Village de la Justice www.village-justice.com

Marché public : Appréciation souple du régime de passation avec une SEMOP. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : mercredi 13 mars 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/marche-public-appreciation-souple-regime-passation-avec-une-semop,30911.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par une décision du 8 février 2019 (Req. n°420296), le Conseil d’État a fait preuve de pragmatisme en admettant que l’actionnaire principal se substitue provisoirement à la société d’économie mixte à opération unique (SEMOP), en cours de constitution, pour signer le marché et en jugeant que les statuts et le pacte d’actionnaires n’ont pas à être fixés de manière intangible au stade du lancement de la procédure.

En l’espèce, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (ci-après "SIAAP") a créé une SEMOP pour l’exploitation de l’usine d’épuration Seine Amont et lancé une procédure d’appel d’offres afin de sélectionner l’actionnaire/opérateur économique de cette société, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1541-2 du CGCT.

A l’issue de la procédure de passation, le marché a été attribué à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux puis signé par cette dernière et le président du SIAAP.

Dans le cadre d’un déféré préfectoral, le Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à la suspension du marché.

A l’appui du déféré, le Préfet faisait valoir, notamment, d’une part, que le marché aurait dû être signé par la SEMOP et non par la société attributaire, conformément aux dispositions du VI de l’article L. 1541-2 qui précisent que « le contrat, comportant les éléments prévus par l’appel public à la concurrence, est conclu entre la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales et la société d’économie mixte à opération unique, qui est substituée au candidat sélectionné pour l’application des modalités de passation prévues selon la nature du contrat ».

D’autre part, il soutenait que les projets de statuts et de pacte d’actionnaires auraient dû être fixés préalablement à la mise en concurrence, conformément aux dispositions du III de l’article L. 1541-2. En effet, il ressort de ces dispositions qu’ « en complément des informations obligatoires selon la nature du contrat destiné à être conclu, l’avis d’appel public à la concurrence comporte un document de préfiguration, précisant la volonté de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales de confier l’opération projetée à une société d’économie mixte à opération unique à constituer avec le candidat sélectionné.

Ce document de préfiguration de la société d’économie mixte à opération unique comporte notamment :
1° Les principales caractéristiques de la société d’économie mixte à opération unique : la part de capital que la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales souhaite détenir ; les règles de gouvernance et les modalités de contrôle dont la collectivité ou le groupement de collectivités souhaite disposer sur l’activité de la société définies, le cas échéant, dans un pacte d’actionnaires ; les règles de dévolution des actif et passif de la société lors de sa dissolution ;
2° Le coût prévisionnel global de l’opération pour la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales et sa décomposition.
 »

La société Suez Services France, candidate évincée à la procédure, est intervenue au soutien de la demande de suspension du Préfet.

Par une ordonnance du 15 novembre 2017, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a refusé d’admettre l’intervention de la société Suez Services France puis ordonné la suspension du marché à compter du 1er décembre 2017 si, à cette date, la signature du marché n’avait pas été régularisée par la SEMOP.

Pour le Tribunal, l’incompétence de la société Veolia pour signer le marché était un vice susceptible d’être régularisé, même dans le cadre d’une procédure d’urgence. Saisie en appel par le Préfet et la société Suez Services France, la Cour administrative d’appel de Paris a partiellement annulé l’ordonnance du Tribunal administratif de Paris en prononçant la suspension immédiate du marché et admis l’intervention de la société Suez Services France.

Saisi en cassation, le Conseil d’État devait notamment se prononcer sur les questions de savoir si la société Veolia était compétente pour signer le marché en lieu et place de la SEMOP, en cours de constitution, et si les statuts de la SEMOP et le pacte d’actionnaires devaient être « fixés par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence » ou si, au contraire, ils pouvaient être fixés à l’issue de la procédure. Après avoir annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État a réglé l’affaire au titre du déféré préfectoral engagé par le Préfet.

En premier lieu, statuant sur le fondement des dispositions du VI de l’article L. 1541-2 du CGCT, le Conseil d’État a rappelé que « lorsqu’une collectivité territoriale crée une SEMOP, c’est avec cette société qu’elle doit passer le contrat confiant l’opération projetée. La SEMOP doit par suite être substituée, pour la signature du contrat, au candidat sélectionné selon les procédures applicables aux marchés publics ».

Faisant application de ce principe, il a relevé qu’à la date de signature de l’acte d’engagement, la SEMOP – en cours de constitution - était dépourvue d’existence juridique et que par suite, elle ne pouvait pas signer le marché.

La Haute juridiction en a déduit que la société Veolia pouvait, provisoirement se substituer à la SEMOP pour signer le marché et que ce vice n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la validité du marché dès lors qu’il avait été régularisé dans le délai imparti par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris :
« Sur le moyen tiré de l’incompétence de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux pour signer le marché :
11. Il résulte des dispositions précitées du VI de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales que lorsqu’une collectivité territoriale crée une société d’économie mixte à opération unique, c’est avec cette société qu’elle doit passer le contrat confiant l’opération projetée. La société d’économie mixte à opération unique doit par suite être substituée, pour la signature du contrat, au candidat sélectionné selon les procédures applicables aux contrats de concession ou aux marchés publics.
12. Il résulte de l’instruction que l’acte d’engagement du contrat en cause a été conclu, le 7 septembre 2017, entre le président du SIAAP et la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux en sa qualité d’actionnaire opérateur économique de la société d’économie mixte à opération unique. A cette date, ni les statuts ni le pacte d’actionnaires de la société d’économie mixte à opération unique, qui devait être exclusivement dédiée à l’exploitation de l’usine d’épuration Seine Amont et ses ouvrages annexes, n’avaient été arrêtés et publiés. Cette société était ainsi dépourvue d’existence juridique à la date de signature du marché. Estimant que ce moyen était de nature à créer un doute sérieux sur la validité du marché, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a cependant décidé que la suspension du marché déféré n’interviendrait qu’à compter du 1er décembre 2017, si à cette date la signature n’avait pas été régularisée par la SEMOP.
13. Contrairement à ce que soutient le préfet, la circonstance que le juge des référés statue dans le cadre d’une procédure d’urgence ne fait pas par elle-même obstacle à ce qu’il prenne en compte la faculté de régularisation du contrat dont disposent les parties, l’article L. 554-1 du code de justice administrative n’imposant pas au juge des référés de faire droit à une demande de suspension dont le préfet a assorti sa requête tendant à l’annulation d’un marché dès lors qu’un moyen est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Par ailleurs, si la SEMOP n’était pas en mesure de signer le marché public litigieux le 7 septembre 2017, le vice tiré de l’incompétence de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux pour signer le marché n’était pas, dans les circonstances de l’espèce, alors que les statuts de la SEMOP étaient en cours de constitution, d’une gravité telle qu’il ne puisse par principe être régularisé. En considérant que le vice d’incompétence entachant le marché public déféré était susceptible de régularisation, le juge des référés du tribunal administratif n’a par suite ni méconnu les limites de son office ni commis d’erreur de droit.
14. Il résulte également de l’instruction que la SEMOP SIVAL a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 novembre 2017. Une convention de régularisation tripartite a été signée fin novembre 2017 par le SIAAP, la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux et la SEMOP SIVAL et approuvée par le SIAAP par une délibération du 24 novembre 2017. Dès lors, le vice relatif à la signature du marché a été régularisé ainsi qu’il pouvait l’être. Par suite, le préfet n’est pas fondé à soutenir que le vice tiré de l’incompétence de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux pour signer le marché est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du marché.
"

En second lieu, le Conseil d’Etat a jugé que, contrairement à ce que soutenait le Préfet, « les dispositions de l’article L. 1542-1 du CGCT n’imposent pas à la personne publique qui entreprend de constituer une SEMOP de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la SEMOP et du pacte d’actionnaires ».

Ces documents doivent être arrêtés et publiés à l’issue de la mise en concurrence et de la sélection de l’actionnaire/opérateur économique. Ainsi, le Conseil d’Etat a relevé que dans la mesure où les documents joints à l’avis d’appel public à concurrence indiquaient la part que le SIAAP souhaitait détenir au sein de son capital, les règles de gouvernance et les modalités de contrôle dont il disposait sur l’activité de la SEMOP, les règles de dévolution des actif et passif de la société lors de sa dissolution, il y avait lieu de conclure à l’absence de vice de nature à faire naître, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité du contrat :
« Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la constitution des sociétés d’économie mixte à opération unique :
15. Le préfet soutient que le document de préfiguration de la société d’économie mixte à opération unique établi par le SIAAP était imprécis et que les projets de statuts et de pacte d’actionnaires n’ont pas été fixés préalablement à la mise en concurrence par le pouvoir adjudicateur au mépris des dispositions précitées de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales.
16. Toutefois, ces dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la constitution d’une SEMOP ne concernent pas l’offre elle-même de l’actionnaire opérateur économique candidat à la passation du contrat qui, elle, demeure régie, lorsque le contrat destiné à être conclu est un marché public, par les dispositions applicables à cette catégorie de contrat qui excluent notamment la négociation dans le cadre d’un appel d’offres. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu les dispositions du code général des collectivités territoriales n’imposent pas à la personne publique qui entreprend de constituer une société d’économie mixte à opération unique de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la SEMOP et du pacte d’actionnaires, le V de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales précité indiquant au contraire que les statuts de la SEMOP ainsi que, le cas échéant, le pacte d’actionnaires conclu sont arrêtés et publiés à l’issue de la mise en concurrence et de la sélection de l’actionnaire opérateur économique. Il résulte de l’instruction que le document de préfiguration de la SEMOP SIVAL joint à l’avis d’appel public à concurrence indiquait la part que le SIAAP souhaitait détenir au sein de son capital, que le projet de pacte d’actionnaires élaboré par le syndicat énonçait les règles de gouvernance et les modalités de contrôle dont le SIAAP disposait sur l’activité de la SEMOP SIVAL et que les règles de dévolution des actif et passif de la société lors de sa dissolution étaient précisées dans le projet de statuts auxquels renvoyait le document de préfiguration. Dès lors, le moyen du préfet tiré de la méconnaissance des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la constitution des sociétés d’économie mixte à opération unique n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux sur la validité du contrat
 ».

Il ressort de cet arrêt que :
• la faculté offerte aux parties pour régulariser un marché peut être mise en œuvre dans le cadre d’une procédure d’urgence ;
• sous réserve d’une régularisation ultérieure, l’actionnaire principal peut, provisoirement, se substituer à une SEMOP, en cours de constitution, pour signer un marché ;
• les statuts et le pacte d’actionnaires n’ont pas à être fixés de manière intangible dans l’avis d’appel à concurrence.

Anne-Margaux HALPERN Avocat