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Salariés, cadres, cadres dirigeants – Rupture conventionnelle : les arrêts les plus importants de la Cour de cassation en 2018. Par Frédéric Chhum et Mathilde Mermet-Guyennet, Avocats.
Parution : lundi 11 mars 2019
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La rupture conventionnelle fait l’objet d’une procédure très encadrée permettant de rompre un contrat de travail à durée indéterminée d’un commun accord entre l’employeur et le salarié en contrepartie d’une indemnité spécifique de rupture. Les raisons de son succès reposent par ailleurs sur la possibilité pour le salarié de percevoir les allocations d’assurance chômage à l’issue de la rupture.

Selon une étude de la DARES publiée en janvier 2018, le succès de la rupture conventionnelle n’est pas démenti ; en 2018, 437.700 ruptures conventionnelles ont été homologuées, lesquelles concernent environ 14 % des ruptures des contrats à durée indéterminée.

La DARES relève également, que ce sont les salariés ayant des rémunérations plus élevées qui obtiennent plus facilement des indemnités plus favorables que le minimum légal.

Il convient en effet de rappeler que le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle ne peut pas être inférieur au montant de l’indemnité légale prévue à l’article L.1234-9 du Code du travail, soit ¼ de mois de salaire par année d’ancienneté pour les 10ères années, puis ¾ de mois de salaire par année d’ancienneté au-delà de 10 années.

50 % des ruptures conventionnelles signées seraient des licenciements déguisés.

Dans ce contexte, les salariés doivent être vigilants lorsqu’ils négocient une rupture conventionnelle, sachant qu’ils ne sont pas à égalité d’armes avec leur employeur du fait du lien de subordination inhérent au contrat de travail. Sur ce point voir notre article : "Salariés, cadres, cadres dirigeants : combien négocier sa rupture conventionnelle après les ordonnances Macron ?"

Cela étant, par plusieurs arrêts rendus en 2018, la Cour de cassation est venue confirmer et préciser son régime procédural strict, lequel se veut le garant du consentement du salarié.

1) Annulation de la rupture conventionnelle et vice du consentement.

1.1) L’altération des facultés mentales du salarié (tumeur au cerveau) qui signe une rupture conventionnelle vicie son consentement (Cass, soc, 16 mai 2018 n°16-25852).

L’altération des facultés mentales du salarié due à une tumeur au cerveau, lors de la signature de la convention, est de nature à vicier le consentement et permet d’annuler la rupture conventionnelle, qui produit dès lors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Cass, soc, 16 mai 2018, n°16-25852)

La société avait contesté la décision de la Cour d’appel de Paris qui avait donné droit aux demandes de la salariée, en faisant valoir que les certificats médicaux avaient été établis postérieurement à la signature de la rupture conventionnelle.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant : « qu’ayant constaté, par une appréciation souveraine, l’existence d’une altération des facultés mentales de la salariée, lors de la signature de la convention de rupture, de nature à vicier son consentement, la cour d’appel a décidé à bon droit que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

A cet égard, la Cour de cassation a considérablement restreint les cas d’ouverture de demandes d’annulation de la rupture conventionnelle aux hypothèses de fraude, de vice du consentement, ou de non-respect de la procédure.

Dès lors, dans cet arrêt elle se tient à la stricte appréciation de la capacité du salarié à donner un consentement éclairé, sans considération des circonstances professionnelles entourant la conclusion de la convention, et notamment de la circonstance que le médecin du travail l’avait déclarée apte peu de temps avant la signature de la convention ce que faisait valoir l’employeur.

En effet, le contexte conflictuel ou équivoque entourant la signature de la convention est insuffisant pour caractériser en soi le vice du consentement ouvrant la possibilité de demander l’annulation de la convention.

A titre d’exemple, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue au cours d’une suspension du contrat de travail consécutive à une accident du travail ou à une maladie professionnelle. (Cass, soc, 30 septembre 2014, n°13-16.297)

1.2)Le harcèlement moral n’affecte la rupture conventionnelle que si celui-ci a pour effet de vicier le consentement du salarié à la rupture (Cass, soc, 23 janvier 2019, n°17-21550).

Dans le même sens, y compris en cas de harcèlement moral avéré lors de la signature de la rupture conventionnelle, le salarié doit démontrer que son consentement a été vicié.

Dans cette affaire, les juges du fond, pour annuler la convention de rupture, s’étaient fondés sur l’article L.1152-3 du Code du travail qui dispose que toute rupture intervenue en méconnaissance des disposition protectrices sur le harcèlement moral est nulle. Cela dès lors que le harcèlement moral était bien démontré par le salarié.

La Cour de cassation affirme que : « alors qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (Cass, soc, 23 janvier 2019, n°17-21550)

Pour obtenir la nullité de la rupture conventionnelle le salarié doit ainsi prouver que le harcèlement moral subi a eu pour conséquence de vicier son consentement.

1.3) Nullité de la rupture conventionnelle si le salarié ne dispose pas de son exemplaire de convention (Cass, soc, 7 mars 2018, n°17-10963).

Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé récemment que si un exemplaire de la convention n’est pas remis au salarié, il est fondé à en demander l’annulation.

Il faut préciser que dans cette affaire, la Cour d’appel avait débouté le salarié de sa demande en précisant qu’il avait perçu les sommes résultantes de la Convention.

La Cour de cassation casse cet arrêt au motif que : « la cour d’appel a débouté la salariée de sa demande d’annulation de la convention de rupture sans répondre à ses conclusions qui invoquaient le défaut de remise d’un exemplaire de la convention de rupture, ce qui était de nature à entraîner la nullité de la convention ». (Cass, soc, 7 mars 2018, n°17-10.963)

1.4) Nullité de la rupture conventionnelle si elle est adressée à la Direccte avant l’expiration du délai de rétractation (Cass, soc, 6 décembre 2017, n°16-16851).

De même, si la demande d’homologation est envoyée avant l’expiration du délai de rétractation, le salarié peut en demander la nullité.

En effet, dans cette affaire le salarié demandait la nullité de la convention de rupture dont la demande avait été envoyée à la DIRECCTE avant l’expiration du délai de rétractation.

L’employeur s’opposait à cette demande en considérant que les textes ne prévoyaient pas expressément la sanction de nullité en cas de non-respect du délai de rétractation et invoquait que seul le défaut de consentement était susceptible d’emporter nullité de la convention.

Sans surprise, la Cour de cassation juge que : « que la cour d’appel, qui a relevé que la demande d’homologation de la rupture conventionnelle avait été adressée à la DIRECCTE avant l’expiration du délai de rétractation, a par ces seuls motifs, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision ». (Cass, soc, 6 décembre 2017, n°16-16851)

En effet, le contrôle de la DIRECCTE se limite en pratique à vérifier les dates de la procédure et le montant de l’indemnité spécifique. Aussi, le respect du délai de rétractation de 15 jours est crucial, car il est le seul point de procédure permettant de présumer que le consentement du salarié était libre et éclairé.

1.5)L’annulation de la convention de rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass, soc, 30 mai 2018, n°16-15273).

Enfin, dès lors qu’elle est annulée, la convention de rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et partant le paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par l’employeur.

Dans un arrêt du 30 mai 2018, la Cour de cassation a ajouté que la nullité de la convention de rupture conventionnelle emportait également obligation à restitution par le salarié des sommes perçues en exécution de la convention. (Cass, soc, 30 mai 2018, n°16-15273)

2) Sur le montant minimum de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle : le cas des journalistes professionnels.

L’article L1237-13 du Code du travail prévoit que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle ne peut être inférieure au montant de l’indemnité légale de licenciement dont le calcul est fixé à l’article L1234-9 du Code du travail, soit ¼ de mois de salaire par année d’ancienneté pour les 10 première et 1/3 de mois de salaires par année pour les années au-delà de 10.

Or, certains salariés en application de Convention Collective de branche ou de dispositions légales, bénéficient d’une indemnité de licenciement plus favorable que celle prévue par le Code du travail.

En effet, les journalistes bénéficient d’une indemnité légale de licenciement plus favorable prévue par l’article L7112-3 du Code du travail (1 mois de salaire par année d’ancienneté pour les 15 premières années).

Aussi, un journaliste ayant conclu une rupture conventionnelle demandait que le montant de son indemnité de rupture conventionnelle soit calculée conformément aux dispositions de l’article L7112-3 du code du travail, plus favorables que celles de l’article L1234-9 du même code.

Si la Cour d’appel lui avait donné raison, la Cour de cassation a cassé en 2015 la décision, en faisant valoir que l’article L1237-13 déterminant le montant de l’indemnité spécifique de rupture ne se référait qu’à l’article L1234-9 du Code du travail, ce qui excluait que le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle puisse être calculée sur la base de l’article L7112-3 du Code du travail applicable aux journalistes.

