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Le contrat d’engagement maritime des gens de mer. Par Dalila Madjid, Avocat.
Parution : mardi 5 mars 2019
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"La mer est un espace de rigueur et de liberté", disait Victor Hugo.
Le monde maritime a ses règles propres. Toutefois, lorsque le marin est salarié le code du travail trouve à s’appliquer parallèlement aux dispositions du code des transports.
Dans l’hypothèse où les tribunaux français sont territorialement compétents, il convient de distinguer deux cas de figures. D’une part, lorsque les gens de mer travaillent sur un navire battant pavillon français et d’autre part, lorsqu’ils travaillent sur un navire battant pavillon étranger.

1- Les gens de mer travaillant sur un navire battant pavillon français.

1. Le contrat d’engagement maritime est défini par l’article L. 5542-1 du Code des transports comme : « Tout contrat de travail, conclu entre un marin et un armateur ou tout autre employeur, ayant pour objet un service à accomplir à bord d’un navire est un contrat d’engagement maritime. Le contrat peut être conclu pour une durée indéterminée, pour une durée déterminée ou pour un voyage. Les dispositions du présent titre relatives au contrat à durée déterminée sont applicables au contrat au voyage ».

2. Il est par ailleurs important de définir les personnes travaillant à bord d’un navire.
Ainsi, aux termes de l’article L. 5511-1 du Code des transports, les « Marins » sont les gens de mer salariés ou non salariés exerçant une activité directement liée à l’exploitation du navire.

Les marins comprennent notamment les marins au commerce et les marins à la pêche, ainsi définis :
a) « Marins au commerce » : gens de mer exerçant une activité directement liée à l’exploitation de navires affectés à une activité commerciale, qu’ils soient visés ou non par la convention du travail maritime de l’Organisation internationale du travail, adoptée à Genève, le 7 février 2006, à l’exception des navires affectés à la pêche ou à une activité analogue.
b) « Marins à la pêche » : gens de mer exerçant une activité directement liée à l’exploitation des navires affectés à une activité de pêche relevant de la convention n° 188 de l’Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche, adoptée à Genève, le 14 juin 2007.

Les « Gens de mer » sont toutes personnes salariées ou non salariées exerçant à bord d’un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit.

Néanmoins, il est important de distinguer les gens de mer marins, tels qu’ils sont définis par les alinéas 3 et 4 de l’article L. 5511-1 du Code des transports et les gens de mer non marins, définis par les dispositions des articles R. 5511-3 et R. 5511-7 du Code des transports. Pour ces derniers, il s’agit de salariés qui préparent ou servent les repas aux personnels employés dans les installations et constructions d’unités de productions sous-marines ; dans les forages de puits, champs pétroliers ou gaziers et les plates-formes, îles artificielles, ouvrages ou installations en mer. Il peut s’agir également de salariés non marins exerçant occasionnellement une activité professionnelle à bord dont la durée n’excède pas quarante-cinq jours d’embarquement continus ou non sur toute période de six mois consécutifs.

En revanche, ne sont pas considérés comme des gens de mer, conformément à l’article R. 5511-5 du Code des transports, les salariés qui travaillent exclusivement à bord d’un navire à quai ou au mouillage, mais également les photographes, les journalistes, les chercheurs, les artistes, mannequins ou autres professionnels de la culture, les chefs gastronomiques etc.

3. Le code du travail est applicable aux marins salariés des entreprises d’armement maritime et des entreprises de cultures marines ainsi qu’à leurs employeurs.

Aux termes de l’article L. 5542-1 du Code des transports, le contrat d’engagement maritime est un contrat de travail, qui a pour objet un service accompli à bord du navire en vue d’une expédition maritime, pour un emploi relative à la marche, à la conduite, à l’entretien, au fonctionnement ou à l’exploitation du navire.

Ce contrat de travail peut être conclu à durée déterminée ou indéterminée.

Le contrat est établi par écrit. Outre les clauses obligatoires définies par le code du travail, il comporte les clauses obligatoires propres à l’engagement maritime qui sont fixées par les dispositions de l’article L. 5542-3 du Code des transports, comme :
"1° Les nom et prénoms du marin, sa date et son lieu de naissance, son numéro d’identification ;
2° Le lieu et la date de la conclusion du contrat ;
3° Les nom et prénoms ou raison sociale et l’adresse de l’armateur ;
4° Les fonctions qu’il exerce ;
5° Le montant des salaires et accessoires ;
6° Les droits à congés payés ou la formule utilisée pour les calculer ;
7° Les prestations en matière de protection de la santé et de sécurité sociale qui doivent être assurées au marin par l’armateur ;
8° Le droit du marin à un rapatriement ;
9° La référence aux conventions et accords collectifs applicables ;
10° Le terme du contrat si celui-ci est conclu pour une durée déterminée.
III. – Lorsque la rémunération consiste en tout ou partie en une part sur le produit des ventes ou sur d’autres éléments spécifiés du chiffre d’affaires, le contrat précise en outre :
1° La répartition du produit des ventes ou des éléments du chiffre d’affaires considérés entre l’armement et les marins, ainsi que la part revenant au marin,
2° Les modalités selon lesquelles le marin est informé, au moins une fois par semestre, des éléments comptables justifiant la rémunération perçue.
"

Aussi, le contrat doit indiquer le délai de préavis à observer en cas de rupture par l’une des parties (article L. 5542-4 du Code des transports).

