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Hommage au "bon père de famille" : d’une modification terminologique à une autre. Par Alain Hervieu, Avocat.
Parution : lundi 25 février 2019
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Cinq ans après la disparition du "bon père de famille", on annonce la disparition des « père » et « mère ». Que peut-on en penser ?

Il y a maintenant cinq ans que « le “Bon père de famille” est mort” [1]. Après que les députés l’aient condamné pratiquement sans discussion, la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes a officialisé la suppression dans la loi de cette expression.

Certains s’en sont réjouis, d’autres l’ont regretté. J’avais appris la nouvelle aux informations où elle était annoncée de façon anodine comme le décès d’un acteur people ou d’un écrivain connu, et cela m’avait interpellé pour plusieurs raisons.

Ce "bon père de famille", notion bien connue non seulement des juristes mais également de tout gestionnaire avisé, ce modèle, cette référence de comportement cet excellent homme né il y a environ deux mille ans dans la Rome ancienne lui avait survécu et avait traversé les siècles pour se retrouver en 1804 dans notre Code Civil où il était passé au travers des révolutions, des changements de régime politique jusqu’à ce jour de 2014, pour disparaître sans bruit ou presque, sous la vindicte de certaines idées nouvelles et égalitaires.

A l’initiative d’un groupe de parlementaires écologistes qui ont reproché à cette expression « issue du système patriarcal », d’être discriminant (il est vrai que l’on n’a jamais parlé de la bonne mère de famille), les députés ont, dans le cadre du vote sur le projet de loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes, condamné le "bon père de famille" et décidé sa mort et son remplacement dans les textes où on le rencontrait, par les termes « raisonnable » ou « raisonnablement ».

En premier lieu, je pensais que nos parlementaires avaient dans le contexte de crise que nous traversons depuis quelques années, d’autres problèmes importants auxquels consacrer leur réflexion et leur temps, plutôt que de se pencher sur le sort du "bon père de famille". Sans doute, étais-je mauvais juge de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas…

Pour autant, le reproche de sexisme fait à l’expression de « bon père de famille » n’était sans doute pas justifié. Si, en effet, l’expression tirée du droit romain se référait au comportement d’un homme qui était à l’époque romaine le pater familias, il ne paraît pas contestable qu’à notre époque l’expression avait changé de signification pour s’appliquer indifféremment à un homme ou une femme et signifiait plutôt la référence à un « bon chef de famille » qui peut être indifféremment aujourd’hui, le père ou la mère selon les cas.

Ensuite, cette décision conduit à constater que si le "bon père de famille" est mort, le politiquement correct lui se porte à merveille dans notre (encore) beau pays. J’avais découvert ce système du politiquement correct, qui sauf erreur est né aux Etats-Unis il y a bientôt quarante ans, à travers un glossaire du politiquement correct américain qui, par exemple, traduisait « prisonnier » ou « détenu » par l’expression d’ « hôte temporaire du système pénitentiaire », et je m’en étais, à l’époque, amusé en me disant que décidemment les américains ne savaient pas quoi inventer [2]. Je ne pensais pas que cette pensée politiquement correcte aurait un aussi bel avenir chez nous.

Ensuite encore, sur le rôle et l’utilité du « bon père de famille » c’est une erreur de croire que l’on pouvait le remplacer à l’identique par l’expression de « gestion raisonnable ».

Le "bon père de famille" était en effet un standard de comportement, à la fois, traditionnel, universel, souple, polyvalent et évolutif, permettant de l’adapter à toutes les situations et à toutes les époques, ce que ne fait pas son substitut, sans qu’il soit besoin de longues démonstrations pour s’en convaincre.

Rappelons d’abord que selon la jurisprudence traditionnelle, le "bon père de famille" était celui qui agit de façon prudente et diligente, consciencieuse et avisée.

Ces qualités ne se retrouvent pas dans la seule action ou gestion « raisonnable ».

Tous les être humains sont supposés être raisonnables, parce que doués de raison.

Cela ne signifie pas que tous se comportent en "bon père de famille". Le "bon père de famille" faisait en effet appel à d’autres notions que la raison, qui sont par exemple, l’expérience, la prudence….

Par ailleurs, l’un des arguments avancés pour soutenir cette substitution a été que la loi Quillot l’aurait déjà fait en 1982 en matière de baux d’habitation, en employant l’expression « jouissance paisible », au lieu de celle de « jouissance en bon père de famille. » [3]

Cet argument n’est pas pertinent pour au moins deux raisons.

