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Procédure d’appel : l’omission de la transmission par RPVA de la pièce jointe des conclusions est une cause étrangère. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 11 février 2019
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La procédure d’appel est devenue un parcours du combattant pour les avocats du fait de sa complexité. Outre la complexité des délais, les avocats doivent faire avec les capacités techniques limitées du système RPVA.
Dans cet arrêt du 6 février 2019 [1], la Cour d’appel de Paris devait trancher si l’oubli de joindre la pièce jointe des conclusions (en PDF) lors de l’envoi de ces dernières par en RPVA rendait les conclusions et les pièces irrecevables.
La Cour d’appel de Paris considère que l’oubli de la pièce jointe est une cause étrangère car « l’avocat, à défaut d’avoir été informé de l’échec de sa transmission, n’a pas été en mesure de régulariser la procédure ».

1) Rappel des faits : oubli de la pièce jointe des conclusions notifiées par RPVA.

Par ordonnance du 10 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré recevables les conclusions de la société Maneki, intimée.

Mme X, appelante, a déféré cette ordonnance à la cour.

Elle demande de voir constater que les conclusions de l’intimée n’ont été communiquées ni dans les formes imposées par l’article 930–1 du code de procédure civile, ni le respect du délai de 3 mois fixé par l’article 909 du code de procédure civile, et en conséquence, déclarer irrecevables les conclusions et les pièces communiqués par l’intimée.

La société sollicite de voir déclarer Mme X mal fondée en son déféré, constater que l’appelante n’a pas précisé dans sa déclaration d’appel les chefs de jugement critiqués, subsidiairement, constater que l’avocat de l’appelante n’a pas notifié ses conclusions à l’avocat constitué pour l’intimée dans le délai de 3 mois et s’est contenté de les remettre au greffe le 23 novembre 2017, en conséquence, juger irrecevables les conclusions de l’appelante, prononcer la caducité de l’appel, subsidiairement, déclarer irrecevables les conclusions notifiées par la société ainsi que sur l’ensemble de ses pièces.

2)Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 février 2019.

« La transmission des conclusions par voie électronique a échoué pour une cause étrangère à l’avocat de l’intimée, qui à défaut d’avoir été informé de l’échec de sa transmission, n’a pas été en mesure de régulariser la procédure ».

Il n’appartient ni au conseiller de la mise en état ni à la cour statuant dans le cadre du déféré de statuer sur l’effet dévolutif de l’appel, les pouvoirs de la cour étant limités dans ce cas à ceux du conseiller de la mise en état.

Au vu des éléments de la procédure, les conclusions de Mme X appelante, ont été adressées à la cour le 23 novembre 2017 et notifiées à l’avocat de l’intimée le même jour.

Aux termes de l’article 909 du code de procédure civile, l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident.

Il résulte des communications sur le RPVA, que l’avocat de l’intimée a annoncé la transmission de ses conclusions au greffe et leur notification au conseil de l’appelante le 30 janvier 2018 à 16h04 et transmis le bordereau de pièces aux mêmes destinataires le même jour à 16h50.

Le greffe a accusé réception des conclusions et du bordereau de communication de pièces les 31 janvier et 1er février 2018, sans indiquer au conseil de l’intimée que les conclusions n’avaient pas été annexées à son envoi.

Il s’en déduit que la transmission des conclusions par voie électronique a échoué pour une cause étrangère à l’avocat de l’intimée, qui à défaut d’avoir été informé de l’échec de sa transmission, n’a pas été en mesure de régulariser la procédure.

Il s’ensuit que les conclusions sont réputées avoir été remises au greffe le même jour que la transmission du bordereau de communication de pièces, soit dans le délai de trois mois impartis par les dispositions réglementaires. Celles-ci sont donc recevables.

3) Portée de l’arrêt.

L’article 930-1 du code de procédure civile dispose qu’ « à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique.

Lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En ce cas, la déclaration d’appel est remise ou adressée au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un est immédiatement restitué.

Lorsque la déclaration d’appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l’acte à la date figurant sur le cachet du bureau d’émission et adresse à l’appelant un récépissé par tout moyen.

Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l’expéditeur.

Un arrêté du garde des sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique ».

La Cour de cassation avait eu à trancher le cas où la remise par la voie électronique (RPVA) des conclusions, trop lourdes, s’avérait impossible ; l’avocat des appelants avait remis trois jeux successifs de conclusions, les trois par voie papier, au greffe de la cour d’appel.

Dans un arrêt du 16 novembre 2017 [2], la deuxième chambre civile avait réfuté l’analyse de la cause étrangère effectuée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en affirmant : « dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ; […] l’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit ; […] l’acte est en ce cas remis au greffe sur support papier ».

Statuant comme elle l’a fait, « alors qu’aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». [3]

L’impossibilité technique de transmission par voie électronique, liée à la seule taille des fichiers transmis, est, selon la Cour de cassation, une cause étrangère au sens de l’article 930-1 du code de procédure civile.

Dans l’arrêt du 6 février 2019, la Cour d’appel de Paris fait une application très bienveillante de la notion de cause étrangère.

Elle considère que « la transmission des conclusions par voie électronique a échoué pour une cause étrangère à l’avocat de l’intimée, qui à défaut d’avoir été informé de l’échec de sa transmission, n’a pas été en mesure de régulariser la procédure.
Il s’ensuit que les conclusions sont réputées avoir été remises au greffe le même jour que la transmission du bordereau de communication de pièces, soit dans le délai de trois mois impartis par les dispositions réglementaires. Celles-ci sont donc recevables
 ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Pole 6 Chambre 10, RG 18/00495

[2N°16-24864

[3Dalloz Actualité 22 novembre 2017, Corinne BLERY : le poids des fichiers, le choc de la cause étrangère.

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