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La déduction des pensions alimentaires versées à des parents étrangers. Par Paul Duvaux, Avocat.
Parution : jeudi 14 mars 2019
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Dans cette note, j’évoque le cas des résidents fiscaux français qui ont des parents qui vivent à l’étranger et qui les aident à faire face aux dépenses de la vie courante.
La question est de savoir si ces personnes peuvent déduire ces dépenses de leur revenu imposable. La réponse est positive, mais sous certaines conditions.

Droit à déduction de la pension alimentaire versée à un ascendant.

Le régime de déduction des pensions alimentaires trouve son fondement dans les articles 205, 211, 367 et 767 du code civil.

La doctrine administrative indique :
"L’article 208 du code civil précise que les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit.
Deux conditions sont donc requises pour qu’une pension ait un caractère alimentaire au sens de ce texte. Il faut :
- que le créancier soit dans le besoin, c’est-à-dire démuni de ressources lui assurant des moyens suffisants d’existence. La notion de besoin présente un certain caractère de relativité, elle dépend notamment de la situation de famille du créancier et, dans une certaine mesure, de sa situation sociale ;
- que le débiteur soit en état de fournir les aliments. Ses propres ressources doivent être supérieures à ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins essentiels, appréciés comme ceux du créancier.

Dans cette double limite, l’obligation de fournir des aliments comprend, en fait, non seulement la nourriture et le logement, mais aussi tout ce qui est nécessaire à la vie.

Elle peut éventuellement s’étendre aux frais de maladie et même aux frais funéraires, tout au moins lorsqu’il n’existe pas d’actif successoral pour permettre l’imputation de ces frais.

Le montant de la pension alimentaire est susceptible de varier. D’une part, le second alinéa de l’article 208 du code civil dispose que "le juge peut, même d’office, et selon les circonstances de l’espèce, assortir la pension alimentaire d’une clause de variation permise par les lois en vigueur."

D’autre part, l’article 209 du code civil prévoit que cette pension peut être réduite ou même supprimée.

En définitive, le montant de la pension alimentaire est fonction des circonstances particulières à chaque affaire." [1]

"Lorsque les conditions générales énoncées au BOI-IR-BASE-20-30-10 sont remplies, les enfants qui viennent en aide à leurs parents privés de ressources peuvent déduire de l’ensemble de leurs revenus le montant des versements ou dépenses qu’ils font à ce titre.
En ce sens, voir CE, arrêt du 23 décembre 1949, n° 97945 et CE, arrêt du 26 novembre 1958, n° 40462.
" [2]

La preuve que la pension alimentaire a bien été versée à son bénéficiaire doit être apportée.

L’administration indique dans sa doctrine : "Par ailleurs, le 2° du II de l’article 156 du CGI, qui autorise la déduction des pensions alimentaires s’applique également à tous les contribuables fiscalement domiciliés en France, quelle que soit leur nationalité. Les contribuables doivent pouvoir justifier que les pensions servies (notamment à l’étranger) répondent aux conditions fixées de l’article 205 du code civil à l’article 211 du code civil et que les versements correspondants ont bien été effectués."

À cette fin, ils peuvent recourir à tous les modes de preuve de droit commun. [3]

"La circonstance que le bénéficiaire d’une pension alimentaire est domicilié à l’étranger ne fait pas obstacle à cette déduction dès lors que peuvent être produites toutes justifications utiles sur le caractère alimentaire des dépenses, sur leur réalité et sur les besoins du créancier. Pour justifier du versement effectif des dépenses, les contribuables peuvent recourir à tous les modes de preuve de droit commun. Cela étant, d’une manière générale, seules peuvent être regardées comme présentant un caractère suffisamment probant les pièces justificatives comportant le nom du bénéficiaire, le nom de l’expéditeur, la date et le montant du versement effectué. Les règlements par chèque et par virement, dès lors qu’ils peuvent être appuyés de relevés bancaires nominatifs, sont au nombre des justificatifs susceptibles d’être admis. En revanche, les récépissés de mandats postaux qui ne comportent ni le nom de l’expéditeur ni celui du destinataire des sommes ne constituent pas à eux seuls un justificatif suffisant (RM Hue n° 23531, JO AN du 12 avril 1999, p. 2212)." [4]

Justifications à établir pour obtenir déduction des pensions alimentaires versées aux parents.

Selon la doctrine administrative : "Lorsque les conditions générales énoncées au BOI-IR-BASE-20-30-10 sont remplies, les enfants qui viennent en aide à leurs parents privés de ressources peuvent déduire de l’ensemble de leurs revenus le montant des versements ou dépenses qu’ils font à ce titre. Mais, il leur appartient, en cas de litige, de faire devant la juridiction contentieuse la preuve de l’obligation alimentaire à laquelle ils sont tenus.
Ils doivent donc établir, notamment :
- le défaut de ressources de leurs parents ;
- l’importance de l’aide qu’il leur incombe d’apporter à ces derniers.
En ce sens, voir CE, arrêt du 23 décembre 1949, n° 97945 et CE, arrêt du 26 novembre 1958, n° 40462."
 [5]

La circonstance que le bénéficiaire d’une pension alimentaire est domicilié à l’étranger ne fait pas obstacle à cette déduction dès lors que peuvent être produites toutes justifications utiles sur le caractère alimentaire des dépenses, sur leur réalité et sur les besoins du créancier. [6]

Calcul de la pension alimentaire déductible : prise en compte de l’âge et de l’état de santé.

Pour évaluer l’état de besoin du créancier d’aliments, il est tenu compte éventuellement des circonstances spécifiques telles que l’âge, l’état de santé et la couverture sociale qui ont pour effet de majorer les besoins de l’intéressé par rapport aux estimations couramment admises.

Par exemple, est déductible la pension alimentaire versée à un père âgé de 77 ans vivant seul et contraint de recourir à des aides extérieures rémunérées, compte tenu de son âge et de son état de santé. [7]

Le calcul des besoins des parents étrangers.

Principe.

La jurisprudence considère que les pensions alimentaires, y compris lorsqu’elles sont dues en vertu d’une loi étrangère, doivent répondre aux conditions fixées par les articles 205 à 211 et 367 du code civil. [8]

La circonstance que le bénéficiaire d’une pension alimentaire est domicilié à l’étranger ne fait pas obstacle à cette déduction dès lors que peuvent être produites toutes justifications utiles sur le caractère alimentaire des dépenses, sur leur réalité et sur les besoins du créancier. [9]

Prise en compte du coût de la vie local.

La question qui se pose est celle de savoir si une pension alimentaire versée à un parent qui se trouve dans un pays plus pauvre que la France devait être d’un montant plus bas qu’en France, compte tenu du caractère moins élevé du coût de la vie dans ce pays.

Le coût de certains produits peut être effectivement inférieur.

Le coût des produits de première nécessité est souvent moins élevé dans les pays plus pauvres que la France. C’est notamment le cas de la nourriture et des vêtements.

Cela peut inciter à évaluer la pension alimentaire normale à un niveau inférieur à celle qui serait versée pour subvenir aux besoins d’une personne vivant en France.

Exigence toutefois d’une pension alimentaire pouvant procurer un niveau de vie similaire à celui d’un Français moyen, distinct du confort moyen de la population locale

Le coût de la vie moyen est souvent moins élevé dans les pays plus pauvres qu’en France.

Mais cela ne justifie pas qu’une pension alimentaire soit calculée à un niveau plus faible. En effet, bien que le coût de la vie soit moins cher dans les pays pauvres, le but de la pension alimentaire reste de procurer un niveau de vie au parent équivalent à celui qu’aurait un Français en France.

Si un Français verse une pension alimentaire à un parent vivant dans un pays pauvre d’Afrique, cette aide doit pouvoir fournir à ce parent un niveau de vie équivalent à celui que ce parent aurait s’il vivait en France. C’est la notion de parité du pouvoir d’achat.

Une pension alimentaire versée à un parent dans un pays pauvre doit être suffisamment élevée pour subvenir aux besoins primordiaux et procurer le confort nécessaire de manière à ce que la situation du bénéficiaire aurait été la même s’il habitait en France et qu’il recevait une pension alimentaire.

Le confort d’un Français moyen comprend notamment l’accès à l’eau courante, à l’électricité, la nourriture, l’eau potable, des vêtements décents et un logement salubre ayant un minimum de confort.

Dans beaucoup de pays pauvres, ces éléments de confort minimum n’existent pas. Le revenu moyen courant n’est pas suffisant pour se payer ce confort minimum conforme aux standards des pays occidentaux.

C’est notamment le cas pour évaluer le coût du logement.

Il serait anormal d’instaurer une forme de discrimination contre les résidents français vivant en France et ayant des parents vivant dans des pays pauvres, par rapport aux résidents français dont les parents vivent en France.

Les pensions alimentaires versées à des parents vivant dans des pays pauvres ne doivent pas se calculer comme si ces personnes devaient se contenter des conforts très limités de ces pays, mais de façon à leur permettre au contraire de profiter d’un niveau de vie égal à celui permis par la vie en France.

Cette exigence de confort similaire à celle existant en France doit donc conduire nécessairement à écarter du calcul de la pension alimentaire toute prise en compte directe d’un revenu moyen local.

Même si, pour tenir compte du coût plus réduit de certains produits comme la nourriture, il est raisonnable de proposer une réduction du montant de la pension.

Coût local élevé de certaines dépenses courantes.

Certaines dépenses de premières nécessités sont couteuses au Liban. C’est le cas par exemple de l’eau où il faut commander régulièrement des citernes d’eau car l’eau n’est pas suffisamment approvisionnée.

Pour l’électricité il faut recourir à des générateurs privés en plus de celle distribuée par les services publics.

Coût local très élevé de certaines dépenses de santé.

Par ailleurs, s’il est vrai que certaines dépenses sont d’un coût moins élevé dans les pays étrangers plus pauvres, comme la nourriture, il peut arriver au contraire, que certaines dépenses soient d’un coût nettement plus élevé qu’en France.

C’est le cas surtout des dépenses de santé.

Dans la plupart des pays, il n’existe pas de sécurité sociale comme en France.

En conséquence, les dépenses médicales y sont beaucoup plus élevées qu’en France car il n’y a pas de mécanisme de remboursement.

Ainsi, tous les frais médicaux liés à une maladie grave sont très coûteux. La plupart des gens ayant des revenus moyens ne peuvent pas se payer les traitements médicaux tels qu’ils existent en France, souvent pris en charge à 100 % s’agissant des maladies graves.

Or le montant de la pension alimentaire doit être suffisant pour permettre au parent de faire face aux dépenses de survie. C’est le cas notamment des dépenses de santé.

En conséquence, la totalité des dépenses de santé doit être prise en compte.

Le montant de ces dépenses de santé peut obliger à admettre un montant élevé de pension alimentaire, nettement plus élevé que celui qui serait applicable si le parent vivait en France.

Conseils pratiques.

Les services fiscaux contestent souvent la déduction des pensions alimentaires versés à des parents étrangers.

Il est vrai que l’administration peut plus difficilement vérifier la réalité des dépenses par une enquête. Elle est relativement démunie car elle ne dispose pas des moyens d’enquête dont elle dispose en France.

Les services fiscaux contestent la réalité des versements. Donc il est essentiel de verser la pension sous la forme de virement en mentionnant la pension alimentaire comme motif de versement.

Les services fiscaux contestent aussi que les parents soient en difficulté financière. Donc il faut établir les difficultés financières de ses parents par tout moyen et notamment par les déclarations fiscales locales, des attestations des autorités locales, des documents sociaux et même des photos.

Les services fiscaux font souvent valoir que les parents ont des ressources propres suffisantes ou que les montants versés sont supérieurs aux besoins vitaux, en faisant référence au revenu moyen par habitant. Ils font donc conserver la preuve de toutes les dépenses vitales des parents et notamment des frais médicaux. Au besoin, il faut faire établir des attestations par des professionnels de santé locaux.

En cas de contrôle fiscal et de proposition de rectification visant ce sujet, il faut se défendre et faire appel tout de suite à un avocat fiscaliste.

Paul DUVAUX Avocat fiscaliste

[1BOI-IR-BASE-20-30-10-2013 07 01

[2BOI-IR-BASE-20-30-20-10-2014 05 02).

[3RM Gollnisch n° 6206, JO AN du 1er décembre 1986, p. 4561.

[4BOI-IR-BASE-20-30-20-10 n°50, 13 février 2017.

[5BOI-IR-BASE-20-30-20-10-2014 05 02.

[6Rep. Mazeaud AN 31 juillet 1971 p. 3837 n° 1723.

[7CE, arrêt du 3 juin 1983, n° 34295, RJF 8-9/83 n° 926.

[8CE 10 janvier 2007 n° 264821, 10e et 9e s.-s., Boulkhemair, RJF 4/07 n° 384.

[9Rep. Mazeaud AN 31 juillet 1971 p. 3837 n° 1723.

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