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Dans les coulisses de l’assistance juridique apportée aux plus démunis.
Parution : mercredi 6 mars 2019
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Du lundi au vendredi, travailleurs sociaux, responsables de l’association Aurore et juristes de Droits d’urgences additionnent leurs efforts au sein de la Halte sociale pour venir en aide aux personnes vulnérables. Installés dans leurs petits locaux du 12ème arrondissement parisien, ils s’évertuent à fournir une assistance juridique et sociale de qualité à leurs usagers. Reportage.

Une assistance juridique... et psychologique au profit des plus vulnérables.

« Je suis désolée, je dois vous quitter, un usager m’attend ». En cette après-midi ensoleillée du mois de février, Elodie G. n’a pas une minute à perdre. Elle enchaîne les rencontres avec les personnes qui sollicitent l’assistance juridique. Eux, ce sont des personnes « qui cumulent les impasses », selon la formule employée par Béatrice Paviot Hidalgo, directrice territoriale à l’association Aurore, qui dirige la halte sociale du 12ème.

Venus avec et sans rendez-vous, ils voient souvent dans l’aide gratuite proposée par l’association Droits d’urgence un de leurs ultimes recours. « Ici, nous les accueillons, orientons et les aidons dans leurs démarches. Nous essayons de leur offrir une assistance juridique pluridisciplinaire. Dans plusieurs situations, les problèmes sont imbriqués, en apparence, il s’agit d’un problème de droit des étrangers, mais cela peut toucher le droit de la famille ou du travail avec les cas d’exploitation », affirme Elodie G. Si la juriste, salariée à l’association Droits d’urgence, prodigue les premiers conseils et assure le suivi juridique des demandeurs d’aides, elle n’hésite pas pour autant à les orienter vers les avocats mis à disposition par son association dans les cas les plus complexes.

Crédit photo : Marc Melki, photographe.

Tour à tour, des personnes en situation irrégulière, des sans domicile-fixe, en détresse financière ou psychologique, viennent solliciter son aide. Leur point commun : une méconnaissance profonde du droit et la culture juridique française, aggravée parfois par une non-maitrise de la langue pour les étrangers. « Notre permanence n’a pas d’interprètes à sa disposition. Alors, nous parlons anglais parfois, ou ils ramènent leurs cousins ou amis pour faire les interprètes, quand ils ne maîtrisent que leur langue natale », indique Elodie G.

La juriste s’applique alors à étudier de près leurs récits, et se refuse à leur donner de faux espoirs. « Il ne faut surtout pas croire que tout est gagné une fois qu’ils nous sollicitent. Je suis également là pour leur annoncer les mauvaises nouvelles » poursuit-elle. A un usager, en situation irrégulière, et qui rencontre un problème dans le cadre d’une sous-location, elle fait preuve de fermeté : « Nous ne pouvons rien faire pour régler ce problème de logement ! Il faut d’abord régulariser votre situation monsieur. Ensuite, nous pourrons prétendre à régler la question du logement ».

Car le métier qu’elle exerce depuis maintenant 4 ans requiert des aptitudes psychologiques certaines, à côté d’acquis juridiques indispensables. « J’essaye de guider ces personnes, d’être-là pour eux. Certains viennent à mon lieu de travail juste pour m’annoncer des bonnes nouvelles concernant leurs situations, confie-t-elle. « Ces personnes ont besoin de repères, nous essayons dans la mesure du possible de remplir ce rôle ».

Pour Moussa, responsable de la maraude à l’association Aurore, ces centres doivent absolument continuer à exister : « Ces permanences sont précieuses. Les lois changent souvent et ces personnes n’ont pas les capacités pour comprendre ces amendements ! Il faut qu’ils soient orientés ».

Et pour qu’elles puissent maintenir la permanence, les associations Aurore et Droits d’urgence ont besoin d’argent ! Reconnues respectivement comme associations d’utilité publique et d’intérêt général, elles dépendent en bonne partie de subventions publiques pour pouvoir payer leurs salariés et assurer leurs permanences. En ces temps de vaches maigres, la mission ne semble pas aisée. Aurore a ainsi regretté dans un récent rapport un « contexte de raréfaction des deniers publics ». En effet, le gouvernement a lancé en avril 2018 un plan d’économie de 57 millions d’euros sur 4 ans sur les crédits affectant les centres d’hébergement et de réinsertion sociale.
Difficile dans ces conditions de continuer à héberger dignement les personnes les plus vulnérables.
Pour l’assistance juridique, les choses semblent mieux se passer puisque les fonds alloués par la Mairie de Paris pour le relais accès au droit de Droits d’urgences ont été augmentés. En dépit de cette hausse, le recours à des bénévoles demeure indispensable pour une bonne assistance juridiques aux usagers. « Concrètement, je travaille sur ce site deux jours par semaine, un collègue assure la permanence pour les deux autres jours. Même si cela serait très utile, nous ne pouvons accompagner à la Préfecture l’ensemble des usagers que nous suivons, car dans ce cas la permanence n’est pas assurée", affirme à ce sujet Élodie G. "C’est pour cette raison que les bénévoles sont aussi utiles".

Un dispositif de proximité pour venir en aide aux « fantômes administratifs. »

"Notre principale mission dans ce centre, c’est la domiciliation administrative des personnes", indique Béatrice Paviot-Hidalgo. La halte sociale gère en effet le courrier de 2.500 personnes, qui viennent régulièrement le récupérer. A leur demande, les agents de l’accueil peuvent les aider à lire son contenu, et les mettent en contact avec les personnes à même de les aider.

A côté de cette mission de domiciliation administrative, l’association héberge temporairement, à travers différents centres d’hébergement sur Paris des personnes en grande détresse sociale psychologique ou sociale. « En général, c’est le SAMU social qui nous envoie ces personnes à loger d’urgence. Dans les textes, la période d’hébergement ne dépasse pas 3 mois, mais selon la complexité des situations, nous pouvons garder des personnes pendant 10 ans. Les remettre dans la rue menace leur intégrité physique » poursuit la directrice régionale d’Aurore.

Dans ce travail de terrain, Aurore accompagne les travailleurs sociaux, le SAMU social et coopère avec l’association Droits d’urgence, à qui elle met à disposition un de ses bureaux pour la permanence juridique. « Il s’agit d’un dispositif qui fait intervenir plusieurs acteurs, mais qui se distingue par son efficacité », se réjouit Béatrice Paviot Hidalgo. « Si tout était centralisé, une seule erreur serait cataclysmique pour le sort de ces personnes démunies ».

De son côté, Alexandre Moreau, responsable des relais accès au droit de Droits d’urgence se félicite de la coopération de sa structure à cet effort. « Nous intervenons avec les autres, nous apportons notre pierre à l’édifice. Dans cette mission, nous sollicitons nos juristes salariés, et nos avocats bénévoles ». Pour lui, ces tâches traduisent parfaitement la philosophie de Droits d’urgences, qui lutte depuis plus de 20 ans, en faveur de la consécration effective de l’accès au droit pour tous.

En effet une bonne partie de ceux qui s’adressent à Droits d’urgence (60 % selon le rapport publié par l’association) sont exclus de fait de l’aide juridictionnelle, car présents en situation irrégulière en France. « Dans les faits, nous travaillons souvent avec des fantômes administratifs, soit des personnes qui n’existent pas sur les papiers pour l’administration. Toute notre mission constitue à en faire des sujets de droit », résume Alexandre Moreau.
« La vocation, c’est avoir pour métier sa passion » avait écrit un jour Stendhal. A la halte sociale, on applique cette citation, tous les jours.

Nessim Ben Gharbia. Rédaction du Village de la Justice.