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Quand le Code du travail entre sur le terrain de football. Par Olivier Javel, Avocat.
Parution : jeudi 14 février 2019
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Monsieur Ben Harfa , le Paris Saint-Germain, la prime, et la discrimination.

Malgré la victoire du Paris Saint-Germain sur Manchester United tout n’est pas rose pour le club de la capitale puisque l’un de ses anciens joueurs sollicite la condamnation du club à plusieurs millions d’euros de salaire et de dommages et intérêts.

Les acteurs du drame.

Pour ceux que le ballon rond laisserait indifférent, il faut rappeler qui sont les acteurs en présence.

Monsieur Hatem Ben Harfa est un footballeur professionnel, il a évolué dans plusieurs clubs de Ligue 1 et en Première League. En juin 2016, le contrat qui le liait à l’OGC Nice prend fin et il décide de s’engager pour une durée de deux ans auprès du Paris Saint-Germain. A l’époque il était présenté comme une recrue de choix par et pour le club de la capitale.

Les noces entre les parties seront de courte durée puisque dès avril 2017, le joueur professionnel se verra privé de match. En effet, le footballeur ne participera à aucune rencontre pour les rouges et bleus lors de la saison 2017-2018.

En 2018, Monsieur Ben Harfa rejoint le Stade rennais FC, mais il décide également de réclamer plusieurs millions d’euros à son ancien club.
Bien qu’il ne m’ait pas été permis de lire la saisine envoyée au CPH de Paris, la presse sportive et généraliste s’est fait l’écho de cette demande en justice. Les journaux mettaient en avant que Monsieur Ben Harfa (qu’il convient d’appeler le salarié) sollicitait :
- Le paiement d’une prime dite d’éthique qui consisterait notamment dans le fait d’aller saluer les supporters en début et fin de match (le rédacteur de ces quelques lignes, candide, pensait que ce simple geste de courtoisie était naturel et ne nécessitait pas une incitation pécuniaire) ;
- Le paiement de primes liées à ses résultats et à sa présence sur le terrain ;
- Des dommages et intérêts pour sa perte de valeur.

Les sportifs professionnels sont avant tout des athlètes, mais ils sont également des salariés comme les autres avec des droits et des devoirs.

Les clubs sont donc des employeurs et ils sont soumis au Code du travail.

Dès lors, « L’affaire Ben Harfa » est une excellente opportunité de rappeler quelques principes.

Un salarié peut-il être privé d’une prime en raison d’une maladie ?

Les joueurs du PSG auraient perçu une prime éthique pour un stage effectué au Qatar. Monsieur Ben Harfa aurait été privé de cette rémunération (100.000€ tout de même) puisqu’il était absent. Or, son absence, loin d’être un caprice, serait la conséquence d’une maladie.

Une maladie peut-elle entraîner la perte d’une prime pour un salarié ?

Même en cas d’arrêt maladie certaines primes qui sont subordonnées à la présence du salarié au sein de la société n’ont pas à être payées par l’employeur, il s’agit notamment du cas des primes de production, de rendement ou d’assiduité.

A défaut d’une stipulation précise dans la convention collective [1], ou dans le contrat de travail, l’employeur n’est pas tenu de verser, au salarié malade, la prime qui est la contrepartie de la présence du salarié ou d’un travail précis.

A priori, il semble bien que le PSG ne soit pas tenu au paiement de la prime réclamée par son salarié.

Un employeur peut-il refuser de payer une prime à ses salariés en se fondant sur des critères non objectifs ?

Mais bien plus grave que cette prime d’éthique, Monsieur Ben Harfa du fait des choix de son employeur s’est vu privé des nombreuses primes qui sont versées par le club aux joueurs professionnels en raison de leurs résultats, et plus largement de leurs présences sur le terrain ou simplement sur la feuille de match.

Que les lecteurs se rassurent, il est probable que les sommes réclamées à ce titre soient supérieures au minimum de l’article 763 de la Convention Collective Nationale Des Métiers du Football qui prévoit que les joueurs bénéficient d’au moins 42 euros bruts en Ligue 1 pour leur présence sur la feuille de match.

Il est difficile de savoir quelle est la raison qui a motivé le Paris Saint Germain à exclure du terrain un joueur qu’il venait de recruter.

Monsieur Ben Harfa n’a peut-être pas les qualités du trio d’attaquants du club – encore que lui n’est pas actuellement blessé -, mais il est difficile de croire que ce soit ses seules prestations jugées trop mauvaises qui l’aient tenu totalement à l’écart des stades.

La presse évoquait une mésentente entre d’une part, le joueur et d’autre part, les dirigeants et propriétaires.

Des considérations extra sportives seraient donc à l’origine de l’absence du joueur sous les couleurs de son club.

Or, Monsieur Ben Harfa est un salarié dont une partie de la rémunération variable est fixée en considération de ses résultats et de l’évaluation qui est faite de lui par son employeur.

Puisqu’un employeur ne peut pas :
- Sanctionner un salarié en raison de ses opinions politiques ;
- Prévoir des sanctions pécuniaires.

Le club va devoir démontrer que la décision d’écarter son joueur (et donc de le priver d’une rémunération à laquelle il était normalement en droit de prétendre) était objectivement fondée sur des critères sportifs. En d’autres termes, Monsieur Ben Harfa n’avait pas le niveau requis pour jouer ou ne s’inscrivait pas dans la stratégie du club.

Dans le cas contraire, cela voudrait dire que l’employeur a injustement privé son salarié d’une prime.
Bien qu’exceptionnelle, la demande de Monsieur Ben Harfa a de bonne chance d’être accueillie au moins partiellement. Il semble en effet évident que la mésentente entre le joueur et le club soit au moins en partie responsable de la situation du salarié.

Un salarié peut-il solliciter un dédommagement si les agissements de son employeur ont diminué sa valeur sur le marché du travail ?

Les carrières des sportifs sont courtes et les reconversions parfois hasardeuses (chacun aura, j’en suis sûr, divers exemples). Le moindre incident peut donc avoir des conséquences très importantes.
Lorsque Monsieur Ben Harfa a signé au PSG, il achevait une très belle saison auprès de son ancien club l’OGC Nice avec 17 buts inscrits.

Le nouvel employeur du salarié, le Stade Rennais, est actuellement 8ème du championnat et ce n’est pas faire injure à ce club que de préciser qu’il ne dispose pas des mêmes moyens que le Paris Saint-Germain ou que les clubs qui participent à la Champions League.

La situation professionnelle de Monsieur Ben Harfa s’est donc dégradée.

Or, le fait de priver un joueur de match pour des motifs non inhérents à ses qualités sportives ce qui a pour conséquence de :
- Diminuer son exposition médiatique ;
- Diminuer ses statistiques.

A non seulement un impact immédiat sur les primes perçues par le salarié, mais cela a également un impact sur sa valeur en tant que joueur.

Monsieur Ben Harfa n’a pas pu prétendre auprès de son nouveau club au même niveau de rémunération que durant son précédent contrat. Plus grave encore pour sa carrière, peut être le joueur a-t-il été privé d’une chance de jouer dans un club plus prestigieux ?

La question qui est soumise au CPH est très intéressante. Les décisions de l’employeur non motivées par des critères objectifs qui causent un préjudice futur à son salarié ouvrent elles droit à réparation ?

Il est possible de faire une analogie avec le droit à la formation. On sait que les employeurs sont débiteurs d’une obligation de formation et que le non-respect de cette obligation peut causer un préjudice distinct de celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse [2].

Dans le cas de Monsieur Ben Harfa, il est certain que s’il arrive à démontrer que son absence des terrains est une sanction et non justifiée par ses performances sportives il sera en droit d’obtenir réparation du préjudice subi. Tout comme le salarié qui n’a pas bénéficié d’une formation adéquate et qui voit ses recherches d’emploi rendues plus difficiles ou moins heureuses.

Notre joueur de football pourrait ainsi prétendre à une perte de chance d’avoir eu une meilleure carrière.

Certains objecteront que Monsieur Ben Harfa a eu l’opportunité de quitter le PSG en fin de saison 2016-2017, alors que son destin au sein du club de la capitale était déjà scellé. Il a donc eu l’opportunité de limiter son dommage. Cependant, les juridictions françaises sont assez peu réceptives à cette obligation de limiter son dommage qui pèserait sur la victime et ce tant en matière contractuelle qu’en matière extracontractuelle.

Propos conclusifs

Nul doute que la décision du Conseil de prud’hommes de Paris sera scrutée par tous les acteurs du monde sportif.

Si des condamnations étaient prononcées, un certain Adrien Rabiot dont le contrat arrivera à expiration en fin de saison et qui pour des raisons, a priori extra sportives, a été tenu éloigné de la pelouse du Parc des Princes pourrait être inspiré par l’action en justice de son ancien co-équipier.

La morale de cette histoire est que la vérité des terrains n’est pas toujours celle des clubs mais elle est celle du Code du travail.

Olivier Javel, Avocat olivier.javel@1792avocats.com http://www.1792avocats.com

[1Cass. soc 3-10-1980 n° 79-40.762.

[2Cass. soc, 12 septembre 2018, n° de pourvoi : 17-14257.

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