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La lutte contre les violences dans les enceintes sportives en Droit Européen. Par Junior Kitenge Kyungu, Juriste.
Parution : jeudi 14 mars 2019
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"Si le sport n’échappe pas au droit communautaire, on peut constater à présent que l’Europe n’échappera pas au sport." Ces propos sont ceux tenus par Mr Jean-Claude Bonichot (en sa qualité de Rapporteur), à l’occasion de la lecture de la note synthétique sanctionnant la fin des travaux de la Conférence organisée au Comité National Olympique et Sportif français (CNOSF), le 26 novembre 2007, sur le thème du « Droit européen et du sport ».
Il partait de ce constat pour démontrer déjà en son temps, l’importance capitale de la mise en place d’une politique européenne du sport et, à terme, des bases d’un droit européen du sport.

Cette affirmation a été réitérée autrement par Colin Miege (Spécialiste des questions liées au sport dans le cadre européen) lorsqu’il écrit dans son ouvrage intitulé « Sport et droit européen », que « le droit de l’Union européenne a eu une influence déterminante sur le sport, à mesure que celui-ci devenait une activité économique à part entière ». En effet, depuis l’intégration du sport dans les compétences de l’Union européenne (ci-après l’Union) par le Traité de Lisbonne en 2007, les organisations sportives avaient déjà subi de plein fouet l’impact du droit européen, avec notamment le célèbre arrêt « Bosman », rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après CJCE). Pour enseigne, il s’agissait, dans cet arrêt, d’un litige ayant opposé un footballeur professionnel du nom de Jean-Marc Bosman à son club, puis à la fédération belge de football. Le footballeur avait donc décidé de saisir la justice de son pays, cette dernière ayant posé en 1993 deux (2) « questions préjudicielles » à la CJCE .

Dans le déroulement de la procédure, en effet, il s’agissait de savoir si les clauses de nationalité et de versement d’indemnités de transfert qui lui avaient été opposées à l’issue de son contrat avec son club employeur étaient compatibles avec les dispositions du Traité.

Ainsi, par la voie de cet arrêt, la CJCE avait donc indiqué que ces clauses étaient non conformes au droit communautaire. En conclusion de cet arrêt « Bosman » de 1995, il en ressort que les fédérations sportives les plus puissantes se sont vues obligées, pour la toute première fois, une inclinaison devant la règle communautaire.

Au regard de ce qui précède, il convient d’affirmer que l’expansion de l’influence du secteur sportif exige de l’Union une prise en compte effective si pas de l’ensemble, mais du moins de la quasi totalité des paramètres rattachés au déroulement des activités sportives. Par conséquent, à l’occasion de cette présentation, il s’agira d’exposer sur les éléments caractéristiques essentiels liés à l’encadrement des manifestations sportives sur la sphère européenne, spécialement ceux portant sur les enceintes sportives.

En effet, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’aussi bien le Conseil de l’Europe que l’Union étaient très largement préoccupés par la recrudescence des incidents observés lors des manifestations sportives. Plusieurs incidents et débordements majeurs survenus lors des matchs et tournois internationaux de football (notamment) dans les années 1980, ont fait prendre conscience aux Etats que le problème du « hooliganisme » dans le football était un phénomène européen qui nécessitait une réponse institutionnelle.
Pour rappel, le terme « hooligan » est apparu en Angleterre en 1899 à la suite d’incidents graves entre supporters dans une gare de Liverpool. Le hooliganisme désigne désormais, plus généralement, toutes les formes de violences physiques ou de dégradations de biens commises par des supporters à l’occasion de rencontres sportives, que ce soit dans le stade, à l’extérieur ou sur le chemin pour s’y rendre.

Pour ce faire et dans les lignes qui suivent, nous tâcherons de présenter le tableau que dresse l’Union européenne (le Conseil de l’Europe, le cas échéant) pour la lutte contre les violences dans les enceintes sportives (I), avec un accent particulier sur les mesures d’ordre sécuritaire y relatives (II).

I. Démarche de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe pour la lutte contre les violences dans les enceintes sportives.

Il convient d’affirmer d’emblée qu’après la prévention et la lutte contre le dopage dans le milieu sportif, la violence dans cet environnement, pris dans son ensemble, constitue un des écueils majeurs à mettre à l’actif de ce secteur en pleine croissance. La dimension transnationale des phénomènes de « hooliganisme », qui ont affecté régulièrement les rencontres internationales, ont justifié des mesures de prévention et de lutte dépassant le simple cadre national.

En effet et tel que susmentionné, cet enjeu majeur a mobilisé aussi bien l’Union européenne que le Conseil de l’Europe à procéder à l’adoption des mesures adéquates pour y remédier. Les principales mesures à relever ont été observées dans le cadre textuel, avec l’adoption successive de deux principales Conventions européennes visant à lutter contre la violence et les débordements de spectateurs. Il s’agit d’évoquer d’une part la Convention du 19/08/1985 sur « la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matchs de football » et, d’autre part, la Convention du 03/07/2016 sur « une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matchs de football et autres manifestations sportives ».

S’agissant de la Convention du 19/08/1985, il a été adopté une recommandation qui préconise une série de soixante-dix mesures à prendre par les organisateurs de matchs pour assurer la sécurité des spectateurs. L’on notera, entre autres mesures, l’installation de zones clôturées, la suppression des places debout dans les stades, l’interdiction de la vente et de la consommation d’alcool dans comme aux abords des stades, ou le recensement des fauteurs de troubles et leur classement en trois catégories selon leur degré de dangerosité.

Par ailleurs, face au durcissement du hooliganisme dans le football, les parlementaires du Conseil de l’Europe ont à nouveau proposé, en novembre 1999, une série de mesures dans la perspective de l’Euro 2000 en France, tels que le renforcement de la prévention sociale, l’accompagnement des supporters dans leurs déplacements, la mise en œuvre préalable de plans de sécurité, ou la création de centres permanents de renseignements sur le football dans chaque pays.

Réflexions reprises et approfondies dans le cadre plus restreint de l’Union européenne . Cependant, le contenu de la Convention du 19/08/1985 ne concordant plus avec l’approche et les bonnes pratiques développées au fil des années, il a été décidé, en 2012, de procéder à sa refonte.

En effet, la refonte de cette Convention a conduit le Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe à adopter, le 04/05/2016, une nouvelle Convention qu’est celle du 03/07/2016 (date d’ouverture de la signature aux Etats).

S’agissant de cette Convention du 03/07/2016, il est important de noter que celle-ci s’appuie essentiellement sur les dispositions de son ascendante de 1985, ainsi que sur « la vaste expérience acquise et les bonnes pratiques mises au point en Europe », lesquelles ont permis de développer une nouvelle approche, fondée sur le partenariat en matière de sécurité des spectateurs.
En effet, entre autres mesures retenues dans cette Convention, un accent particulier a été mis sur la nécessité d’assurer une communication effective avec les groupes de supporters et la population locale, en vue d’établir une coopération positive et d’imaginer des solutions adéquates aux problèmes potentiels . Conformément à l’article 8 de la Convention, il est aussi question de mettre sur pied des projets à caractère social, éducatif, de prévention de la délinquance ou destinés à favoriser le respect et la compréhension mutuels.

L’aspect sécuritaire n’est pas en reste ; sécurité vis-à-vis des violences mais également des infrastructures. A ce stade de réflexion, nous prêterons une attention particulière sur l’aspect sécuritaire des violences. A cet effet, les Etats ont élaboré des stratégies policières régulièrement évaluées et perfectionnées en fonction des bonnes pratiques éprouvées, énumérées par la Convention, à l’image de la recommandation d’un travail en partenariat entre la police, les groupes d’organisateurs, les supporters, la population et autres parties prenantes (article 9). Il nous sera donc impérieux de retracer quelques unes d’entre ces mesures d’ordre sécuritaire retenues (II).

II. Mesures d’ordre sécuritaire dans les enceintes sportives.

L’expansion de l’influence du secteur sportif sur la sphère européenne a notamment eu pour conséquence la multiplication des rencontres sportives internationales (avec une marge importante dans le football), laquelle engendre la multiplication des sources de dommages, ainsi que la mobilité croissante des supporters violents. Cette constatation qui fait que les Etats membres soient confrontés à de nombreux phénomènes de violence débordant les frontières et n’épargnant aucun territoire, a fait prendre conscience à ceux-ci de la nécessité d’une coordination supranationale en matière sécuritaire .
En effet, au nombre des mesures sécuritaires prises, figurent notamment une recommandation importante sur la responsabilité des organisateurs de manifestations sportives, adoptée le 30/11/1993.

S’en sont ensuite suivies quelques unes des recommandations adoptées par le Conseil de l’Europe, dont deux le 1er/12/1994, concernant respectivement l’échange d’informations lors de grandes manifestations, et l’échange direct d’informations avec les pays d’Europe centrale et orientale lors des manifestations sportives internationales, avec la création pour chaque cas, d’un réseau de correspondants.

Une autre recommandation a été adoptée le 22/04/1996 concernant les orientations visant à prévenir et à endiguer les troubles susceptibles de se produire lors des matchs de football, en prévision du Championnat européen de football de 1996 au Royaume-Uni.

Cependant, il est certes vrai que l’essentiel de cette réflexion a principalement tourné autour de l’influence du secteur sportif en droit européen et vice versa, dans un domaine précis, à savoir celui portant sur les enceintes sportives, mais au-delà de cette réflexion, il ne peut être exclu les règles émises par les organismes de droit privé que sont les fédérations sportives, notamment. A ce titre, il est important de souligner que loin d’être une « histoire d’amour », la symbiose entre le droit communautaire et ces règles issues des organismes de droit privé ne s’est pas faite en douceur, et d’ailleurs presque de manière fortuite. Cela est notamment dû au caractère autonome des règles sportives par rapport aux normes publiques, également au fait qu’au départ, le sport était étranger au processus de la construction européenne, bien avant sa prise en compte intégrale.

KITENGE KYUNGU Junior Diplômé en Droit international (Master 2) à l\'Université de Bordeaux