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Les pouvoirs de la Cour d’appel statuant sur déféré. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : mercredi 13 mars 2019
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La partie qui n’a pas soulevé l’irrecevabilité de l’appel devant le conseiller de la mise en état n’est pas recevable à soutenir cette fin de non-recevoir devant la cour statuant sur déféré. Et statuant sur déféré, la Cour n’a pas à statuer sur le bien-fondé des demandes après les avoir jugées irrecevables (Civ. 2e, 31 janv. 2019, FS-P+B, n° 17-22.765).

Sur renvoi de cassation, les intimées saisissent le conseiller de la mise en état de diverses demandes et fins de non-recevoir dont aucune n’est accueillie.

Un déféré est formé et les intimées demandent à la cour d’appel de juger irrecevables l’action et l’appel mais aussi irrecevable et mal fondée l’intervention volontaire d’une partie.

La cour statuant sur déféré déclare irrecevables, faute d’avoir été préalablement soumis au conseiller de la mise en état, les demandes tendant à l’irrecevabilité de l’appel et à l’irrecevabilité par voie de conséquence de l’intervention volontaire.

Face à des intimés qui, procéduralement, avaient feu de tout bois, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, sur déféré, avait estimé qu’elle n’avait à connaître que des questions soumises au conseiller de la mise en état, que la recevabilité de l’action échappe aux pouvoirs du conseiller de la mise en état, que cette question de la recevabilité de l’action est l’objet même du jugement dont appel de sorte que le conseiller de la mise en état ne pouvait confirmer ou infirmer la décision de première instance et que, s’agissant de la recevabilité de l’appel, cette demande n’avait pas été soumise au conseiller de la mise en état de sorte que la cour n’avait pas à en connaître, que l’acquiescement n’était pas établi, que la prétention relative à l’intervention volontaire n’avait pas été présentée au conseiller de la mise en état et ne peut prospérer comme étant la résultante de l’irrecevabilité prétendue de l’appel.

Le moyen du pourvoi était concentré sur le fait que, statuant sur déféré, la cour d’appel avait bien le pouvoir de statuer sur la recevabilité de l’appel puisque cette fin de non-recevoir pouvait être proposée en tout état de cause et qu’en conséquence la cour d’appel avait statué en violation des articles 122, 123, 914 et 916 du code de procédure civile. Sur la seconde branche du moyen, il était reproché à la cour d’avoir estimé infondées les demandes relatives à l’appel et à l’intervention volontaire par voie de conséquence après les avoir jugé irrecevables.

Sur la première branche du moyen, la deuxième chambre civile approuve la cour d’appel d’Aix-en-Provence : « Mais attendu qu’ayant constaté que l’irrecevabilité de l’appel n’avait pas été soulevée devant le conseiller de la mise en état, la cour d’appel en a exactement déduit, abstraction faite du terme impropre de rétractation, qu’elle n’avait pas à en connaître à l’occasion du déféré formé contre l’ordonnance du conseiller de la mise en état ».

La seconde branche du moyen est quant à elle inévitablement accueillie et la deuxième chambre civile casse partiellement l’arrêt sans renvoi puisqu’en statuant ainsi, la cour d’appel avait excédé ses pouvoirs et violé l’article 122 du code de procédure civile.
La seconde branche du moyen était la plus évidente.

La cour n’avait pas à juger du bien-fondé des demandes après les avoir jugées irrecevables et, sur déféré, ne pouvait en apprécier le bien-fondé en statuant au fond. Outre la logique, la lettre même de l’article 122 le précise : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond (...) ».

On ne cessera de rappeler que la cour d’appel ne peut statuer qu’au regard de l’instance dont elle est saisie et que l’effet dévolutif de l’instance en fixe les limites. Si l’on sait que saisie d’un appel d’une ordonnance de référé, la cour ne statuera qu’en vertu des pouvoirs conférés au juge des référés, il en est de même sur déféré d’une ordonnance du conseiller de la mise en état : elle ne peut statuer que dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés, c’est-à-dire de ceux même du conseiller de la mise en état relevant des articles 771 et 914 du code de procédure civile. Aussi, sur déféré, la cour ne pouvait bien sûr apprécier le bien-fondé des demandes des parties au lieu et place de la cour statuant au fond.

