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Travail dissimulé : panorama de la jurisprudence de la Cour de cassation en 2018. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : vendredi 22 février 2019
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Le présent article synthétise la jurisprudence de la Cour de cassation en 2018 en matière de travail dissimulé.

1) Travail dissimulé et mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à la réalité.

L’employeur est tenu de mentionner sur le bulletin de paie le nombre réel d’heures de travail du salarié (article L.8221-5 du Code du travail).

Ainsi, en l’absence de mention du nombre d’heures (supplémentaires ou non) réel de travail, un salarié peut obtenir devant le Conseil de prud’hommes, en sus de ses salaires, une indemnité pour travail dissimulé de 6 mois de salaires, prévue à l’article L.8223-1 du Code du travail.

Néanmoins, afin de bénéficier de l’indemnité pour travail dissimulé de 6 mois, il appartient au salarié de démontrer que son employeur a volontairement mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à la réalité.

Or, la preuve de cet élément intentionnel s’avère souvent ardue à rapporter et alimente le contentieux devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

1.1) Salarié engagé à temps partiels mais qui travaille à temps plein.

Ainsi, dans un arrêt du 15 juin 2018 [1], la Cour de cassation a constaté que l’élément intentionnel était caractérisé dans une espèce où un salarié était engagé par contrat à temps partiel pour travailler, dans les faits, à temps plein.

Dès lors, la Cour de cassation considère que l’employeur a « volontairement dissimulé pendant plusieurs années une partie du temps de travail effectué par le salarié ».

Le caractère intentionnel de la mention d’un nombre d’heures de travail inférieur à la réalité peut également résulter du nombre d’heures réalisées par le salarié.

1.2) Caractère intentionnel du travail dissimulé : les heures supplémentaires ne pouvaient échapper à l’employeur.

Ainsi, dans un arrêt du 12 juillet 2018 [2], la Cour de cassation a également retenu le caractère intentionnel de la dissimulation, au regard du « nombre très élevé des heures supplémentaires accomplies sur une année » qui « n’avait pu échapper à l’employeur ».

En l’occurrence, le salarié démontrait avoir réalisé 341 heures supplémentaires sur année.

1.3) Caractère intentionnel car l’employeur corrigeait les bulletins de paie.

Dans certaines hypothèses en revanche, c’est le comportement même de l’employeur qui va permettre au salarié de démontrer le caractère intentionnel du travail dissimulé.

A cet égard, dans un arrêt du 26 septembre 2018, [3] la Cour de cassation relève l’existence du travail dissimulé en précisant que l’employeur « corrigeait lors de l’établissement des bulletins de paie les temps enregistrés sur le chronotachygraphe et avait sciemment omis de régler toutes les heures de travail effectuées par le salarié ».

Ainsi, l’employeur ayant délibérément modifié le temps de travail de son salarié, tel que mentionné dans un chronotachygraphe, pour faire apparaitre un temps différent sur le bulletin de paie, s’expose au paiement de l’indemnité pour travail dissimulé.

1.4) L’employeur ne pouvait ignorer que le salarié dépassait l’horaire planifié : travail dissimulé.

Enfin, la reconnaissance du travail dissimulé peut résulter du contexte de la relation contractuelle.

Ainsi, dans un arrêt du 24 octobre 2018 [4], la Cour de cassation relève que l’employeur « ne pouvait ignorer que le salarié dépassait de façon systématique l’horaire planifié et que les heures réellement effectuées par celui-ci étaient plus importantes que celles déclarées et payée ».

En l’occurrence, la Cour d’appel avait relevé, pour caractériser l’élément intentionnel, que l’employeur présentait la salarié comme étant « à disposition 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 » et qu’il lui avait indiqué être dans « l’incapacité de lui régler les heures réalisées ».

2) Travail dissimulé et recours à des contrats de prestations de services indépendants ou auto-entrepreneurs.

La Cour de cassation reconnait régulièrement l’existence d’une situation de travail dissimulé lorsqu’une entreprise à recours à des travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs, alors même que ces derniers sont placés sous un lien de subordination vis-à-vis de cette société. [5]

Dans un arrêt du 7 mars 2018 [6], la Cour de cassation a également étendu cette jurisprudence aux contrats de gérance mandataire non salariée.

En l’espèce, une société de grande distribution recourrait à des contrats de gérance mandataire non salariée pour effectuer la gestion et l’exploitation de plusieurs magasins.

La Cour d’appel avait retenu l’existence d’un lien de subordination au regard de « l’absence totale de liberté dans la gestion », imposée par l’article L.7332-2 du Code du travail en cas de recours à un contrat de gérance mandataire non salariée.

Les travailleurs devant être considérés comme salariés, la question du travail dissimulé s’est posée aux juges du fond et à la Cour de cassation.

