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Les impacts du gel des procédures Airbnb pour les propriétaires de locations saisonnières. Par Lorène Derhy, Avocat.
Parution : mercredi 20 février 2019
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Si « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour des courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage à autorisation », l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne attendu pour la fin de l’année 2019 pourrait rendre obsolète cette obligation si pesante et coûteuse pour les propriétaires et avoir des conséquences importantes tant sur les infractions en cours que sur la règlementation à venir des locations saisonnières.

I. Obligation du changement d’usage des locaux d’habitation préalablement à leur mise en location à titre de meuble touristique sur une plateforme de type Airbnb.

Si les locations meublées classiques ne sont soumises à aucune démarche administrative, il en va différemment des locations meublées de tourisme, qui sont des locations de courtes durées pour une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.

A Paris et dans l’ensemble des trois départements de la petite couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine- Saint- Denis et Val-de-Marne), ainsi que dans les villes de plus de 200.000 habitation, une règlementation spécifique s’applique à la location saisonnière- [1] en imposant la transformation des « locaux à usage d’habitation » en locaux à un « autre usage » (commercial, hôtelier…) aux termes de la combinaison des articles L. 631-7, L 631-7-1, L 631-7-1 A, L 651-2 et L 632-1 du Code de la construction et de l’habitation, dès lors qu’il ne s’agit pas de la résidence principale du propriétaire.

En ce sens, l’article L631-7 alinéa 6 du CCH soumet à autorisation préalable le changement d’usage des logements destinés à la location saisonnière, laquelle peut être subordonnée à compensation.

Cette législation a pour dessin d’éviter la disparition d’habitats en zone urbaines marquées par un déficit de logements.

1.1 S’assurer de l’usage du local destiné à la location saisonnière.

Les locaux sont réputés à « usage d’habitation » dès lors qu’ils avaient cet usage en fait au 1er janvier 1970 et sous réserve que cet usage n’ait pas été modifié ultérieurement en droit par le dépôt d’un permis de construire ou d’une déclaration préalable (avec ou sans travaux).

L’affectation à un usage “autre que de l’habitation” au 1er janvier 1970 peut être prouvée par tous moyens (fiche de révision foncière, actes notariés, baux en vigueur en 1970, relevé de taxe professionnelle…). Cette recherche n’a d’intérêt que dans le cas où le local est décrit comme étant à « usage d’habitation » et que vous souhaitez pouvoir contester cet usage.
De son côté, le Maire pourra contester la qualification d’usage « autre que d’habitation » en démontrant par exemple le paiement de la taxe d’habitation.

A noter : Il n’y a pas de prescription acquisitive trentenaire résultant d’une utilisation à usage « autre qu’habitation », en conformité de l’article L 631-7-1 alinéa 3 du CCH.

1.2 Obtenir l’autorisation du changement d’usage d’un local d’habitation en vue de sa location saisonnière.

Si vos locaux sont réputés à « usage d’habitation » dès lors qu’ils avaient cet usage en fait au 1er janvier 1970 et qu’ils n’ont pas été modifiés ultérieurement en droit, vous ne pouvez pas les mettre en location saisonnière, sous peine d’être exposé à de lourdes sanctions financières si vous vous faîtes épinglé par la Commune.

Pour louer en toute légalité vos locaux d’habitation, ceux-ci doivent être transformés à un « usage autre que de l’habitation », en obtenant préalablement une autorisation de changement d’usage par le Maire du lieu de situation du local. Dans la majorité des grandes villes, le Maire assortit son autorisation d’une obligation de « compensation » sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux “à un autre usage”.
Le principe de la « compensation » impose :
- soit de proposer en compensation des locaux à “autre usage que l’habitation” dont vous êtes propriétaire et que vous allez transformer en logements, avec l’autorisation et sous le contrôle des services municipaux compétents et avec un taux de compensation pouvant aller du simple au double ;
- soit d’acheter un titre de compensation (ou commercialité) auprès d’un tiers, propriétaire de locaux affectés à un « autre usage que l’habitation » (bureaux, commerces…) qu’il va transformer en logements. Il n’existe pas de tarif officiel : les prix sont négociés entre l’acheteur et le vendeur. Ils varient en fonction du lieu de situation de votre local.

Chaque commune fixe librement le coefficient de compensation. A Paris, les règles à suivre en matière de compensation sont fixées par un règlement municipal posant le principe et déterminant les conditions de cette compensation [2].

Naturellement, avant de se lancer dans une activité de location saisonnière, le propriétaire ne pourra envisager un changement d’usage avec compensation (ou l’exercice d’une telle activité si son lot n’est pas soumis à un changement d’usage), qu’à la condition que le règlement de copropriété autorise l’exercice d’une telle activité de manière suffisamment claire.

Si tel n’était pas le cas, vous pouvez toujours tenter de solliciter le changement de destination de l’immeuble aux termes d’une résolution à la prochaine assemblée générale qui devra être soumise à la majorité de l’article 26 et donc requérir l’unanimité des votes ; ce qui n’est pas aisé d’obtenir.

