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Prime « gilets jaunes » : exonération, piège à c...otisations ? Par Jean-Louis Denier, Juriste.
Parution : lundi 4 février 2019
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La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat visée par la loi 2018-1213 du 24 décembre 2018 bénéficie d’une bienveillance encourageant les employeurs à la verser. Cette bienveillance se présente sous la forme d’une (double) exonération sociale et fiscale. Mais derrière ce « Père Noël » se trouve un « Père Fouettard ». Car l’exonération en question est tributaire du respect d’une série de conditions, série explicitement prévue et listée par l’article premier de la loi précitée. Ce qui ne manquera pas de faire l’objet de vérifications et contrôles – Urssaf et Fisc – à venir. Qu’un manque vienne à être détecté et il sera, aussitôt, élevé au rang de manquement susceptible de remettre en cause l’effectivité de l’exonération. Et si la situation dégénère, la « trique » du redressement aura, pour l’entreprise, remplacé la « hotte » et son cadeau (apparent) du versement exonéré ...

Rappel : spécificités de l’exonération propre a la prime « GJ ».

D’entrée, le texte du 24 décembre 2018 pose un principe cardinal : « Bénéficie de l’exonération (...) la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat respectant les conditions prévues aux II et III (...) ».

La relation de cause à effet est donc installée. La prime versée n’est exonérée que si et seulement si elle se conforme aux conditions prévues par le texte.

Au nombre d’entre elles – pour leur détail : lectrice et lecteur voudront bien se reporter à l’article de X. Berjot – figurent notamment : un montant maximum de prime (1000€) – un intervalle chronologique de versement (du 11 décembre 2018 au 31 mars 2019) – un plafond de rémunération maximal (pour avoir droit au versement) – une condition de salariat à remplir à une date donnée – une non-substitution (la prime n’a pas vocation à remplacer certains éléments de salaire existants ou à venir ou en faire office) – des processus spécifiques d’instauration de la prime (dont : négociation collective – accord conclu avec un CE/CSE – ratification/approbation par les salariés).

I. Exonération de la prime « GJ » et contrôle URSSAF et/ou fiscal : raisonner par analogie a partir de l’intéressement et de la participation.

Principe : salaire + effectif = prélèvements (cotisations - contributions - taxes).
Une série de textes codifiés, dont l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité Sociale, instaurent une logique générale. A savoir qu’employeur(s) et salarié(s) sont redevable(s) du paiement d’un ensemble de sommes à raison notamment du bénéfice de la rémunération servie en contrepartie de l’exécution du contrat de travail ou encore considération faite de l’emploi régulier d’un nombre donné de salariés. Dans la plupart des cas, lesdites sommes sont calculées sur la rémunération – et tout ce qui en tient lieu dont divers avantages – et prélevées sur elle à raison de pourcentages.

Exception aux prélèvements : instauration d’exonérations.
Bien que générale, la soumission aux prélèvements n’est pas systématique. Car à la batterie de textes qui impose et organise les prélèvements correspond une autre batterie qui, elle, prévoit et organise des dispenses sous forme d’exonérations diverses et variées (généralement tributaires du respect de conditions et exigences prévues et listées). Et, en la matière, l’article 1 de la loi 2018-1213 du 24 décembre 2018 objet de notre attention ressort précisément de cette catégorie de dispositions instaurant un régime d’exception.

Conséquence de l’exception : contrôle de la bonne application de l’exonération. L’exception aux prélèvements présente une caractéristique majeure : elle ne présente aucune garantie de pérennité. Rien n’étant acquis, elle peut donner lieu à remise en cause. Qui survient généralement à l’occasion d’un contrôle opéré par les corps ayant reçu compétence pour ce faire (dont URSSAF et Fisc). Car le champ du contrôle ne se limite pas à l’évaluation des pratiques en matière de prélèvements effectifs (pertinence, ou non, de ce qui a été versé en termes de cotisations, contributions et autres taxes assises sur les salaires).