La Cour de cassation, reprenant les termes de l’arrêt d’appel, estime que « le choix de la société de recourir de manière structurelle aux contrats de gérance mandataire non salariée permettait de lui imputer une volonté manifeste de dissimuler le travail accompli par les intéressés et de contourner les obligations qu’a tout employeur envers son salarié et la défaillance dans l’accomplissement des diverses formalités relatives à l’embauche dans le mépris total des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail ».

3) Non-cumul de l’indemnité pour travail dissimulé avec l’indemnité due au salarié étranger employé illicitement.

Dès lors que le travail dissimulé est reconnu, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire correspondant à 6 mois de salaire (article L.8223-1 du Code du travail).

Dans une série d’arrêts du 12 janvier 2006, la Cour de cassation avait considéré que cette indemnité forfaitaire pouvait se cumuler « avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail, à la seule exception de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ».

Par un arrêt du 6 février 2013 [7], la Cour de cassation était revenue sur sa position et avait autorisé le cumul de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé avec l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement estimant que « au regard de la nature de sanction civile de cette indemnité, ces dispositions ne font pas obstacle au cumul de l’indemnité forfaitaire qu’elles prévoient avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail ».

Néanmoins, une exception légale à ce principe de cumul existe en matière d’emploi illicite d’un étranger.

En effet, l’article L.8252-2, 2° du Code du travail prévoit que le salarié étranger employé illicitement a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une « indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire ».

Dans un arrêt du 14 février 2018, [8], la Cour de cassation se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur la question du cumul de l’indemnité de travail dissimulé et de l’indemnité due au salarié étranger employé illicitement.

A cet égard, la Cour de cassation précise que ces deux indemnités ne sont pas cumulatives, au regard des dispositions de l’article L.8252-2 du Code du travail qui prévoit expressément que le salarié employé dans le cadre d’un travail dissimulé peut bénéficier de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé ou des dispositions relatives à l’emploi illicite d’un étranger « si celles-ci lui sont plus favorables ».

4)Travail dissimulé et forfait jours.

Contrairement aux idées reçues, un salarié soumis à une convention de forfait jours peut, à certaines conditions, se faire payer ses heures supplémentaires et, le cas échéant, percevoir une indemnité pour travail dissimulé.

En effet, la convention de forfait jours répond à un certain nombre d’exigences. [9]

Néanmoins, concernant la problématique du travail dissimulé, la Cour de cassation opère une interprétation restrictive de l’intention de dissimuler ces heures supplémentaires, estimant que « le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite », ce qu’elle a encore rappelé dans un arrêt du 28 février 2018. [10]

Pour autant, la Cour de cassation reconnait malgré tout l’intention de dissimuler les heures supplémentaires dans certaines hypothèses.

Ainsi, dans un arrêt du 5 avril 2018 [11], la Cour de cassation relève que « l’employeur, qui avait appliqué une convention de forfait jour qui n’était ni conforme à la classification de la salariée ni autorisée par la convention collective, ne pouvait ignorer la quantité des heures effectuées par le salarié de 2008 à 2012 au regard de l’objet même de son activité, de la petite taille de l’entreprise et de l’envoi de messages le soir et le week-end. »

En l’occurrence, la société avait une activité de conseil en matière d’organisation du travail et la Convention collective dont elle relevait ne prévoyait pas la possibilité de mettre en place des conventions de forfait jours.

A cela s’ajoutait également le fait que la société n’avait « d’aucune manière contrôlé le temps de travail de sa salariée ».

5) Travail dissimulé : jurisprudences des juges du fond.

Les juges du fond ont également eu à se prononcer sur la problématique du travail dissimulé au cours de l’année 2018 :
- Cour d’appel de Paris, 13 février 2018, n°16/15657 : une show manager du Crazy Horse obtient 21.315 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la Cour d’appel relevant que la mention d’un « nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ce, sur une période suffisamment longue pour ne pas avoir échappé » à l’employeur démontre le caractère intentionnel du travail dissimulé ; [12]

- Cour d’appel de Paris, 27 novembre 2018, n°16-13068 : La Cour d’appel retient l’existence d’une situation de travail dissimulé, le caractère intentionnel de la dissimulation résultant du nombre d’heures de travail (déterminé par les plannings de l’employeur), de l’absence de dispositions conventionnelles sur un entretien annuel ou garantissant le caractère raisonnable de l’amplitude de travail et de la soumission du salarié à des horaires prédéterminés ;

- Cour d’appel de Versailles, 20 décembre 2018, n°17-00976 : La Cour d’appel relève que le caractère intentionnel du travail dissimulé résulte de l’absence de convention de forfait jours écrite, de l’absence de garanties suffisantes prévues par l’accord de branche et l’accord d’entreprise et de l’absence d’entretien annuel durant 8 ans ;

- Cour d’appel de Versailles, 29 novembre 2018, n°16-02220 : La Cour d’appel constate le caractère intentionnel du travail dissimulé du fait du nombre de jours travaillés supérieurs au nombre de jours prévus par la convention de forfait jours et du fait que certains jours travaillés n’apparaissaient pas sur les bulletins de paie.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum