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Le maire et la possibilité de refus d’une tribune diffamatoire. Par Alexis Deprau, Docteur en droit.
Parution : mardi 5 février 2019
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Le 27 juin 2018, le Conseil d’Etat a dû apporter des précisions en matière de tribune diffamatoire, une décision importante afin que les lignes soient respectées pour les prochaines élections municipales.

En matière de tribune d’opposition, il y a une liberté de parole qui est accordée à l’opposition dans le cadre du bulletin d’information générale (Article L. 2121-27-1 CGCT), sans que la commune n’ait à contrôler les propos contenus dans la tribune (CE, 7 mai 2012, Élections cantonales de Saint-Cloud, n°353536).

Pour autant, le juge administratif avait apporté une nuance, en expliquant que la responsabilité pénale du directeur du publication pouvait être engagée si le contenu pouvait être diffamatoire, injurieux ou outrageant.

Plus encore, par une décision du Conseil d’État du 27 juin 2018 [1], le Conseil d’État a posé le principe selon lequel le maire peut refuser une tribune d’opposition dans le bulletin d’information générale, si le contenu est diffamatoire à son égard.

Ainsi, cette possibilité est offerte au maire, à la condition que le contenu soit manifestement diffamatoire. De telle sorte que « la juxtaposition de cette tribune, au contenu manifestement erroné, et de la caricature du maire, représenté les poches remplies de billets de banque, faisant ainsi allusion, sans preuve, à sa malhonnêteté, présente à l’évidence un caractère manifestement diffamatoire. Il suit de là que le maire de la commune de Châtenay-Malabry pouvait légalement s’opposer à la publication la tribune du groupe d’opposition municipal " Tous ensemble à la mairie " dans le bulletin d’information municipale ».

Le Conseil d’État donne donc ici pouvoir au maire de refuser une telle tribune, mais ne cite plus la responsabilité pénale.

Plus encore, cette décision met en avant le contrôle du juge en matière électorale.

Il avait déjà apporté un contrôle sur les propos diffamatoires en matière de propagande électorale. En effet, le juge veille par exemple à l’ampleur des propos qui auraient rédigés sur des tracts diffamatoires, qui en la matière, pourraient altérer la sincérité du scrutin (CE, 14 novembre 2014, Élections municipales de Salles, n°382316).

Plus encore, le juge s’était déjà prononcé le 14 novembre 2014 [2], puisque la Cour administrative d’appel de Nantes avait estimé que l’exécutif avait un pouvoir de refus de publication d’une tribune qu’il estimait diffamatoire ou injurieuse, avec un contrôle du juge administratif à cet égard.

En effet, le juge avait considéré en l’espèce « qu’il résulte de ces dispositions combinées que si, en vertu de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, la commune est tenue de réserver dans son bulletin d’information municipale, lorsqu’elle diffuse un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace d’expression dédié à l’opposition municipale et si elle ne saurait contrôler le contenu des tribunes publiées dans ce cadre, qui n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs, cet article ne fait pas obstacle à ce que le maire, pris en sa qualité de directeur de publication de ce bulletin, refuse, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de publier une telle tribune dans le cas où il estimerait que son contenu contreviendrait aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 au motif qu’il porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou présente un caractère injurieux ».

Si le droit électoral permet une marge de manœuvre et une liberté d’expression importantes, point trop n’en faut, et il appartient donc à l’opposition de savoir raison garder, au risque de se voir refuser leur moyen d’expression à l’égard des habitants de la collectivité.

Alexis Deprau, Docteur en droit

[1N°406081

[2N°13NT00014