l’obligation imposée par l’article L.121-6.

Cependant dans la pratique, les avis d’amende forfaitaire, d’amende forfaitaire majorée, voire les actes de poursuites étaient libellés et dirigés contre la personne morale elle-même.

On le comprend d’ailleurs aisément : d’une part les personnes morales sont souvent plus solvables que les particuliers, d’autre part (et surtout), l’amende forfaitaire est alors multipliée par cinq par l’effet de l’article 530-3 du code de procédure pénale.

Sans surprise, les réclamations n’ont pas manqué de pleuvoir sur les Officiers du Ministère Public, et à leur suite les citations devant le Tribunal de Police, dont les plus courageux n’ont pas hésité à juger que l’obligation résultant de L.121-6 du Code de la route n’était effectivement imposée qu’au représentant de la personne morale, et à relaxer celle-ci des poursuites.

L’intervention de la Cour de Cassation s’est donc révélée indispensable, et sa position, malheureusement défavorable aux contrevenants, a néanmoins le mérite d’être sans équivoque.

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 2915 du 11 décembre 2018, Pourvoi nº 18-82.628 : : "Vu l’article L. 121-6 du code de la route, ensemble l’article 121- 2 du code pénal ; Attendu que le premier de ces textes, sur le fondement duquel le représentant légal d’une personne morale peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait, dans le délai qu’il prévoit, à l’obligation de communiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui, lors de la commission d’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale, n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant ; [...] Attendu que, pour renvoyer la société O... des fins de la poursuite, le tribunal énonce que les faits ne peuvent être imputés à la personne morale mais à son représentant légal ; Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal de police a méconnu les textes susvisés et le principe précédemment rappelé ; D’où il suit que la cassation est encourue (...)".

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 3434 du 15 janvier 2019, Pourvoi nº 18-82.423. : "Vu ledit article L. 121-6, ensemble l’article 121-2 du code pénal ; Attendu que le premier de ces textes, sur le fondement duquel le représentant légal d’une personne morale peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait, dans le délai qu’il prévoit, à l’obligation de communiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui, lors de la commission d’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale, n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant ;
[...] Attendu que, pour relaxer la prévenue, le jugement retient que les faits ne peuvent être imputés à la personne morale mais à son représentant légal ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal de police a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé
(...)".

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 3583 du 22 janvier 2019, Pourvoi nº 18-81.317 : "Vu l’article 593 du code de procédure pénale, ensemble l’article L.121-6 du code de la route ; [...] Attendu que selon le second de ces textes, lorsqu’un excès de vitesse, constaté par un appareil de contrôle automatique, a été commis avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de celle-ci doit indiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure ; qu’en cas de constatation de l’infraction de non communication de l’identité et de l’adresse du conducteur, les poursuites peuvent être engagées tant contre la personne morale que contre son représentant(...)"

Si la Cour de cassation avait pu laisser entrevoir une position inverse à l’occasion de précédentes QPC [1], elle n’avait pas eu l’occasion d’unifier la jurisprudence quant à la lecture à donner de ce texte.

C’est désormais chose faite, et la "double peine" est confirmée.

Les représentants de personnes morales qui liront cette article sauront désormais à quoi s’en tenir : de bonne foi ou pas, même pour avoir voulu dépanner ou faire preuve de bienveillance à l’égard de son salarié, la non-dénonciation du conducteur vous expose, pour ainsi dire, à une double-amende.

Selon le nombre de véhicules de votre flotte, la facture risque rapidement d’être salée ! Soyez vigilants !

Hedy MAKHLOUF Avocat au Barreau de Toulon

[1Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 juin 2018, Pourvois nº 18-90.009, nº 18-90.010, nº 18-90.011 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 831 du 4 avril 2018, Pourvoi nº 18-90.001 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 1008 du 2 mai 2018, Pourvoi nº 18-90.003

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