D’abord, la loi Quillot n’avait fait qu’employer un terme en remplacement de l’autre sans nullement le supprimer là où il existait, notamment dans l’article 1728 du Code civil concernant les obligations du preneur, qui pouvait donc toujours servir de référence.

Ensuite, la loi Quillot n’a pas utilisé le terme « raisonnablement », mais celui de « paisiblement » qui n’a pas le même sens et répond à une autre idée, alors que l’expression « bon père de famille » était suffisante pour répondre à toutes ces situations et avait une signification beaucoup plus large.

C’est la preuve que le terme substitué à l’expression « bon père de famille » ne le remplace pas à l’identique.

D’ailleurs, si l’expression a disparu ainsi de la loi, il n’est pas impossible qu’elle survive dans la pratique des professionnels au travers de clauses contractuelles et qu’elle devienne ainsi une référence d’usage.

Enfin, et c’est sans doute l’essentiel, ne doit-on pas s’inquiéter de cette tendance actuelle, sous prétexte d’égalité, à nier purement et simplement les différences et à bannir toute référence à un genre masculin ou féminin ?

La disparition du bon père de famille que l’on pouvait penser n’être qu’un phénomène isolé n’en était finalement pas un puisque les députés ont adopté le 14 février 2019, la substitution dans les actes de l’état civil et les formulaires scolaires, des mots de « parent 1 » ou « parent 2 » aux mots « père » et « mère ».

Cette nouvelle modification terminologique annonce t’elle la disparition généralisée des mots « père » et « mère » ?

Arrivera t’on à faire dire aux catholiques « Notre "parent 1" qui es aux cieux… », et aux petits enfants à chanter « petit "parent 1" Noël, quand tu descendras du ciel avec des joujoux par milliers… » ? Parlera t’on de « croire au parent 1 » ? Voire, interdira t’on aux enfants d’appeler « papa » ou « maman » ?

S’il s’agissait de satisfaire le désir légitime de familles homoparentales, ne pouvait-on plutôt créer une catégorie correspondant à leur situation plutôt que de ramener l’immense majorité des pères et des mères au terme neutre de « parent » ? Cette modification répond-elle aux aspirations de la majorité qui est souvent oubliée ?

Cette modification est-elle d’ailleurs totalement satisfaisante : Qui sera le parent 1 ou le 2 ? le père ou la mère ? Comment se déterminera t’on ?

Que l’égalité des sexes doive se traduire par une égalité des droits, cela n’est pas contestable, encore faut il veiller à la faire respecter et ce n’est sans doute pas en remplaçant un mot par un autre que l’on y parviendra le mieux.

Mais cette égalité n’est pas l’absence de différence entre les êtres. Qu’on le veuille ou non, nous sommes tous des « individus » uniques mais appartenant à un sexe, masculin ou féminin, ou autre aujourd’hui. Mais vouloir à tout prix le nier ou l’effacer, c’est porter atteinte à un élément de notre personnalité et faire abstraction d’un élément de celle ci.

Que le Droit fasse par ailleurs une place à toutes les formes de familles que l’on rencontre aujourd’hui est sans doute nécessaire, mais cela doit il se traduire par le gommage artificiel et la négation terminologique de nos différences ?

Vivre ensemble, ce qui est le but de la société, c’est accepter nos différences, ce n’est pas les nier.

N’oublions pas nos vieux souvenirs d’arithmétique, et le plus grand commun diviseur, (PGCD) entre deux nombres entiers différents : c’est le plus grand nombre entier permettant de les diviser qui n’est souvent qu’une infime partie de chacun des nombres qu’il divise.

Nous allons aujourd’hui vers le PGCD de l’humain, en tendant à effacer tout ce qui n’est pas commun à tous que ce soit le sexe, la race, la religion, l’histoire, en un mot, tout ce qui fait l’identité de chacun. Ce faisant, nous réduisons notre individualité.

Au bout du compte, nous risquons de ne plus être que des « êtres humains », totalement identiques tels des clones et affublés d’un numéro comme le numéro d’Insee pour nous identifier sans autre élément de distinction.

Est ce souhaitable ou est ce pire que le monde qu’annonçait Georges Orwell en 1949 ?

Le "bon père de famille est mort". Finalement, peut-être était-il préférable qu’il ne connaisse pas cette évolution.

Requiescat in pace.

Alain HERVIEU

[1Titre emprunté à France Info du 22 Janvier 2014.

[2Aux Etats unis, les ravages du politiquement correct. Les Echos. 11/09/2018.

[3Aujourd’hui l’article 7 de la loi du 6 Juillet 1989.