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Gare à l’écart ! La méthode de notation dans les procédures de passation des marchés publics. Par Laurent Frölich et Justine Deubel, Avocats.
Parution : lundi 11 février 2019
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Si les acheteurs publics se croyaient à l’abri de tout contrôle sur la méthode de notation qu’ils appliquent dans la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres, l’actualité jurisprudentielle démontre le contraire. La méthode de notation est susceptible d’être censurée lorsqu’elle conduit à priver de portée les critères de sélection, ou à neutraliser leur pondération.

Tel est le cas, pour un exemple récemment jugé, lorsque la méthode de notation utilisée ne reflète pas suffisamment les différences entre deux offres en raison du faible écart de points entre celles-ci, ayant ainsi pour effet de neutraliser le critère de la valeur technique pour le candidat le moins bien classé sur ce critère [1].

Rappelons que la méthode de notation est par principe librement choisie par le pouvoir adjudicateur mais doit respecter les grands principes de la commande publique (1).

Afin d’être certain d’utiliser une méthode de notation sans risque, certaines méthodes de notation doivent être privilégiées et d’autres être évitées par les acheteurs publics (2). En tout état de cause, les acheteurs publics doivent favoriser l’utilisation d’une méthode de notation qui reflète les mérites respectifs de chaque offre ; ils doivent également accentuer les écarts entre l’offre économiquement la plus avantageuse, et les autres offres qui lui sont inférieures sur le plan qualitatif (3).

1. Le principe : La définition libre de la méthode de notation par le pouvoir adjudicateur.

Le Conseil d’Etat a posé comme principe que le pouvoir adjudicateur n’a pas l’obligation de communiquer, dans l’avis d’appel public à la concurrence ou les documents de la consultation, la méthode de notation qu’il choisit pour apprécier les critères de sélection des offres, et ce, contrairement aux critères d’attribution et leurs conditions de mise en œuvre (pondération, utilisation de sous-critères), qui doivent être portés à la connaissance des candidats, pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures [2].

Toutefois, le Conseil d’Etat a rapidement précisé que la méthode de notation des offres entre dans son champ de contrôle en cas d’erreur de droit ou de discrimination illégale [3].

Le Conseil d’Etat, dans son contrôle de la légalité d’une méthode de notation des offres, examine si la méthode de notation est de nature à rompre l’égalité de traitement entre les candidats [4].

2. Les méthodes de notation jugées régulières.

Parmi les méthodes de notation admises par le juge du référé précontractuel, figure la méthode de notation par laquelle un pouvoir adjudicateur prévoit d’attribuer automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre, s’agissant de l’évaluation au titre d’un critère de jugement des offres [5].
Ainsi, un candidat peut obtenir une note de 20/20 pour son mémoire technique si celui-ci est le meilleur au regard des autres candidats sans être cependant excellent. Cela rejoint la question de savoir si l’on peut attribuer une note de 20/20 à une copie d’examen en philosophie, en droit ou en histoire du seul fait que l’étudiant est le meilleur de sa promotion sans atteindre cependant à l’excellence !

Il est d’ailleurs conseillé aux acheteurs publics d’opter pour une méthode de notation qui conduit, à la fois sur le critère du prix et celui de la valeur technique, à attribuer la note maximale au candidat ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse (c’est-à-dire le prix le plus bas) et la meilleure offre sur le plan technique.

Le Conseil d’Etat a également jugé que l’attribution d’une note identique à deux candidats sur le critère du prix, justifié par le caractère négligeable de l’écart de prix entre les deux offres (en l’espèce de 109 euros), n’est pas constitutive d’une méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence par le pouvoir adjudicateur [6].

Ainsi, dès lors que la méthode de notation n’a pas pour effet de priver de leur portée les critères de sélection des offres ou de neutraliser leur pondération, cette dernière est considérée comme légale. Dans le cas contraire, le juge sanctionnera l’utilisation d’une telle méthode, par l’annulation de la procédure de passation du marché.

3. Les méthodes de notation censurées par le juge.

Parmi les méthodes de notation irrégulières, figure notamment celle qui conduit à attribuer pour un ou plusieurs critères d’attribution, des notes négatives aux candidats.

Le Conseil d’Etat a en effet pu juger que l’attribution d’une note négative, en se soustrayant aux autres notes obtenues au titre des autres critères dans le calcul de la note globale, fausse la pondération relative des critères initialement définie et communiquée aux candidats [7].

De même, est irrégulière une méthode de notation qui conduit, pour noter le critère du prix, à attribuer la note la plus faible au candidat ayant présenté le prix le plus éloigné de l’estimation du coût de la prestation opérée par le maître d’œuvre, que ce prix soit supérieur ou inférieur à l’estimation, et ayant pour conséquence que la note maximale soit attribuée à une entreprise alors que sa proposition financière était supérieure à la société requérante. L’attributaire du marché qui a eu la note maximale n’était donc pas celui dont la proposition de prix était la plus basse, entachant ainsi d’illégalité la méthode de notation utilisée par le pouvoir adjudicateur [8].

Enfin, l’acheteur ne peut utiliser une méthode de notation qui ne permet pas de différencier les mérites respectifs des offres des candidats sur le plan qualitatif et conduisant ainsi à fausser la pondération d’un critère, et neutralisant ainsi le critère de sélection des offres pour le candidat le moins bien classé sur ce critère.

Récemment la Cour administrative d’appel de Paris [9] a censuré une méthode de notation du prix en ce qu’elle « conduit, en présence de seulement deux candidats, à attribuer la note maximale de 40 sur 40 au candidat ayant proposé le meilleur prix, et une note nulle au candidat ayant proposé l’offre la plus chère, quel que soit, par ailleurs, l’écart de prix entre les offres des deux candidats ». Une telle méthode de notation a eu pour effet de neutraliser la pondération des critères de sélection des offres et n’a pas permis de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse [10].

Dans l’ordonnance rendue par le Tribunal administratif de Rennes le 16 janvier 2019 « Société Seaowl France », n°1806065, le Ministère des Armées avait lancé une consultation en vue de la passation, selon une procédure négociée avec publicité préalable, d’un marché ayant pour objet l’affrètement par la marine nationale de deux bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers.

La société Seaowl France, qui s’est portée candidate, a vu son offre rejetée et a saisi le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Rennes afin qu’il soit enjoint à l’Etat, de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Dans cette affaire, le règlement de la consultation du marché indiquait que le jugement des offres s’effectuait selon deux critères, à savoir le prix des prestations - pondéré à 80 % - et la « meilleure proposition technique » - pondéré à 20 %. Ce dernier critère était lui-même décomposé en deux sous-critères : « les caractéristiques des navires, dont le critère développement durable » sur 10 points et « l’organisation mise en place pour assurer les missions » sur 10 points.

La méthode de notation contestée par le candidat évincé sur ces deux sous-critères, consistait à attribuer la note maximale au candidat ayant la meilleure proposition technique, et de diminuer de 10 % la note du candidat se classant en 2ème position, et de diminuer de 20 % la note du candidat se classant en 3ème position, et ainsi de suite de telle sorte que le candidat arrivé 2ème obtenait 9/10, le candidat arrivé 3ème obtenait 8/10, le candidat arrivé 4ème obtenait 7/10, etc…

Cette méthode de notation conduit à attribuer automatiquement, pour chaque sous-critère, lorsque seuls deux candidats ont présenté une offre, comme c’est le cas en l’espèce, une note de 10 à l’offre la mieux classée et une note de 9 (sans qu’il ne soit possible que cette note soit inférieure à 9) au candidat dont l’offre a été jugée moins bonne techniquement alors qu’avec une autre méthode une note de 4/10 ou 2/10 aurait pu être appliquée au deuxième si son offre avait été mauvaise.

Le juge des référés a censuré cette méthode de notation au motif qu’elle « a ainsi pour effet, du fait de cette échelle restreinte, de priver de l’essentiel de sa portée le critère de la valeur technique en ne permettant pas de refléter les différences qualitatives réelles pouvant exister entre les différentes offres et à fausser la pondération des critères, en neutralisant le critère de la valeur technique pour le candidat le moins bien classé sur ce critère. L’application de cette méthode peut donc aboutir à ce que l’offre retenue ne soit pas celle qui est économiquement la plus avantageuse indépendamment de toute appréciation des mérites des offres. La société Seaowl France est ainsi fondée à soutenir que cette méthode de notation ne peut être regardée comme régulière ».

Ainsi, cette méthode de notation qui conduit à attribuer, au titre du sous-critère « caractéristique des navires » la note de 9/10 au candidat dont l’offre a été classée en deuxième position, et conduit à une différence d’un point uniquement par rapport à l’offre ayant obtenu la note maximale de 10 /10 sur ce sous-critère, n’est pas de nature à refléter les mérites respectifs des deux offres sur ce sous-critère.

Il revient donc aux acheteurs publics d’être vigilants sur la méthode de notation qu’ils souhaitent utiliser dans la mise en œuvre des critères de sélection des offres qui ne doit pas conduire à attribuer un trop faible écart entre les offres des candidats, qui ne permettrait pas de différencier l’offre économiquement la plus avantageuse.

Pour le critère du prix, la méthode la plus neutre et la plus simple reste la méthode dite « inversement proportionnelle » : Note sur 10 (ou tout autre coefficient) = (prix le plus bas/prix de l’offre examinée) x 10 (ou tout autre coefficient).

Nous conseillons également aux acheteurs de faire attention à ce que l’échelle de notation des critères dits techniques ne neutralise pas la pondération des critères, par exemple en évitant les « classes » ou « échelles » de notes qui amènent une notation sur 20 ou sur 10 à n’attribuer que 3 ou 4 notes [11].

Il ne faut pas non plus méconnaître l’effet psychologique qu’entraine pour le candidat non retenu la découverte, à la lecture de la lettre de rejet, de la proximité de sa note avec celle de l’attributaire. Un candidat arrivé 2ème avec une note globale de 15,32 aura plus de chances de contester la notation de 15,58 du premier que si l’écart entre les deux est de 3 ou 4 points.

De plus, la faiblesse des écarts est source de risque en cas de contentieux puisque le juge des référés examine fréquemment l’absence de lésion après avoir procédé à une comparaison des notes obtenues par le candidat retenu et par le candidat qui a contesté l’attribution ; dans un contentieux récent, il a ainsi attribué fictivement la note maximale au candidat évincé sur l’une des appréciations pour constater que, même avec une telle note maximale « cela ne lui aurait pas permis pour autant d’être mieux classée que l’entreprise concurrente et de se voir attribuer le marché compte tenu de l’écart de notation important existant entre son offre qui a obtenu une note générale de 74,84 et celle de l’entreprise concurrente qui a obtenu une note générale de 98 » [12]

Cette démarche du juge doit inciter les acheteurs à systématiquement accentuer les écarts de notation entre les candidats en évitant les notations « trop serrées ».

Laurent FRÖLICH et Justine DEUBEL Avocats au Barreau de Paris www.clfavocats.fr

[1TA Rennes, 16 janvier 2019, Société SEAOWL France, n°1806065.

[2CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, n°334279 ; CE, 26 septembre 2012, Communauté d’agglomération Seine-Eure, n°359706.

[3CE, 29 octobre 2013, OPH Val d’Oise Habitat, n°370789.

[4CE, 11 avril 2012, Syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres et autres, n°354652 et n°354709.

[5CE, 15 février 2013, Sté SFR, n°363854, 363855, et 363857.

[6CE, 30 novembre 2011, n°350788.

[7CE, 18 décembre 2012, Département de Guadeloupe, n°362532.

[8CE, 29 octobre 2013, OPH Val d’Oise Habitat, n°370789.

[9CAA Paris : 8 février 2016, req. 15PA002953.

[10Voir également en ce sens : C.E. 24 mai 2017, Ministre de la Défense, req. n° 405.787.

[11Par exemple une note de 0, une note de 5, une note de 10, une note de 15, une note de 20 privant ainsi l’acheteur de la gamme des chiffres permettant de distinguer clairement les offres.

[12Voir ainsi une ordonnance du TA de Marseille du 28 avril 2017 et son commentaire.