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Policiers aux visages masqués - nécessité ou mise en scène ? Par Guillaume Normand, Avocat.
Parution : mercredi 6 mars 2019
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Le visage c’est l’identité. C’est la raison pour laquelle les documents administratifs tels que la CNI ou le passeport comportent obligatoirement une photographie du visage de leur titulaire.

Ainsi associe t-on un visage à une personne.

Or l’on constate que dans le cadre des événements Gilets Jaunes, nombre de forces de l’ordre masquent leur visage. Nécessité ou mise en scène ?

Pour tous un chacun, la dissimulation du visage dans l’espace publique est interdite et réprimé par une amende de 150 euros et/ou l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté (Cette contravention était instituée en 2010 contre le port de la burqua).

Est plus sévèrement puni depuis 2009 au titre de contravention de 57ème classe (750 euros) le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public (Article R645-14 du Code pénal).

Plus récemment en janvier 2019, ensuite des événements Gilets Jaunes, l’Assemblée nationale est allée jusqu’à voter la création d’un nouveau délit qui prohibe la dissimulation du visage dans les manifestations, qui sera assorti d’une peine particulièrement sévère d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Il peut par exception être légal de dissimuler son visage dans certaines conditions comme la pratique de sports, ou le port du casque lorsque l’on circule à moto.

S’agissant spécifiquement des forces de l’ordre, initialement seuls quelques unités d’élites définies par un l’arrêté du 7 avril 2011, "relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale" sont autorisées à porter la cagoule. C’est notamment le cas des brigades de recherche et d’intervention (BRI), des groupes d’intervention de la police nationale (GIPN, RAID).

Suite aux assassinats de Magnanville, le 9 mars 2017 la Direction générale de la police nationale (DGPN) a pris une note interne sur "la doctrine d’emploi du port de la cagoule". Celle-ci précise que le principe général de l’accomplissement des missions de sécurité publique demeure le travail à visage découvert, mais que le port de la cagoule peut être autorisé à titre dérogatoire encadré hiérarchiquement, et pour l’accomplissement des missions limitativement définies suivantes :
- Opérations en lien avec la radicalisation ou le terrorisme ;
- Opérations en lien avec le grand banditisme ou considérées à risque en raison de la dangerosité des personnes concernées ;
- Opérations d’extractions et escortes de détenus particulièrement signalés ;
- Intervention dans le voisinage immédiat du domicile d’un ou plusieurs agents de police lorsque leur présence est indispensable sur les lieux ;
- Assistance aux services spécialisés de police et de gendarmerie nationales autorisés, par l’arrêté du 7 avril 2011 au port de la cagoule afin de garantir leur anonymat pour l’accomplissement de leurs missions (BRI, GIPN..)

Or l’on constate que dans le cadre des événements Gilets Jaunes, nombre de forces de l’ordre masquent leur visage, tandis que couvrir une manifestation Gilets Jaune ne correspond à aucune des exceptions énumérés.

Tel accoutrement apparaît donc abusif, et pose un problème tant de forme que de fond.

Les policiers masqués ne peuvent faire valoir que leur mission d’encadrement de ces manifestations serait comparable à celui d’une intervention antiterroriste.

Le port de la cagoule ou la dissimulation du visage ne peut dès lors qu’interroger sur sa finalité, que l’on peut croire relever de la mise en scène.

Certains syndicats de CRS revendiquent le droit au port de la cagoule anti feu pour se protéger des bombes incendiaires, ce qui peut s’entendre dans le cadre de manifestations à haut risque, mais relève d’une finalité différente de la dissimulation de l’identité.

Par ailleurs, chacun a pu voir nombre de policiers cagoulés par principe, y compris face à des manifestants pacifiques.

L’on ne peut donc s’empêcher de rappeler que dans l’inconscient celui qui masque son visage c’est l’ « exécuteur des hautes œuvres » qui mène le condamné à l’échafaud, ou encore le malfaiteur en action, car ils ne peuvent assumer leurs gestes au grand jour pour des raisons de responsabilité morale ou judiciaire.

L’image est donc particulièrement désastreuse, en particulier s’agissant de l’encadrement de manifestations populaires et sociales.

Le problème de fond est, que l’on soit internaute, délinquant ou fonctionnaire, l’anonymat favorise l’impunité. Or les plaintes et signalisations pour violences policières commises dans le contexte des événements gilets jaunes ont atteint des sommets depuis novembre 2018.

Guillaume Normand, avocat au barreau de Paris