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Digitalisation des directions juridiques : une question de technologie, mais aussi de management.
Parution : jeudi 28 février 2019
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La récente étude sur la digitalisation des directions juridiques, menée par le Cercle Montesquieu en partenariat avec CMS Francis Lefebvre Avocats et Day One et présentée le 14 février 2019, dresse un nouvel état des lieux des nombreuses problématiques qui se posent aux départements. Que ce soit les fonctions à digitaliser, les technologies attendues ou la question du budget alloué, les chiffres illustrent une transformation lente, mais amorcée. Ce rythme s’explique non seulement par le besoin de développer et de perfectionner certains outils, mais aussi par le fait que cette évolution doit s’accompagner d’une transformation humaine et organisationnelle des départements juridiques. Un enjeu de management que doivent gérer les directeurs juridiques qui souhaitent prendre ce nouveau virage.

Les principaux chiffres de l’étude.

Un retour d’abord sur les principaux chiffres de cette étude, à laquelle ont répondu 98 sociétés de profils très divers.

Le premier constat tient à l’estimation de la maturité de la digitalisation de l’entreprise comme du département. Ainsi, les répondants attribuent en moyenne une note de 5,1 sur 10 à la digitalisation de l’entreprise, et de 4,5 sur 10 à celle de leur direction juridique. Olivier Belondrade, adjoint au directeur juridique groupe de Coface, « n’est pas surpris que les directions juridiques soient moins digitalisées que le reste de l’entreprise », « l’ordre naturel des choses » faisant que les fonctions business bénéficient d’abord du mouvement de digitalisation. Mais on constate que le décalage n’est pas non plus immense.
Bruno Dondero, associé et responsable de la doctrine juridique chez CMS Francis Lefebvre Avocats, explique également ces notes relativement basses par « deux biais » : d’une part, « un pessimisme naturel sur ces domaines », et d’autre part « le phénomène entretenu par les journalistes ou le monde des legaltech, qui parlent d’outils comme s’ils étaient déjà acquis » alors que beaucoup d’entre eux sont encore en cours de développement.

Les directions juridiques qui ont participé à cette étude estiment ensuite que ce sont les domaines qui relèvent du droit des sociétés qui seront le plus impactés par la digitalisation, comme la gestion électronique de documents (GED), la gestion de contrats, ou encore le suivi de sociétés.
L’étude révèle aussi que 2019 sera « l’année de la bascule vers l’intelligence artificielle », et notamment du machine learning et du natural language processing. Deux outils en lien avec cette technologie semblent particulièrement intéresser les directions juridiques : la rédaction automatisée de contrats, et le chatbot.

Cette perspective de transformation des directions juridiques a également un impact sur les partenaires externes : 24% des répondants déclarent ainsi que l’utilisation des legaltech est un facteur important dans le choix de leurs cabinets d’avocats.

Enfin, 89% estiment que la formation des juristes doit évoluer, que ce soit pour apprendre à maîtriser ces nouveaux outils, ou pour prendre en compte la gestion de projet, aujourd’hui nécessaire dans le métier de juriste et pourtant encore trop absente des cursus universitaires.

Le facteur humain, élément incontournable de la digitalisation des directions juridiques.

Si la question de l’avancée des technologies et des offres a évidemment une place dans la progression de la digitalisation, le paradigme le plus important reste qu’une telle transformation nécessite une « refonte complète de la stratégie opérationnelle et de l’humain, souligne Olivier Chaduteau, managing partner chez Day One. L’étude montre que la digitalisation a démarré, et qu’elle va être longue, car il s’agit surtout d’une transformation humaine et organisationnelle. »
« Aujourd’hui les outils qu’on nous propose offre rarement la possibilité de digitaliser tout le processus, confirme Olivier Bélondrade. Cela demande un grand travail d’analyse sur sa façon de travailler, et d’accompagnement dans l’évolution des juristes. »

Cette transformation n’est pas seulement liée à l’utilisation d’outils, mais aussi à ce que l’on attend aujourd’hui d’un juriste d’entreprise. « On ne demande plus seulement au juriste d’informer sur la loi, mais à ce qu’il l’ait compris, et qu’il ait anticipé comment s’en servir » souligne Bruno Dondero. D’autant que les frontières des directions juridiques deviennent de plus en plus poreuses, soit parce qu’elle arrive à occuper un rôle plus important dans la stratégie business, soit parce qu’elle multiplie les fonctions, notamment avec les évolutions législatives.

Repenser son organisation permet de déterminer les tâches à privilégier et celles dont le juriste pourrait se défaire pour gagner du temps. Mais tout en ayant en tête cette enjeu de productivité, il ne faut pas perdre de vue l’aspect humain. « Il faut faire attention à ce que le gain de temps ne revienne pas dans la figure et amène à la suppression d’un poste, appuie Olivier Chaduteau. Et il faut apprendre à dire à vos collaborateurs de ne pas penser qu’ils faisaient mal avant la transformation, car c’est souvent un blocage dans les processus de digitalisation. »
Ainsi, le projet de transformation ne doit pas amener à nier le travail et les méthodes d’hier. Pour éviter tout blocage, il ne faut pas non plus donner la sensation au juriste de le dépouiller de ses fonctions d’un seul coup. « Il faut l’inscrire dans une perspective » confirme Olivier Chaduteau, pour éviter qu’il ait l’impression de perdre sa raison d’être, et ainsi refuser d’adopter les nouvelles méthodes ou les nouveaux outils.

L’adoption d’une nouvelle politique managériale pour mener à bien ces transformations.

Le directeur juridique va ainsi jouer tout son rôle de manager dans la conduite d’un projet de digitalisation.
D’abord, du point de vue de ses équipes, en veillant à ce qu’elles participent au projet - par exemple dans le choix des outils qu’elles devront utilisées quotidiennement, et qu’elles y soient formées. Un écueil très récurrent, pour Olivier Chaduteau, et qui peut mettre en échec une démarche de transformation : « La perte de temps est trop souvent une question de formation. N’étant pas formés, les juristes prennent du temps, voire plus de temps, à utiliser l’outil, et finissent par repasser au papier. »
Le choix ou la conception d’un outil oblige à adopter une approche utilisateur. Avant d’être beau, l’outil doit être utile, pour être utiliser. Et il est important de prendre en compte tous les utilisateurs : le juriste, mais aussi l’opérationnel, si l’outil a vocation à servir en dehors du département juridique.

Autre élément important dans la gestion du projet : la question du budget. D’après l’étude, le montant moyen consacré à la digitalisation de la direction juridique est de 97.500 euros, « soit 8,5% du budget total de la direction juridique » souligne Olivier Chaduteau, et 80% des répondants indiquent ne pas disposer d’un budget spécifiquement dédié à la digitalisation.

Dans ces conditions, identifier précisément les coûts est indispensable, que ce soit lors de l’élaboration et/ou de la mise en place - l’étape « Build », qui est ponctuelle - puis dans l’utilisation quotidienne de l’outil, via les licences, les abonnements ou autres coûts de fonctionnement - l’étape « Run » qui est récurrente et qui doit devenir une ligne à part entière figurant dans le budget. Il est alors important de bien étudier les business models des legaltech, pas encore toujours adaptés aux grandes structures.

Il est donc essentiel de bien étudier les offres existantes, afin de trouver la solution qui correspondra à tous ces enjeux. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’Olivier Belondrade a annoncé que la Factory du Cercle Montesquieu [1], prépare une cartographie des legaltech à destination des directions juridiques.

La Journée du management juridique, organisée depuis 9 ans par LEGI TEAM, est aussi l’occasion de réfléchir aux questions posées par la digitalisation, et de rencontrer des prestataires dédiés à ces transformations. Rendez-vous le 27 juin 2019 pour la nouvelle édition !

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Initiative créée au sein du Cercle Montesquieu en septembre 2018, et qui a pour objectif « de fédérer les initiatives existantes et de favoriser un écosystème vertueux entre les différents acteurs de la transformation digitale des directions juridiques. »