S’est ensuite posée la question du concours entre l’indemnité spécifique de rupture prévue par l’article L.1237-13 du Code du travail et les indemnités conventionnelles de licenciement plus favorables instaurées par les Conventions de branche.

Dès lors que l’affaire était renvoyée devant la 9ème chambre du Pôle 6 de la Cour d’appel de Paris après cassation, le salarié demandait cette fois que lui soit appliqué l’indemnité conventionnelle de licenciement des journalistes, dont le montant est en réalité identique à celui de l’article L7112-3 du Code du travail.

Il faut préciser en effet que l’avenant n°4 du 18 mai 2009 porté à l’ANI du 11 janvier 2008, étendu par arrêté du 26 novembre 2009 a rendu obligatoire le versement d’une indemnité de rupture conventionnelle au mois égale à l’indemnité conventionnelle de licenciement pour les conventions conclues à compter du 28 novembre 2009. Cet accord s’applique à tous les employeurs de branches d’activités relevant d’une convention collective de branche signée par une fédération patronale adhérente au MEDEF, à l’UPA ou à la CGPME.

Or, dans cette affaire, la journaliste appartenant au secteur de l’audiovisuel, la société n’entrait pas dans le champ d’application de cet accord, la Cour de cassation a jugé que le montant minimum de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle devait donc être celui de l’indemnité légale de licenciement prévue par l’article L.1234-9 du Code du travail. (Cass, soc, 27 juin 2018, n°17-15948)

3) La Convention de rupture signée après le refus d’homologation d’une 1ère convention ouvre un nouveau délai de rétractation de 15 jours (Cass, soc, 13 juin 2018, n°16-24830).

A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l’autre partie (Article L1237-13 du Code du travail).

Dans cette affaire, une deuxième convention de rupture conventionnelle avait été signée dès lors que l’administration avait refusé d’homologuer la première puisque le montant de l’indemnité spécifique était inférieur au minimum légal.

Aussi, les parties ont signé une deuxième convention reprenant exactement les termes de la première à l’exception du montant de l’indemnité spécifique, mais sans modifier la date d’expiration du délai de rétractation.

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé que la salariée devait bénéficier d’un nouveau délai de rétractation et que, n’en ayant pas disposé, la seconde convention de rupture était nulle. (Cass, soc, 18 juin 2018, n°16-24830)

Il faut en effet noter que le dispositif de la rupture conventionnelle a été pensé de telle sorte que le délai de rétractation soit une garantie essentielle du consentement des parties. C’est la raison pour laquelle, la Cour de cassation apprécie de manière très stricte son respect.

Aussi, en cas de refus d’homologation il apparaît prudent de retarder la rupture et de reprendre de nouveau la procédure à son début.

Par ailleurs fois le délai de rétractation expiré, l’administration dispose de 15 jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour rendre sa décision, puis à l’issue de ce délai d’instruction, le salarié à 12 mois pour contester la rupture conventionnelle et en demander son annulation. (Article L1237-14 du Code du travail).

Or, il est usuel que la DIRECCTE ne se prononce pas explicitement, elle est donc réputée avoir pris une décision implicite d’homologation de la convention à l’expiration du délai de 15 jours.

Or, dans une telle configuration, dès lors que le salarié ne connaît pas nécessairement la date à laquelle la DIRECCTE a reçu la demande d’homologation (cette dernière étant souvent transmise par l’employeur), il ne peut connaître avec précision la date d’expiration de son droit à recours.

Dans cette affaire, la convention avait fait l’objet d’une décision implicite d’homologation par la DIRECCTE, le 16 novembre 2010.

Or, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes pour demander l’annulation de la convention le 17 novembre 2011.

Si l’employeur lui opposait le délai de prescription de 12 mois, le salarié se défendait en faisant valoir que ce délai ne lui était pas opposable puisqu’il n’avait jamais été informé de la date de réception de la demande d’homologation par la DIRECCTE.

La Cour de cassation confirmant la décision de la Cour d’appel rejette le pourvoi du salarié et juge la demande irrecevable car introduite après l’expiration du délai de 12 mois, en jugeant que : « la cour d’appel, qui a relevé que le salarié et l’employeur avaient, le 8 octobre 2010, signé une convention de rupture, et devant laquelle il n’était pas contesté que la convention avait reçu exécution, a fait ressortir que ce salarié avait disposé du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai prévu à l’article L. 1237-14 du code du travail ; qu’elle en a exactement déduit que sa demande en nullité de la convention de rupture, introduite postérieurement à ce délai, était irrecevable ». (Cass, soc, 6 décembre 2017, n°16-10220)

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum