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Sens et portée de la décision judiciaire au pénal. Par Jean-Louis Lascoux.
Parution : vendredi 15 février 2019
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A l’occasion de la décision de la sanction judiciaire prise à l’encontre de Christophe Dettinger, le boxeur devenu célèbre en raison de son affrontement à mains nues contre des CRS en tenue casques, matraques et boucliers, lors d’une manifestation de Gilets Jaunes, j’ai conduit quelques réflexions sur la nature des sanctions que l’institution judiciaire peut infliger.

Compte-tenu de la diversité des poursuites pénales et des sanctions prises selon les personnes, on peut déjà se dire que Jean Lafontaine a fait du François Villon en interpellant l’humanité républicaine depuis son temps régalien, en constatant que : "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."

Le modèle judiciaire empêtré dans les habitudes de pensée.

Indépendamment du manque d’indépendance, vis-à-vis du gouvernement, caractérisé de certains juges - ce qui n’a rien de nouveau - que l’on peut constater, le classement juridique des décisions punitives masquent leurs véritables aspects. Très concrètement, elles consistent à atteindre à la vie des personnes, sans avoir le moindre effet éducatif, contrairement à la volonté du législateur à l’époque de la grande réforme de mai 1945. Les différents types d’atteinte à la vie des personnes sont les suivants :
- vie économique : amende et compensation ;
- vie professionnelle : interdiction temporaire jusqu’à l’empêchement d’exercer en étant enfermé ou non ;
- vie intime, affective, familiale : privation sensorielle, privation sexuelle.

Dans certains pays, il reste toujours l’atteinte à l’intégrité physique (membres coupés, fouet, lynchage…) jusqu’au meurtre légalisé (peine de mort).

La décision judiciaire est tombée contre le boxeur emporté par son émotion face à des policiers très lourdement équipés pour frapper sans risque, avec des conséquences de provoquer des infirmités (faut-il préciser, à vie) : trente mois de prison, dont dix-huit avec sursis, soit douze mois de prison ferme, aménageable en semi-liberté pour qu’il puisse aller travailler. Le ministère public avait requis trois ans de prison, dont deux ferme.

Le plus souvent, pour les personnes les moins nanties, le modèle actuel en France fonctionne encore sur des atteintes globales, consistant à mélanger les types de privation et d’aboutir à un empêchement d’aller et venir autrement que dans l’espace réduit d’une cellule, de couloirs et de cours de promenades. Ainsi, tout est atteint : la vie économique, la vie professionnelle et la vie intime. Pour quel effet ?

Le questionnement est dans la reprise de travaux qui sont devenus des friches depuis qu’ils ont été engagés avant la guerre de 1939-1945, visant la suppression des bagnes et l’idée de travailler sur une dimension d’altérité, visant à favoriser l’intégration, l’insertion, l’apprentissage, l’instruction, la formation, plutôt que l’inutile répression.

Il reste maintenant à faire passer des savoir-faire en ingénierie relationnelle, c’est clair. Mais nous n’en sommes pas là : la thématique est nouvelle et il risque de falloir quelques années encore avant que l’idée se propage dans les cercles qui font la décision politique.

Des fictions aux commandes de la pensée répressive.

En réfléchissant ainsi, on peut mieux s’interroger sur la pertinence de ce modèle judiciaire. N’en serions-nous pas encore à la « justice selon la loi divine du talion », avec son jeu de crédulités et d’illusoire exemplarité ? Illusoire, parce que l’exemplarité n’a en fait jamais été dissuasive, sinon ça ferait longtemps qu’il n’y aurait plus sur la planète ni de vol, d’agression ou de crime, voire d’infraction à quel règlement que ce soit. Mais tout cela repose sur un ensemble de fictions (confessionnelle, juridique et psychosociologique) qui voudrait qu’une personne saurait comment se comporter, comment retenir ses états émotionnels et qu’en sus elle serait implicitement en connaissance de toutes les lois, y compris – pour le comble - celles les moins connues de ceux-là qui les promulguent et, parfois, ne les respectent même pas.

Ainsi, au nom de cette pratique de la domination d’un maître sur un esclave social, disons que celui qui a été pris la main dans le sac de billes peut être "sanctionné" par l’obligation de restituer des billes ; disons que celui qui a commis des fautes professionnelles peut être interdit d’exercer ; que dire de celui qui s’est mis en colère contre une personne et qui en est arrivé à répondre par la violence à des comportements violents ? On le prive de sa vie de famille ?

De toute évidence, il y a quelque chose de mesquin dans la punition affective. Un profond travail culturel est à réaliser pour faire évoluer en France le paradigme de référence politique, la pratique de la gouvernance et le système judiciaire.

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr