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La médiation, couteau suisse de la facilitation des relations en entreprise. Par Caroline Bertholier, Médiateur.
Parution : mercredi 20 février 2019
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On parle beaucoup de médiation, mais elle est insuffisamment utilisée. Sans doute parce que ses usages et potentiels sont sous-estimés. Il est temps de lui rendre justice !

De manière très simpliste et presque caricaturale, si l’on doit résumer de quelle manière est envisagée la médiation, cela peut donner ceci :
Vue par les professionnels du droit, la médiation est sans doute l’antichambre ou parfois l’annexe du volet judiciaire d’un contentieux. Parfois vécue comme une obligation de pure forme rapidement expédiée, ou au contraire comme un atout qui va permettre de co-construire une solution.

Vue par les DRH, la médiation est le moyen de renouer des relations entre collaborateurs quand la tension est à son comble ou d’éviter qu’un conflit ne soit porté aux Prud’hommes.

Vue par les entreprises relevant de la médiation de la consommation, c’est souvent une contrainte réglementaire de plus et un coût dont elles voient rarement l’intérêt.

Et pour les médiés, la médiation est vue avec méfiance ou espoir comme un dispositif dont l’instrument serait, suivant les points de vue, une sorte d’avocat, d’arbitre ou de psychologue…
Quant aux médiateurs me direz-vous ? Eh bien, il y a autant de manière de concevoir la médiation que de formations en médiation, et il existe un désaccord profond entre courants de pensée sur certains aspects de la médiation : faut-il faire exprimer un pardon ? Faut-il recevoir les parties en entretien individuel ou directement en réunion ? Le médiateur doit-il être empathique ? Quid de la notion d’équité ?...
Un point de convergence tout-de-même quant à la raison d’être de la médiation : elle vise à rétablir le dialogue entre des parties en situation conflictuelle.

Et pour vous qui me lisez, quel est votre regard sur la médiation ?

Je vous partage le mien, en tant que médiateur, mais aussi coach et membre d’une association de médiation de la consommation.

Pour moi la médiation est avant tout un vecteur de facilitation des relations, qu’elles soient familiales, professionnelles, de voisinage, institutionnelles ou étatiques.

Facilitation parce que le médiateur est un intermédiaire de la communication, il recrée du lien et instaure les conditions d’un dialogue porteur.

Mais pour instaurer ces conditions, le médiateur suit un processus qui cadre son intervention. Discipline humaine, la médiation intègre le ressenti des médiés à la fois comme une source d’informations, mais aussi et surtout comme un paramètre à traiter avant d’envisager toute tentative de renouer le dialogue.

Ainsi, en étant le dépositaire des frustrations, colères, déceptions, en accueillant le sentiment d’injustice, de solitude, de peur, le médiateur est un réceptacle sécurisé de ce qui est lourd à porter, sans que la personne qui livre ses difficultés ne se sente jugée. Le médiateur sait que tant que la personne ne s’est pas allégée au plan émotionnel, il ne pourra l’aider à réfléchir posément.
La médiation accorde donc toute une place aux émotions, et offre un espace de résilience.

Elle implique également une vision systémique intéressante puisque les médiés partagent leur vécu concernant les relations, les interactions entre les personnes et les structures. Et ceci notamment quand le conflit est le reflet d’une organisation inadaptée au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse de structure hiérarchique, de flux d’informations, de décisions, de répartition des responsabilités, etc…

Les informations que récolte le médiateur en la matière sont tout aussi confidentielles que le reste des propos confiés par les médiés, et pour autant, s’il est suffisamment formé aux problématiques organisationnelles, le médiateur peut être une ressource pour les managers et dirigeants.
Il s’agit alors pour lui, soit de demander à l’une des parties si elle est d’accord pour qu’il partage les dysfonctionnements repérés auprès des personnes à même d’agir ; soit, toujours avec l’accord du médié, il peut faire remonter que le conflit semble trouver sa source dans une organisation qui pourrait être revue de manière à modifier tel ou tel process ou telle ou telle structuration hiérarchique, sans entrer dans les détails.

On voit donc que la médiation peut être un moyen de faire émerger des dysfonctionnements en termes d’organisation. Suivant sa formation, le médiateur pourra même accompagner une transformation majeure, que ce soit en intervenant sur les conflits générés par la mutation de l’entreprise, ou en agissant de manière préventive par des entretiens avec les collaborateurs de façon à faire exprimer doutes, craintes ou sentiment d’incompréhension. S’il est formé au co-développement, le médiateur pourra en outre aider les collaborateurs à faire émerger ensemble des évolutions à mettre en place ou de axes d’amélioration à proposer.

Le potentiel préventif de la médiation est méconnu ou sous-exploité. Car cette discipline est souvent cantonnée à la « gestion » de conflits (le conflit étant déjà existant).

Or, si l’on considère la médiation comme un instrument d’anticipation des difficultés relationnelles, il n’est bien évidemment pas nécessaire d’attendre la survenance d’un conflit. Car on peut solliciter un médiateur avant que la situation n’ait abouti à la rupture d’une négociation commerciale, à la démission d’un associé ou à l’accusation de harcèlement moral. En fait, pour les situations relevant des relations en entreprises, on peut faire appel à un médiateur quand on le souhaite, il n’y a pas de règle, mais il existe un principe : le plus tôt est le mieux. Laisser dériver une situation est le meilleur moyen de la rendre plus difficile à traiter.

Les entreprises gagneraient à être plus attentives au climat relationnel de façon à faire intervenir un médiateur dans les situations que l’on connaît pour être sources d’inquiétude ou de tensions : au-delà des réorganisations, tout changement (déménagement, fusion…) ou situation de crise (démission d’un pilier de l’entreprise, perte d’un client majeur, échec d’un projet stratégique…) est susceptible de générer des relations plus tendues et mérite que l’on y accorde une attention marquée en demandant la contribution d’un professionnel de la relation.

La médiation peut même être considérée comme un outil de prévention des RPS : en instaurant une culture du dialogue et de la concertation, de l’anticipation des situations de tensions relationnelles, elle marque la volonté de la direction d’accorder toute son importance à la dimension interpersonnelle ainsi que sa détermination à valoriser le bien-être au travail par des relations fluides. Du reste, selon une enquête menée par Michael Page au 2ème semestre 2018, pour 95% des sondés le job idéal est celui qui comporte des relations agréables avec son manager ou ses collègues.

Après la question du périmètre de la médiation, celle de ses bénéficiaires : qui peut être concerné par une médiation ? Tous les acteurs de l’entreprise peuvent se trouver impliqués : membres d’une équipe, managers, membres du CODIR ou d’un conseil d’administration. Au-delà, on peut même évoquer d’autres types de structures professionnelles, associations, cabinets, études, administrations, … Bref, tout lieu au sein duquel il y a relations professionnelles.

Mais pour demander une médiation, il faut avoir suffisamment pris la mesure de la situation et oser demander l’intervention d’un tiers… et c’est là que cela se complique.

Car le conflit est tabou. Il peut même donner lieu à une omerta. C’est pour cela qu’il me semble important de faire évoluer les regards sur ce que peut apporter la médiation. Comme il est frustrant pour moi, lorsque j’interviens en coaching, d’entendre mon client me dire : « Ok, les relations entre untel et moi sont épouvantables, mais une médiation, non, quand même pas, on n’en est pas à ce point-là ! ».
Alors, d’accord, à moi de gérer ma frustration, mais il est tout de même dommage que les gens imaginent qu’il faille attendre de se lancer des insultes ou d’être en dépression pour demander l’intervention d’un médiateur…

J’espère donc qu’au terme de cet article, vous lecteurs saurez promouvoir autour de vous les différents usages de la médiation. Et, qui sait, peut-être en découvrirez-vous d’autres applications en recourant vous aussi à ce très bel outil !

Caroline Bertholier, Médiateur et coach Associé au sein du Cabinet Libres Détours / Médiateur Associé Medimmoconso