En cas de doute sur la lecture de votre règlement de copropriété, l’assistance d’un avocat spécialisé est fortement recommandée dès lors qu’elle vous permettra de vous réconforter dans votre projet d’achat de ou non de commercialité. [3]

II. A quels risques êtes-vous exposés en cas d’infraction au changement d’usage ?

2.1 Se faire assigner par la Commune.

Si vous louez l’une de vos résidences secondaires sans avoir préalablement procédé au changement d’usage en violation de l’article L 631-7 du CCH, vous vous exposez au risque d’être poursuivi en justice par la Commune du lieu de situation du bien par devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés.

2.2 Se faire condamner à une amende civile pouvant aller jusqu’à 50.000 €/appartement.

Dans une telle hypothèse, vous vous exposez à une condamnation à paiement d’une amende civile maximale de 50.000 €/ appartement et à une injonction de retour à l’habitation dans un délai que le tribunal fixera. A l’expiration du délai, il pourra prononcer une astreinte d’un montant maximal de 1.000 € par jour et par m2 (L 651-2 du CCH).

Sur ce point, il convient de rappeler que cette somme constitue un plafond maximum. Par conséquent, le montant de l’amende que le juge fixera est laissé à sa libre appréciation. Si vous vous trouvez dans une telle situation, je vous informe qu’il existe des circonstances atténuantes qui peuvent faire varier le montant de l’amende que le juge prononcera.

2.3 Comment se défendre, en cas d’assignation par la Ville de Paris ou tout autre commune ?

Si vous agissez en méconnaissance de l’article L. 631-7 du CCH et qu’en conséquence vous avez décidé de mettre en location saisonnière un ou plusieurs locaux d’habitation ne constituant pas votre résidence principale et ce sans avoir procédé à leur changement d’usage, mon cabinet saura vous défendre pour amoindrir le montant de votre amende.

A titre illustratif, peuvent constituer des circonstances atténuantes amoindrissant le montant de votre amende :
- le règlement de vos impôts tiré de vos revenus de location meublée touristique ;
- l’enrichissement réel entre les revenus tirés de l’activité de location saisonnière et ceux qui auraient pu être perçus au titre d’un bail classique d’habitation ;
- la cessation de l’infraction avant l’opération de contrôle ou concomitamment ;
- la régularisation de la situation suite à la cessation de l’infraction par le retour à l’habitation du local et/ou ou la conclusion d’un bail classique d’habitation nu ou meublé d’un an ;
- le comportement coopératif du fraudeur lors de l’opération de contrôle menée par les agents mandatés par la ville de paris ou toute autre commune ;
- la démonstration de l’absence de preuve suffisantes par la commune (CA Paris 5 juin 2018 n°16/10684 ; CA Paris 13 décembre 2018).

Pour votre parfaite information, il n’existe pas une seule défense et les circonstances atténuantes ci-avant exposées ne sont pas les seuls critères retenus par les juges.

Sachez également que des sanctions pénales sont possibles en cas de fausse déclaration, dissimulation ou tentative de dissimulation des locaux soumis à déclaration (article L. 651-3 du Code de la Construction et de l’Habitation : emprisonnement d’un an et amende de 80.000 €).

III. Conséquences du gel des procedures pour l’année 2019 suite au coup d’arrêt donné par la Cour de cassation par sa décision du 15 novembre 2018.

3.1 Le sursis à statuer prononcé par la Cour de cassation dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union Européenne.

Dans un arrêt en date du 15 novembre 2018 (RG n° 17-26.158), la Cour de cassation a sursis à statuer jusqu’au 10 décembre 2019, en acceptant de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) afin qu’elle se prononce si les dispositions de l’article L631—7 du CCH qui impose la transformation des locaux d’habitation en un « autre usage » en vue de leur location en meublé touristique-, est compatible avec les dispositions de la directive européenne service 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

La position de la Cour de cassation a été suivie par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans un arrêt du 19 janvier 2019 « dans l’attente du résultat de la question préjudicielle posée par la Cour de Justice de l’Union Européenne ».

Toutefois, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que tous les juges vont tous faire droit à la demande de sursis à statuer.

Plusieurs décisions sont attendues en ce sens en ce début d’année ; lesquelles permettront d’apprécier si ce mouvement de renvoi constituera la jurisprudence constante à Paris et s’il sera suivi également par les tribunaux des grandes villes de France.

Ainsi, les avocats des « fraudeurs » à la règlementation de l’article L. 631-7 du CCG devront continuer à préparer la défense de leurs clients dans l’hypothèse où un magistrat saisi du dossier se refusait à faire droit à la demande de sursis à statuer.

3.2 Quels sont les enseignements à tirer du gel des procédures ?

3.2.1 Actuellement assigné par la Ville de Paris ou par toute autre Commune, comment vous défendre ?

Avant toute défense au fond, il vous faut solliciter en justice le sursis à statuer de votre procédure dans l’attente de la décision de la CJUE qui doit intervenir à la fin de l’année 2019 ou au plus tard en début d’année 2020, dès lors que si par extraordinaire la Cour de Justice censure les dispositions de l’article L 631-7 du CCH, l’action menée à votre encontre deviendra sans objet et vous échapperez, par voie de conséquence, à toute amende sur ce chef.

Si au contraire, la CJUE estime que cet article n’est pas contraire à la directive européenne susmentionnée, vous aurez gagné au moins un an pour préparer votre défense en prévision des enseignements de l’arrêt à venir.

Etant donné que nous avons à ce jour aucune visibilité sur le point de savoir si l’ensemble des magistrats vont faire droit à la demande de sursis à statuer sollicitée par l’avocat du contrevenant puisque l’arrêt de la Cour de Cassation est très récent, il conviendra en parallèle de préparer votre défense en vue de l’audience si par extraordinaire le Tribunal (ou la Cour d’appel qui aura été saisie soit par vos soins soit par la Ville de Paris ou la Commune) ne faisait pas droit à ladite demande de sursis à statuer afin que vous ne puissiez prendre aucun risque.

3.2.2 Vous êtes fraudeur mais vous n’avez pas encore fait l’objet de poursuite par la Ville de Paris ?

La suspension des procédures ne rend pas inapplicable l’article L.631-7 du Code de la construction. Celui-ci est toujours en vigueur et le restera tant que la Cour de justice de l’union européenne suivie par la Cour de Cassation ne se seront pas prononcées par un avis contraire.
Dans l’attente de leur position qui sera connue en fin d’année 2019, la Ville de Paris continue d’assigner régulièrement les fraudeurs à la réglementation de l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation et ne compte pas ralentir le rythme afin de conserver à titre conservatoire le bénéfice des infractions constatées si ledit article s’avère être déclaré comme conforme à la directive par la CJUE.

3.2.3 Vous souhaitez mettre en location saisonnière votre résidence secondaire ?

Je serai d’avis à vous conseiller de mettre votre projet en suspens, -en privilégiant la location meublée classique d’un an ou le bail mobilité-, et de ne procéder à aucun changement d’usage de votre local d’habitation, jusqu’à ce que la CJUE se prononce afin d’éviter que vous exposiez des frais qui pourront peut-être se révéler inutiles dans un avenir proche si par extraordinaire elle considérait l’article L 631-7 du CCH comme non conforme, dès lors que la « commercialité » a un coût conséquent.

IV. Récapitulatif sur les étapes préalables à respecter avant de mettre son bien en location saisonnière sur Airbnb.

- Seuls les biens à « usage autre que l’habitation » peuvent être mis en location saisonnière ; (sauf location de la résidence principale dans la limite de 120 jours / an) ;
- Les biens à « usage d’habitation » doivent faire l’objet d’un changement d’usage avec compensation pour pouvoir être loués pour des courtes durées dès lors qu’il s’agit d’une résidence secondaire (local à usage d’habitation ne constituant pas votre résidence principale). Si le bien est un local commercial, aucun changement d’usage n’est exigé ;
- L’activité de location saisonnière ne doit pas porter atteinte à l’affectation de votre lot, ni à la destination de l’immeuble et à la tranquillité du voisinage ;
- Lesdits lots doivent faire l’objet d’un changement de destination d’urbanisme « hôtelière », s’ils ne disposent pas déjà de cette destination ;
- Il conviendra de s’enregistrer auprès des communes qui imposent cette formalité et faire figurer sur chacune de vos annonces le N° d’enregistrement qui vous aura été délivré.

Ces principes pourraient être remis en cause si la Cour de Justice de l’Union Européenne, – laquelle doit se prononcer d’ici la fin de l’année 2019-, déclarait l’article L. 631-7 du CCH comme non conforme à la directive européenne service 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Dans une telle hypothèse, il est aisé de supposer que :
- Le changement d’usage imposé aux locaux d’habitation pour exercer une activité de location saisonnière deviendra sans objet ;
Les Communes ne pourront plus poursuivre sur ce chef les propriétaires et que les amendes deviendront sans objet ;
- Les Communes vont avoir un vrai manque à gagner ;
- Les personnes qui souhaitent louer leur résidence principale ne seront plus limitées à 120 jours par an.

Toutefois, dans une telle hypothèse, il faut espérer que les pouvoirs publics ne pallient pas le « manque à gagner » des Communes en imposant la règle de l’encadrement des loyers aux locations meublées touristiques, laquelle fait son grand retour avec la loi ELAN 2018-1021 du 23 novembre 2018, pour une durée de 5 ans dans les grandes villes et leurs banlieues.
Si tel est le cas, il n’existera quasiment plus de distinction avec le nouveau bail mobilité instauré par cette même loi, et la location saisonnière perdra un grand intérêt pour les propriétaires qui souhaitaient améliorer leur revenus locatifs par ce bais.

Lorène Derhy, Avocat www.derhy-avocat.com

[1Voir sur le site du cabinet ici.

[2Règlement municipal de la ville de Paris disponible ici.

[3Voir sur le site du cabinet ici.