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Justice et conciliateur : les exclus du grand débat national… Par Christophe Courtau, Juriste.
Parution : mardi 12 février 2019
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« Trouver la voie d’une justice moderne mais humaine en donnant de la voix. »

Alors que l’avenir du service public de la justice est une nouvelle fois en discussion devant le Parlement dans le cadre du Projet de Loi de Programmation de la Justice 2018/2022 (PLPJ) [1] ;

Que le statut des conciliateurs de justice relevant du domaine réglementaire est systématiquement absent de tout projet de loi relatif à la justice et donc d’un débat contradictoire devant la représentation nationale alors qu’ils/elles constituent la « cheville ouvrière bénévole » et l’un des piliers de la justice de proximité à très faible coût pour le budget de la justice ;

La Justice et ses collaborateurs professionnels et non professionnels dont les conciliateurs, n’ont pas été conviés à la table du grand débat national ouvert à l’initiative de Monsieur le Président de la République.

Marie-Aimée Peyron, bâtonnière du barreau de Paris et Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB ont demandé, sans succès, au Premier ministre et à la Garde des Sceaux d’inscrire à l’ordre du jour du grand débat, la Justice, question pourtant essentielle, fondement de nos démocraties pluralistes, de l’état de droit et garante de nos droits et libertés fondamentaux, méritant d’intégrer ce grand débat contradictoire avec les citoyens, potentiels usagers volontaires ou forcés du service public de la justice mais aussi porteurs d’un idéal de Justice.

Quant aux associations de conciliateurs et leur fédération (CDF) elles sont restées taiseuses sur ce sujet et absentes de toutes les journées « Justice Morte » organisées par l’ensemble des acteurs professionnels de la justice (magistrats, avocats, greffiers) contre le PLPJ en cours de discussion devant le Parlement alors que le conciliateur de justice est, en sa qualité d’auxiliaire de justice assermenté, l’un des acteurs à part entière du service de la justice de proximité, et pourtant, il/elle a perdu "sa voix" mais aussi sa "voie"...

S’agissant du statut des conciliateurs de justice issu du décret n° 78-381 du 20 mars 1978 et absent du PLPJ 2018-2022 car relevant du pouvoir réglementaire et ne pouvant donner lieu à débat devant le Parlement, il a été modifié par le décret 2018-931 du 29 octobre 2018 [2] sans que les conciliateurs « de base », adhérents ou non d’une association représentative, n’aient été informés ni consultés individuellement sur ces modifications.

La fonction de conciliateur et son statut relevant de l’intérêt général et de l’ordre public et non de l’intérêt privé de tel ou tel groupement ou association représentative, doivent pouvoir être discutés par tous les conciliateurs adhérents ou non d’une association par exemple, via un questionnaire adressé par mail, mais aussi entrer dans le domaine de la loi afin d’être discuté publiquement et contradictoirement par la représentation nationale et non au ministère de la justice en présence de quelques représentants de la fédération des conciliateurs souvent inconnus de leur base.

Le statut du conciliateur de justice a été l’objet de 2 modifications substantielles apportées par le décret du 29 octobre 2018 qui interpellent et posent questions : l’obligation de formation initiale et continue des conciliateurs (A) et l’extension de sa compétence territoriale (B). Mais en dehors de ces modifications, ce statut reste inchangé et tout aussi fragile, ambigu, hybride et pas à la hauteur des enjeux de la justice du XXIème siècle ni des attentes des justiciables (C).

A/ Sur la formation du conciliateur devenue obligatoire sans contrepartie.

Le décret de 1978 ne prévoyait aucune formation préalable ni continue des conciliateurs nommés ni condition de diplôme en droit et/ou en négociation/gestion des conflits mais exigeait simplement de justifier « d’une expérience en matière juridique d’au moins trois ans, que leur compétence et leur activité qualifient particulièrement pour l’exercice de ces fonctions » [3].

Dorénavant, le conciliateur devra justifier d’une formation initiale et continue en droit et gestion des conflits dispensée par l’ENM, ce qui est légitime compte tenu de l’accroissement de son domaine d’intervention mais qui néanmoins, soulève 3 questions.

1. L’absence de contreparties (pas de crédit d’heures ni augmentation de leur indemnité) :
Pas de crédit d’heures d’absence en entreprise pour les conciliateurs de justice en activité salariale alors que leurs collègues CPH en bénéficient d’un.
Le conciliateur, auxiliaire de justice bénévole ne percevant qu’une indemnité de « menues dépenses » d’un montant annuel de 464 €, devra s’il/elle est salarié(e), poser des jours de congés à sa charge pour la formation en plus de ceux posés pour assurer ses permanences en semaine, les lieux de permanence fermant majoritairement le samedi (mairie, MJD/PAD et tribunaux d’instance).

Veut-on empêcher les candidats salariés d’exercer cette fonction et priver les justiciables d’un recrutement de ces nouveaux profils (juriste ou non) pouvant apporter leur expertise, alors que les rapports récents de l’assemblée nationale et du sénat pointent le manque de diversité du recrutement des conciliateurs ?

Pas d’augmentation non plus de l’indemnisation actuelle pour menues dépenses du conciliateur s’élevant à un montant forfaitaire annuel de 464 € soit 38,66€ /mois. Une revalorisation de celle-ci à 370 € /mois égale à celle allouée aux délégués du Défenseur des Droits (le montant mensuel de l’indemnité représentative de frais allouée aux délégués animateurs du Défenseur des droits étant fixé à 700 euros/mois), ne paraissant pas exorbitante par rapport au travail effectué par le conciliateur et aux similitudes entre sa mission et celle de délégué du Défenseur des droits, bénévole également.

2. Le contenu et la diffusion de la formation :
Elle est conçue et transmise par l’ENM via divers supports pédagogiques.
Certains conciliateurs restent dubitatifs sur le contenu des modules de ces formations et sur sa transmission non pas directement par l’ENM via ses formateurs professionnels internes ou personnalités qualifiées externes mais par 1 ou 2 conciliateurs choisis dans chaque cour d’appel qui ont et eux seuls suivis ces modules de formation, à charge pour eux d’en restituer le contenu à leurs collègues sachant que la transmission de savoirs ne s’improvisent mais supposent la maîtrise de savoirs faire et savoirs être.

3. L’absence de sanction de l’obligation de formation :
Le décret précité ne prévoit aucune sanction dans le cas où le conciliateur ne respecterait pas cette obligation de formation, mais précise dans son article 3 modifié du décret de 1978 que le conciliateur n’ayant pas suivi les formations, peut ne pas être reconduit par le premier président de la cour d’appel après avoir été entendu [4].
Cette disposition révèle toute l’ambiguïté et le caractère hybride du statut du conciliateur [5], bénévole mais soumis à des obligations comme auxiliaire de justice nommé par l’autorité judiciaire et indépendant dans l’exercice sa mission comme tout auxiliaire de justice mais soumis à l’autorité judiciaire notamment pour sa reconduction.
Soit, l’on considère que la formation devenue obligatoire du conciliateur est essentielle à la qualité de l’exercice de sa mission et son inexécution est expressément sanctionnée par son non renouvellement ou alors on conserve le caractère facultatif de sa formation en mettant en avant le bénévolat fondement essentiel de son statut.
La nouvelle rédaction de l’article 3 du nouveau décret est ambiguë car d’un côté, elle laisse une certaine souplesse au premier président mais crée aussi un risque d’arbitraire et en tous cas de pratiques différentes sur cette question.

B/ Sur l’extension de la compétence territoriale du conciliateur : d’une compétence territoriale cantonale à une compétence plus étendue.

La compétence territoriale du conciliateur était limitée par le décret de 1978, à la circonscription cantonale (1 ou éventuellement 2) dans laquelle il était désigné par la Cour d ‘appel ce qui permettait de répartir équitablement les saisines en conventionnel et judiciaire en empêchant que les justiciables puissent « choisir » leur conciliateur et ainsi conduire à une surcharge d’activité de certains conciliateurs au détriment d’autres collègues.

Or, le décret de 2018 dans son article 5, vient modifier l’article 4 du décret de 1978 en disposant que : « l’ordonnance nommant le conciliateur de justice indique le ressort dans lequel il exerce ses fonctions » qui selon la circulaire précitée, peut s’étendre au ressort du TGI ou de la cour d’appel. Terminée donc la régulation et répartition des saisines par canton et place pour les justiciables, à la recherche du conciliateur le plus rapidement disponible situé dans le ressort de la juridiction dans lequel il a été nommé, avec le risque de surcharge d’activité pour les uns et de faible activité pour d’autres.

Aussi, ne serait-il pas préférable de limiter la compétence territoriale du conciliateur au ressort de l’une des chambres du TGI détachées et se substituant aux actuels TI ?

C/ Enfin, quel statut pour le conciliateur de justice du XXIème siècle ? Juge de paix/Arbitre judiciaire intégré au sein des TGI ou médiateur/conciliateur indépendant et ne dépendant plus de l’autorité judiciaire ?

Afin de maintenir un lien entre la justice de proximité et les citoyens, mettre en place un nouveau statut de juge de paix à compétences juridictionnelles limitées [6] paraît s’imposer pour les raisons suivantes :
- Un statut plus attractif et protecteur, répondant ainsi aux difficultés actuelles de recrutement et aux nouvelles exigences de l’engagement citoyen (on ne s’engage plus pour l’intérêt général aujourd’hui de la même manière qu’en 1978),
- Un statut plus crédible notamment dans les relations quotidiennes du conciliateur avec les autres acteurs de la justice (magistrats professionnels, auxiliaires de justice professionnels et directions juridiques des entreprises),
- Une mission de juge de paix plus lisible car clairement distincte de la médiation et de la mission du médiateur, mode de règlement amiable concurrent très proche de la conciliation et à l’accès également gratuit pour de nombreux litiges,
- Mais aussi une mission de juge de paix plus efficace pour les justiciables, celui-ci disposant d’un pouvoir de soumettre aux parties un projet de décision en fait et en droit ou en équité et d’homologation avec délivrance de la formule exécutoire en cas d’acceptation de la proposition de décision par les parties,
- Enfin, un statut plus rigoureux et exigeant en termes de condition de recrutement et de formation du nouveau conciliateur, « la bonne volonté » ne suffisant plus face aux nouveaux enjeux de la justice, de la complexité des contentieux et des exigences de professionnalisme des justiciables.

Christophe Courtau, Juriste.

[3Art. 2 al. 2 du Décret n°78-381 du 20 mars 1978.

[4Cf Note de la DSJ JUSTB1902672N en date du 28 janvier 2019 précisant les conditions d’application du décret de 2018.

[5Voir cet article.

[6Voir cet article.

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