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Les médias, "acteurs incontournables" des procès au 21ème siècle ?
Parution : lundi 26 août 2019
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Avocats médiatisés, chroniqueurs judiciaires sur les chaines d’information continue, live tweet lors des audiences... Autant d’éléments qui matérialisent la "justice spectacle", concept qui décrit une hyper médiatisation des procès. Sauf que le phénomène n’est pas sans danger sur la présomption d’innocence et la bonne administration de la Justice. L’Université Panthéon-Assas a consacré à ce sujet un petit déjeuner-débat en février 2019.
Le Village de la Justice vous livre l’essentiel des débats.

Le secret de l’instruction : un principe obsolète ?

« Aujourd’hui, il m’est difficile de restaurer la présomption d’innocence d’un client dès lors qu’il est présenté comme coupable par les médias. Quand j’ai commencé à plaider en 1988, l’avocat devait demander l’autorisation au bâtonnier avant de s’exprimer, maintenant la profession communique à outrance, notamment via Twitter », regrette Emmanuel Daoud, avocat.

Le secret de l’instruction, un principe obsolète ?

Il dénonce ainsi le poids de cette « réputation médiatique », sur le déroulé du procès. En plus de devoir se focaliser sur la préparation de la défense de son client, le défenseur éparpille ses efforts, en apportant un droit de réponse aux informations qui sont communiquées, ou en protestant contre les violations du secret d’instruction. Partant de ce constat, Emmanuel Daoud estime que le secret d’instruction est un principe désormais obsolète.

De son côté, le magistrat et ancien président de la Cour d’assises Dominique Coujard pointe du doigt le jeu dangereux que pourrait jouer une couverture médiatique partiale sur l’image de la justice : « En général, les avocats de la défense communiquent beaucoup, et c’est leur droit ! Cependant, si le Ministère Public ne communique pas, comme nous l’observons dans plusieurs affaires, cela peut orienter et déstabiliser l’opinion publique ».

Le magistrat cite deux exemples pour étayer ses propos « Dans l’affaire Colonna, la défense a énormément communiqué dans les médias, face à un silence des magistrats. Il reste que les audiences se sont avérées accablantes contre l’ancien fugitif, les juges dévoilant des documents compromettants. Pour ceux qui ont suivi le procès, les choses étaient claires, mais un certain nombre de personnes continuent, sur la base d’articles de presse, de penser qu’il est innocent et victime d’une cabale ».

Une couverture médiatique partiale peut être dangereuse pour l’image de la Justice.

Même configuration lors du procès de Jérôme Kerviel/ Société générale où « certains médias ont fait une couverture idéologique et militante de l’affaire, négligeant au passage des éléments factuels décisifs" selon le magistrat. Le danger dans cette affaire serait de considérer que la Justice est au service des pouvoirs économiques ou politiques, ce que réfute catégoriquement Dominique Coujard. « En ces temps de montées du populisme, le risque de prolifération de ces pensées est important ».

Pour Olivia Dufour, journaliste et présidente du Cercle des journalistes juridiques, cette surmédiatisation de la Justice trouve son origine dans le mode de fonctionnement des médias : « Avant, les journaux fonctionnaient avec une logique de rareté, avec un nombre restreint de pages à remplir. Maintenant, c’est l’inverse ! Nous sommes dans une ère d’informations en continue, que ce soit à la télévision ou sur internet ».

L’autre paramètre à prendre en considération dans le travail des journalistes trouve son explication selon Olivia Dufour dans la finalité économique des médias, ce qui implique « une recherche permanente du buzz, car la nuance ne fait malheureusement pas lire », or « la Justice n’est pas dans cette logique », poursuit-elle.

Sur ce point, Agnès Thibault Lecouvre, ancienne vice-procureur en charge de la communication du parquet de Paris et conseillère en stratégie de communication, estime que « la concurrence entre les médias n’est pas bénéfique pour la Justice, car les journalistes se lancent dans une course au scoop et se pressent pour sortir l’information ».

Il reste que cette manière de faire comporte des risques importants, comme « la violation de la dignité de la personne, la mise en danger de la vie d’autrui et l’atteinte à la présomption d’innocence et à la réputation médiatique », selon la chargée de communication.

Sur cette relation ambivalente entre les intérêts économiques et la présomption d’innocence, Olivia Dufour a cité l’exemple du refus des juges de suspendre la diffusion du film de François Ozon, « Grâce à Dieu », le temps que l’affaire soit jugée : « Dans ce procès, le juge devait trancher entre la présomption d’innocence et les intérêts économiques des producteurs, il a choisi les intérêts ».

Une nécessaire professionnalisation de la communication des magistrats.

Le citoyen a besoin d’exactitude en matière d’information judiciaire, la Justice se doit de communiquer.

Pour Valérie de Senneville, journaliste, les deux mots essentiels dans les relations entre les médias et la justice sont « respect et vérité ».
Dans ce sens, Agnès Thibault Lecouvre estime qu’il est nécessaire d’avoir des rapports honnêtes avec toutes les parties « il ne faut jamais mentir aux journalistes, sinon le rapport de confiance est perdu entre les deux institutions ».

Et pour assurer une bonne coordination entre la justice et les médias, il faut que les acteurs acceptent les règles du jeu : « Si je dis à un journaliste que c’est du off (confidentiel), il faut qu’il l’accepte. Nous devons nécessairement installer un lien de confiance entre nous », déclare à ce sujet Emmanuel Daoud.

Au-delà de la relation entre la Justice et les médias, il est indispensable pour Olivia Dufour que la Justice communique avec le grand public : « le citoyen a besoin d’exactitude en matière d’information judiciaire, c’est pour cela que la Justice doit communiquer. Le débat contradictoire doit avoir lieu », poursuit-elle.
Pour cela, un travail sur la professionnalisation de la communication des magistrats est nécessaire, de l’avis de tous les intervenants à la table ronde. L’exemple François Molins, dont les points de presse, en marge des attentats de 2015 ont rassuré la population, a été cité comme exemple à suivre.

Nessim Ben Gharbia. Rédaction du Village de la Justice.