L’appréciation de la première branche du moyen était, elle, plus complexe. L’article 91-6 du code de procédure civile précise que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt sur le fond, sauf lorsqu’elles ont pour effet de mettre fin à l’instance, lorsqu’elles constatent son extinction ou lorsqu’elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps, ou encore lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l’instance, sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et désormais de l’article 930-1 depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017.

Au cas présent, plusieurs fins de non-recevoir avaient été développées devant le conseiller de la mise en état, sans que l’arrêt ni les moyens du pourvoi n’en renseignent la nature mais on déduira de la lecture de l’arrêt que celle relevant de l’irrecevabilité de l’appel n’avait pas été invoquée à ce stade puisque pour la première fois soutenue devant la cour statuant en formation collégiale sur déféré. La haute cour donne sur ce point raison à la cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir considéré qu’elle n’avait pas à en connaître dès lors que cette irrecevabilité n’avait pas été soutenue devant le conseiller de la mise en état.

Dans sa rédaction antérieure comme postérieure au décret du 6 mai 2017, l’article 914 dispose que le conseiller de la mise en état est seul compétent pour « déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel », le décret ayant d’ailleurs ajouté que « les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été ».

La rédaction actuelle n’était pas applicable au litige et le demandeur au pourvoi soutenait à juste titre qu’une fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause (C. pr. civ., art. 123), mais la Cour de cassation depuis quelque temps se détache du caractère même d’ordre public de certaines fins de non-recevoir (C. pr. civ., art. 125), pour privilégier l’instance devant le conseiller de la mise en état et les pouvoirs étendus dont il dispose comme de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à ses décisions.

Par arrêts publiés au Bulletin, la Cour de cassation avait déjà considéré qu’une cour d’appel ne pouvait pas relever d’office une fin de non-recevoir d’ordre public (en l’espèce la tardiveté de l’appel) si le conseiller de la mise en état avait précédemment jugé l’appel recevable sans qu’aucun déféré ne soit exercé. [1]

Puis elle avait jugé que dès lors que des conclusions soulevant une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l’appel avaient été notifiées antérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état, une cour d’appel ne pouvait statuer sur ce moyen et juger l’appel irrecevable. [2]

Ce n’est que dans l’hypothèse où le conseiller de la mise en état n’a pas été préalablement saisi que cette fin de non-recevoir d’ordre public doit être relevée d’office par la cour statuant au fond. [3]

Mais dans le cas contraire, l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du conseiller de la mise en état prévaut sur le caractère d’ordre public du moyen. Qu’il s’agisse d’un moyen d’ordre privé comme d’ordre public, on sait désormais que l’autorité de la chose jugée attachée aux ordonnances du conseiller de la mise en état oblige à exercer un déféré mais celui-ci n’autorise pas pour autant à soutenir d’autres moyens, même d’ordre public, qui n’auraient pas été soulevés devant lui.

C’est ainsi que l’omission du moyen devant le conseiller de la mise en état, même relevant des fins de non-recevoir d’ordre public, ne pouvait être réparée par la cour statuant sur déféré.

En cas d’omission, seule la cour statuant au fond aurait compétence pour relever d’office l’irrecevabilité et le décret du 6 mai 2017 a même pris la peine de le préciser : « Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d’appel peut, d’office, relever la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ».

L’intimée qui entendrait soulever cette irrecevabilité sans jamais avoir notifié de conclusions en ce sens n’aura plus qu’à se rendre à l’audience pour attirer, oralement et habilement, l’attention de la cour qui, s’il s’agit d’une irrecevabilité d’ordre public, n’aura pas d’autre choix que de la relever d’office.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly Associé chez Lexavoue Lyon.

[1Civ. 2e, 3 sept. 2015, n° 13-27.060, Dalloz actualité, 22 sept. 2015, obs. R. Laffly ; D. 2015. 1771 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati.

[2Civ. 2e, 20 avr. 2017, n° 16-12.605, Dalloz actualité, 22 mai 2017, obs. R. Laffly.

[3Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19.920, D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle.

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