Celui-ci, en effet, inclut l’évaluation des pratiques et mise en œuvre des dispositifs d’exonération. De sorte que si des approximations, anomalies, erreurs – voire « facilités » et autres libertés prises – en lien avec tel ou tel dispositif d’exonération sont relevées, sera mise en lumière une insuffisance de cotisations donc une dette impayée. Laquelle donnera lieu, d’abord, à signalement et discussion (phase : observations impliquant échanges avec le débiteur) puis, ensuite, à réclamation (phase : redressement – mise en recouvrement), étant entendu que, à l’identique de toute dette, la réclamation portera sur un principal et un ou des ... accessoires (éventuelles pénalités).

Caractéristiques de la prime "GJ" points communs avec certaines caractéristiques de l’intéressement et de la participation. Raisonner par analogie implique de mettre en évidence des similitudes. Ce qui nécessite d’établir une comparaison. Celle-ci ne vise pas à confronter, d’entrée, des dispositifs d’exonération(s) et leurs traits distinctifs. Elle s’intéresse plutôt à des ensembles, à des systèmes qui, eux-mêmes, sont accompagnés de telle ou telle exonération, soit identique, soit ressemblante.

En observant cette démarche, on peut ainsi opérer un rapprochement entre prime « GJ », d’une part, et intéressement et participation, d’autre part. On note alors que ces trois systèmes :
1°) permettent à l’employeur - voire lui impose pour l’un d’entre eux - de distribuer de l’argent à ses salariés.
2°) organisent une distribution financière à caractère collectif à destination de l’entière collectivité des salariés de l’entreprise ou, à tout le moins, au profit d’un groupe bien déterminé au sein de celle-ci.
3°) sont assortis d’un dispositif d’exonération sociale et/ou fiscale incitatif (encourageant et/ou accompagnant la distribution financière).

Il y a donc communauté de logique entre ces trois systèmes distributifs, distributifs d’avantages collectifs de nature financière. A cette communauté de logique correspond une communauté de caractéristiques légales (issues des textes codifiés qui instaurent et modèlent ces systèmes).

Ces points communs sont notamment les suivants : modalités de mise en place dans l’entreprise (ex. : accord au sein du CE/CSE – ratification/approbation par les salariés) – plafonds/plafonnement conditionnant le bénéfice de l’avantage et/ou le niveau de son montant – modulation du montant de l’avantage servi à partir de critères similaires (niveau de salaire – durée de présence) – existence d’un principe de non-substitution.

Mise en évidence de points communs : enjeux et impact en matière d’exonération(s). Un des principes de la Gnose, avec l’Hermès Trismégiste, est d’établir une corrélation entre Ciel et Terre puisque " Ce qui est en Haut et comme ce qui est en Bas " et réciproquement (Toute ressemblance avec « les » France d’en haut et d’en bas de JP. Raffarin serait, ici, purement fortuite ...).

On peut raisonner à l’identique pour les dispositifs d’exonération ; ou plus exactement, raisonner à l’identique quant aux principes juridiques qui les entourent et déterminent leurs application, portée et limite, de même que les éventuels risques en résultant. De sorte que : ce qui est vrai et se vérifie pour l’intéressement et la participation est vrai, à l’identique, pour la prime « GJ ». Autrement dit, les principes juridiques propres au « Droit de l’exonération sociale et/ou fiscale des accords d’intéressement et/ou de participation  » ont vocation à pareillement s’appliquer à l’exonération propre à la prime « GJ ».

Exonération(s) attachées aux dispositifs d’intéressement/participation : Cass. Civ. 2e 21 septembre 2017, n°16-20512.

Considération faite de ce qui précède, cette décision de Cour de Cassation revêt un intérêt fondamental. Son contenu, pourtant, n’attire pas forcément l’attention. Une lecture rapide, de prime abord, pouvant cantonner la décision au rôle de simple arrêt d’espèce. Mais à y regarder de plus près, il en va différemment. De quoi s’agit-il et pourquoi ? Se trouve concerné un accord de participation.

La Cour de Cassation lui adresse un reproche : il prévoit que les sommes issues de la réserve spéciale de participation sont affectées exclusivement à un compte courant bloqué. Placement et rémunération des sommes dépendent donc d’un dispositif unique et exclusif.

Or ... unicité et exclusivité de ce mode de placement contredisent les termes d’une disposition légale (C. Trav. art. L. 3323-4 al. 2). Celle-ci s’intègre dans l’ensemble des textes qui instaurent, organisent et encadrent la participation. Cette disposition présente une caractéristique : elle ne fait pas (forcément) partie des dispositions majeures ou les plus emblématiques – au niveau des principes fondamentaux qu’elles posent et imposent – de la participation.

Malgré ce - et malgré le fait, par ailleurs, que le bénéfice de l’exonération ne soit pas, textuellement, strictement conditionné à l’adoption contrainte de tel ou tel mode de placement et rémunération des sommes issues de la participation – son inobservation suffit à entrainer la remise en cause intégrale et complète des exonérations appliquées à la totalité des sommes distribuées au titre de l’accord de participation.

Pour faire bref et court : ne pas respecter un texte (ou une partie de texte ...), ne pas se conformer à un des principes suffit à provoquer la perte irrémédiable des exonérations propres à la participation ; peu importe, à cet égard, le caractère plus ou moins important de ce texte voire son caractère (supposé) accessoire et/ou secondaire.

Avec cet arrêt – à élever au rang d’arrêt de principe vu les conséquences qu’il induit – chaque détail, chaque élément (même infime) compte, tout importe, rien n’est indifférent, mineur ou annexe pour conserver et pouvoir conserver le bénéfice d’une exonération.

Avec cette logique jurisprudentielle se vérifie le proverbe qui assure que le Diable se niche dans les détails ... .

Raisonnement par analogie et prime « GJ » : appliquer à la lettre l’art.1 de la loi 2018-1213 du 24 décembre 2018.

Nanti du viatique jurisprudentiel évoqué ci-dessus, l’entreprise qui décide de distribuer une prime « GJ » à tout ou partie de ses salariés devra – impérativement –respecter la totalité des exigences prévues par le texte fondateur. Sans reprendre la totalité des nécessités conditionnant le bénéfice de l’exonération, on mettra en relief deux détails importants, l’un étant apparent car directement évoqué par le texte, l’autre étant moins apparent car consécutif.

En la matière, on soulignera une divergence d’avec les dispositifs d’intéressement et de participation : la prime « GJ » ne dispose pas (apparemment) de dispositif dit de sécurisation » tel que prévu par les article L. 3345-2 et 3 du Code du Travail (contrôle administratif emportant validation implicite des accords en cas de silence gardé pendant plus de 4 mois avec impossibilité de remise en cause ultérieure du bénéfice des exonérations).

Un premier exemple de détail à ne pas négliger : (respect du) principe de non-substitution.

Suivant la logique de la loi du 24 décembre 2018, le versement d’une prime « GJ » est un geste – presqu’une libéralité – qui se rajoute à tout ce qui existe et/ou était (d’ores et déjà) prévu en matière de rémunération versée et/ou à verser. Il s’agit, en fait, d’éviter des versements d’opportunité par les entreprises. L’opportunité, en l’occurrence, est de capter une exonération et de l’affecter à des sommes habituellement « chargées ». Pour éviter ce type de pratique, le texte instaure un principe de non-substitution analogue à ce qui existe en matière d’intéressement. Sans passer en revue toutes les spécificités de ce principe, on notera deux choses :

1°. Notion de substitution (matérialisant le non respect du principe) : identité decause (origine) et objet (finalité) du versement entre telle somme exonérée et telle autre somme soumise, elle, à cotisations, la première venant remplacer et/ou tenir lieu, délibérément ou accidentellement, de la seconde. [1]

2°. Périmètre d’application du principe de non-substitution : il balaye et « scanne » la totalité (sans exclusion) des sommes accordées aux salariés ; de sorte qu’il est opposable à celles dont le versement n’est pas obligatoire. [2] ou résulte d’un usage. [3]

Aussi - et en reprenant l’antienne du Diable et des détails – que vienne à exister une conjonction et/ou ressemblance entre natures et/ou typologies de diverses sommes dont la prime « GJ » et l’exonération attachée à celle-ci sera menacée. Et la menace sera d’autant plus effective que la simple substitution partielle (remplacement d’un élément de salaire mais pour un montant pourtant inférieur) suffit, en termes d’exonération, à tout à faire perdre et pour la totalité des sommes versées [4].

Un second exemple de détail à ne pas négliger : (respect des) principes d’organisation et conduite de la négociation collective.

La loi du 24 décembre 2018 transforme la prime « GJ » en éventuels thématique et objet de la négociation (collective) d’entreprise. Dont acte. Mais cela entraîne une conséquence dérivée de la jurisprudence du 21 décembre 2017 précitée : qu’un manquement à l’un des nombreux principes encadrant la négociation d’entreprise survienne ... et tel corps de contrôle s’en prévaudra pour remettre en cause l’exonération.
Illustration en matière d’organisation et conduite des négociations : non convocation de l’ensemble des organisations syndicales et/ou conduite de négociations séparées. [5]

II. Prime « GJ » et exonération : prévention des risques de redressement par la méthode donc par la méthodologie.

Qui peut se targuer de pouvoir épargner à une entreprise les affres d’un redressement Urssaf et/ou fiscal ? Réalisme et humilité commandent de répondre : personne. Ce qui n’interdit nullement de prendre des précautions dans le sens de l’évitement et/ou de la minoration du risque. Le versement de la prime « GJ » n’échappe pas à cette logique. Les développements qui suivent n’ont pas la prétention à l’exhaustivité en la matière. On relèvera que la prise de risque n’est pas interdite. La prudence non plus ... qui peut conduire à renoncer au versement d’une prime de type « GJ » si le jeu n’en vaut pas la chandelle, ce qui est d’autant plus facile à faire que cet élément de salaire est facultatif.

Prévention en amont : audit (juridique) des rémunérations + rescrit + traçabilité.
- Audit

Périmètre = tous éléments de rémunération versés (habituellement + exceptionnellement)
Objet = analyse de leurs caractéristiques (source – nature – finalité – montant)
Dessein = 1. Eviter tout(e) rapprochement et/ou confusion avec une éventuelle prime « GJ » 2. Prévention de l’effet « substitution »

- Rescrit

Finalité = obtenir une position Urssaf et/ou du Fisc opposable en cas de contrôle
Formulation = interrogation sur les pratiques de rémunération internes en vigueur au regard de la prime « GJ » et notamment du principe de non-substitution
Limites = Délais de réponse - Dossier (complet + complexe) à fournir

- Traçabilité

Finalité = Preuve : matérialiser l’existence de « bonnes pratiques » dans l’entreprise
Périmètre =Tous domaines en lien (direct –indirect) avec les exigences juridiques entourant le versement de la prime « GJ »
Exemple : négociation collective (conservation des : courriers de convocation de l’ensemble des organisations syndicales – PV des séances de négociation).

Prévention en aval : opposabilité des circulaires + droit à l’erreur.

- Circulaires (opposabilité)

Logique = se prévaloir d’une position administrative afin de l’opposer à l’Urssaf et/ou au Fisc
Exemple : Instruction interministérielle N° DSS/5B/5D/2019/2 du 4 janvier 2019 relative à l’exonération des primes exceptionnelles prévue par l’article 1er de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales.
Limites = 1. organique : textes de ministères en charge de la Sécurité Sociale et de la fiscalité. 2. médiatique : circulaire ayant donné lieu à diffusion (bulletin officiel – Internet).

- Droit à l’erreur

Logique = invocation de la bonne foi : erreur involontaire (liée à : nouveauté du texte + complexité du principe de non-substitution)
Finalité = éviter le paiement de pénalités

Conclusion : simple prime … mais complexe de par ses mécanismes, la prime « GJ » pourrait réserver l’une ou l’autre mauvaise surprise à telle ou telle entreprise la mettant en œuvre. On songera particulièrement à des TPE et PME ne disposant pas de ressources juridiques (en interne ou en externe) susceptibles de les alerter sur les risques associés à l’exonération et les moyens de les prévenir peu ou prou. A la problématique du redressement URSSAF s’ajoute celle du risque de réintégration fiscale en cas de requalification d’une prime « exonérée » - au départ - en prime non exonérée par la suite. Quid alors de la situation des salariés (prélèvement) ? Et de la responsabilité de l’employeur vis-à-vis d’eux … ?

Jean-Louis Denier - Juriste d'Entreprise / Juriste en Droit Social

[1Cass. Soc. 31 octobre 2012, n°11-17223.

[2Cass. Soc. 13 avril 1995, n°92-21626

[3Cass. Soc. 13 avril 1995, n°92-21626.

[4Cass. Soc. 15 juin 2000, n°99-11075

[5Cass. Soc. 10 octobre 2007, n°06-42721.