4. Sur la compétence du tribunal d’instance en cas de conflits entre marins et armateurs. Eu égard aux dispositions de l’’article L. 5542-48 du Code des Transports : « Tout différend qui peut s’élever à l’occasion de la formation, de l’exécution ou de la rupture d’un contrat de travail entre l’employeur et le marin est porté devant le juge judiciaire. Sauf en ce qui concerne le capitaine, cette instance est précédée d’une tentative de conciliation devant l’autorité compétente de l’État. »

L’article L221-13 du Code de l’Organisation Judiciaire dispose, quant à lui que : « Sous réserve de la compétence de la juridiction de proximité, le tribunal d’instance connaît : (…) 3° Des contestations relatives au contrat d’engagement entre armateurs et marins dans les conditions prévues par le code du travail maritime. »

La Cour de Cassation a clairement précisé dans son arrêt du 12 février 2014, publié au Bulletin officiel, qu’il résulte de la combinaison des articles L. 5541-1 et L. 5542-48 du Code des transports et de l’article R. 221-13 du Code de l’organisation judiciaire, que le Tribunal d’instance est seul compétent pour connaître, après tentative de conciliation devant l’administrateur des affaires maritimes, des litiges entre armateur et marin portant sur la conclusion, l’exécution ou la rupture du contrat d’engagement maritime des marins travaillant à bord d’un navire battant pavillon français. [1]

En somme, ces dispositions ne s’appliquent qu’aux contrats d’engagement des marins/capitaine travaillant à bord d’un navire battant pavillon français.

2. Les gens de mer travaillant à bord d’un navire battant pavillon étranger : la compétence du conseil de prud’hommes.

Dans le cadre de contrats de travail internationaux et dans l’hypothèse où la juridiction française est compétente, le marin/capitaine peut saisir soit le Conseil de prud’hommes de son lieu habituel de travail, comme le port français où est exploité le navire. Soit le Conseil de prud’hommes de son domicile en France, lorsque le marin travaille hors de tout établissement [2]

Ainsi, un salarié, de nationalité française, a été embauché en qualité de capitaine de navire une société dont le siège social est situé sur l’Ile de Man et propriétaire du navire de plaisance le « Bristol II of Beaulieu » battant pavillon britannique. Son contrat de travail a été résilié, le capitaine avait saisi la juridiction prud’homale.

Le capitaine effectuant des sorties régulières en France à partir du port de Golfe-Juan où le navire était amarré et ce, pendant ses 27 mois d’emploi à l’exception de 4 mois à l’étranger, il a été considéré qu’il exerçait habituellement ses fonctions en France.

En application de l’article R.1412-1 du code du travail, le salarié n’exécutant pas son travail uniquement dans le port de Golfe-Juan, lieu d’amarrage du navire « Bristol II of Beaulieu », compte tenu des sorties régulières du navire, il accomplissait son travail en dehors de tout établissement. Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Cannes, dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié, s’est déclaré compétent.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 pose le principe que le contrat est régi par la loi choisie par les parties, en l’espèce la loi de l’île de Man, aux termes de l’article 6.1 « dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection qui lui assurent les dispositions impératives de la loi, qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article ».

A défaut de choix par les parties de la loi applicable, le contrat de travail serait régi par la loi française compte tenu que le capitaine accomplissait habituellement son travail en France. Ainsi, sont applicables les dispositions impératives de la loi française relatives à la procédure de licenciement et à la motivation de la lettre de licenciement. [3]

Dans une autre affaire intéressante, une salariée a été engagée par la société Debaira Yachting limited, société de droit maltais ayant son siège social à Malte, selon plusieurs contrats d’engagement maritime, en qualité de chef cuisinier sur le yacht de grande plaisance Queen Aïda battant pavillon maltais. La salariée avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et la rupture de ses contrats de travail.

La Cour d’appel a confirmé la compétence de la juridiction prud’homale pour connaître du litige l’opposant à la salariée

La Cour de cassation a adopté la même position que les juges du fond, aux motifs que, de l’application combinée des dispositions des articles L. 5000-3 et L. 5542-48 du code des transports, et R. 221-13 du code de l’organisation judiciaire, dans leur rédaction applicable au litige, que le conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître des litiges entre armateur et marin portant sur la conclusion, l’exécution ou la rupture du contrat d’engagement maritime sur un navire étranger.

En précisant que la salariée était affectée sur un navire battant pavillon maltais, la cour d’appel en a exactement déduit que la relation de travail n’était pas soumise au code des transports, que l’application de l’article R. 221-13 du code de l’organisation judiciaire devait être exclue et que la juridiction prud’homale était compétente pour connaître du litige l’opposant à son employeur. [4]

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a défini le lieu habituel de travail comme le lieu où le salarié « reçoit ses ordres, ses consignes ». [5]. Mais également comme le lieu où un marin « embarque et débarque, le port d’exploitation réel du navire quelque soit son lieu d’immatriculation ». [6]

Dalila Madjid Avocat au Barreau de Paris e-mail: dalila.madjid@avocat-dm.fr blog : https://dalilamadjid.blog site : http://www.avocat-dm.fr/

[1Cass. soc. 12 fév. 2014 n°13-10643.

[2Cass. soc. 28 juin 2005, n°03-45042 ; CA Aix en Provence 13 sept. 2012 n°2012/501.

[3CA Aix en Provence 13 sept. 2012 n°2012/501.

[4Cass. soc. 28 mars 2018 n°16-20746.

[5CJUE 15 mars 2011, Heiko Koelzsch / Luxembourg, Aff. C-29/10

[6CJUE 15 décembre 2011 Jan Voogsgeerd c/ Navimer SA, Aff. C‑384/10.